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Dortmund-OM: le jour où les Marseillais ont éteint le mur jaune en Ligue des champions

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Le 6 décembre 2011, Marseille renversait le Borussia Dortmund de Jürgen Klopp et se qualifiait pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions. Alors que l'OM retrouvera l'élite européenne la saison prochaine, retour sur cet exploit, qui reste sa dernière victoire en date en phase de poules de C1.

Replonger dans la saison 2011/12 de l'OM, c'est embarquer dans des montagnes russes à l'amplitude effrayante. Une dégringolade immédiate et une dernière place de Ligue 1 à la sixième journée. Fin novembre, une remontée abrupte, grâce à seize matches sans défaite. Puis, la chute libre, vertigineuse, une série invraisemblable de douze rencontres sans succès toutes compétitions confondues, dont onze revers. Marseille atteint des altitudes européennes non fréquentées depuis le sacre de 1993, les quarts de finale de la Ligue des champions, mais les supporters font grève face au Bayern en protestation contre les résultats en L1, achevée à la dixième place. "Je crois qu'on avait craqué mentalement, se souvient le défenseur central Souleymane Diawara. Quand tu as les supporters à dos à l'OM, c'est difficile. On n'a pas su gérer cette pression." Avant de partir sur fond de tensions internes avec José Anigo, Didier Deschamps décroche une troisième Coupe de la Ligue consécutive. Bref, une saison de contrastes extrêmes, terriblement OM.

Le parcours en Ligue des champions est un concentré de cette irrégularité, dès la phase de poules dans le groupe F avec Arsenal, l'Olympiacos et le Borussia Dortmund de Jürgen Klopp, champion d'Allemagne (qui conservera sa couronne) et épouvantail du chapeau 4. "On s'était retrouvé dans une poule assez homogène, note Benoît Cheyrou, quarante-neuf matches au compteur cette saison-là. On n'était pas mécontent du tirage, même si pour nous, c'était un exploit de sortir des poules." Marseille écrase le BvB 3-0 au Vélodrome en septembre mais perd à domicile contre l'Olympiacos (0-1) à la cinquième journée, alors qu'un nul l'envoyait en huitièmes de finale. Le déplacement à Dortmund, le 6 décembre 2011, est décisif.

"C'était un contexte assez compliqué, se souvient Benoît Cheyrou. On fait un début de saison très, très, très mauvais, vraiment catastrophique. Mais peu de temps avant Dortmund, on bat le PSG (3-0, le 27 novembre 2011). C'est un match important quand tu joues à l'OM, au niveau psychologique et de la confiance. Ça nous avait lancé pour Dortmund." La deuxième place marseillaise est toutefois menacée. Arsenal, déjà assuré de la première, envoie son équipe B sur la pelouse de l'Olympiacos, troisième à un point de l'OM, tandis que les Allemands peuvent également y croire à condition de renverser le 3-0 de l'aller. "On savait à quoi s'attendre là-bas, on savait que l'ambiance allait être incroyable, reprend celui qui l'avait déjà vécue avec Lille en février 2002. Ce mur jaune ! Ce n'est pas une légende, c'est quelque chose de grand. Mais ce n'est pas forcément hostile, donc ce n'était pas négatif de jouer à Dortmund. Tu es porté par l'ambiance, presque autant que l'équipe à domicile." Souleymane Diawara acquiesce : "Je kiffais jouer dans des ambiances comme ça. J'aimais les stades chauds, ça transcende."

Pour Vincent Labrune, arrivé l'été précédent à la présidence, c'est le match le plus important de la saison. "La Champions League pouvait être un rayon de soleil et sauver notre saison", justifie Benoît Cheyrou. Mais en face se dresse le noyau dur de l'équipe finaliste de la Ligue des champions la saison suivante, autour de la colonne vertébrale Hummels-Gündogan-Lewandowski, "Une vraie belle équipe de Dortmund, un grand d'Europe avec une très belle dynamique" pour l'ancien milieu.

Pour la briser, Didier Deschamps, vingt-quatrième match européen sur le banc de l'OM (un record), densifie son entrejeu physiquement et défensivement, avec le duo Alou Diarra-Stéphane Mbia, et mise sur la vitesse de Loïc Rémy devant en l'absence d'André-Pierre Gignac, blessé. Benoît Cheyrou est remplaçant. "Tu ne le vis jamais bien quand tu es remplaçant dans un match couperet comme ça, dans un stade incroyable. Mais, il faut vite ravaler son égo et se mettre au service du collectif, de l'équipe, apporter des ondes positives et aider son équipe comme on peut." C'est plus compliqué pour Mathieu Valbuena, sur le banc pour la quatrième fois en cinq matches, comme il le confiera dans son autobiographie : "Pour être franc, je le vis mal."

Le schéma de Dortmund-OM
Le schéma de Dortmund-OM © -

L'enfer jaune et noir

"Dans le vestiaire, on se regardait, on savait qu'on pouvait faire quelque chose, assure Souleymane Diawara. On sentait qu'il allait se passer un truc." Le scénario de la première demi-heure n'était certainement pas celui que les Marseillais avaient en tête. Ils sont emportés par le tourbillon jaune et noir, pris par l'intensité, asphyxiés par le rythme. "Les Allemands nous ont fracassé physiquement, ils nous ont marché dessus", souffle Souleymane Diawara. En première ligne, Loïc Rémy et Lucho González sont incapables d'atténuer l'influence d'un Ilkay Gündogan qui se régale à la baguette du Borussia. Djimi Traoré souffre face à la vitesse de Jakub Blaszczykowski. Le ballon est rendu aussi vite qu'il est récupéré, sauf sur de rares enchaînements inspirés entre Morgan Amalfitano et Lucho. Vite recherché en profondeur, Rémy est souvent hors-jeu. Le trio n'a pas d'autre soutien qu'André Ayew sur son aile gauche : l'OM attaque à quatre, Diarra et Mbia restent en place devant la défense, Azpilicueta et Traoré ne montent pas dans leur couloir. Pour ajouter au chaos olympien, les deux milieux axiaux marseillais se fracassent le crâne en disputant le même ballon aérien, ouvrant l'arcade du Camerounais.

Si les deux lignes de quatre marseillaises ont au moins le mérite d'être relativement compactes, l'édifice se craquèle à force de ballons en profondeur, de centres et d'attaques rapides borussen. Le verrou finit par céder à la 23e minute, sur une touche longue de Piszczek qui finit sur une reprise croisée de Blaszczykowski. Mandanda reste planté sur ses appuis. À cet instant, l'Olympiacos mène également contre Arsenal, l'OM est éliminé et boit la tasse sous les vagues allemandes, que même les solides Nicolas Nkoulou et César Azpilicueta ne parviennent pas à endiguer. À la demi-heure de jeu, Stéphane Mbia dégomme la mâchoire de Sebastian Kehl plutôt que le ballon aérien devant son but. Le capitaine du Borussia sort sur civière, pendant que Mats Hummels transforme sereinement le penalty. Un cauchemar. Azpilicueta évitera même le 3-0 dix minutes plus tard en repoussant une reprise de Götze. "On a pris le bouillon en première mi-temps, résume Benoît Cheyrou. On a beaucoup souffert. Il pouvait y avoir 3 ou 4-0 à la mi-temps, ça n'aurait pas été injuste. On fait franchement une mauvaise première période."

Mais il suffit d'un rien, parfois, pour complètement inverser la dynamique d'un match. D'un rien, mais de beaucoup de talent, comme la qualité de déplacement de Loïc Rémy et du pied droit de Morgan Amalfitano. Benoît Cheyrou était aux premières loges. "Morgan Amalfitano est juste devant notre banc. Il met une galette, un centre bien enroulé qui contourne toute la défense, le gardien ne peut pas sortir, et Loïc Rémy, qui n'était pas hors-jeu, arrive à avoir ce mètre d'avance grâce à sa vitesse et à mettre une belle tête. Ce but est magnifique, sur un de nos seuls contres." Ce n'est que le deuxième tir marseillais du match, le premier cadré.

"On avait le moral dans les chaussettes, mais le but marqué avant la pause a été un déclic", souligne Souleymane Diawara. "Ce but nous redonne beaucoup de confiance et d'espoir, ajoute Benoît Cheyrou. Le discours de Didier Deschamps à la mi-temps est vraiment représentatif de ce coach. Il ne lâche jamais. Même s'il reste une minute, c'est possible. Même si tu es mené de deux, trois buts, qu'il reste du temps, c'est possible, il ne faut rien lâcher et continuer à y aller. Et c'est plus facile pour lui de s'appuyer sur ce but et cette dynamique qui est tout à coup positive, après avoir fait une première mi-temps pauvre, pour aller chercher le deuxième et le troisième but." "Quand on est sorti du vestiaire, on n'était plus les mêmes joueurs", conclut Diawara.

Benoît Cheyrou remplace Stéphane Mbia. Mission du nouvel entrant : défendre dans la zone d'Ilkay Gündogan, pour restreindre son influence, et enfin mettre le pied sur le ballon. "Ça faisait partie de mes qualités, de gérer le tempo du match, pouvoir conserver le ballon, ne pas le redonner trop rapidement à l'adversaire. Le fait d'être calmes, posés, nous a beaucoup apporté en seconde période. Et je pense qu'un peu de doute s'est aussi créé du côté de Dortmund après notre but." Le Borussia doit en effet marquer trois fois, mais seulement pour aller chercher l'Europa League, le succès de l'Olympiacos le privant d'office de huitième de finale. Pour l'OM, il faut gagner, coûte que coûte, et le message de Deschamps est bien passé. "On a retrouvé notre football, on mettait de l'impact physique, on a répondu à leur intensité, détaille Souleymane Diawara. Le match a changé." Mais les occasions restent rares et timides, comme un centre d'Azpilicueta qu'Ayew ne peut bien reprendre, gêné par Piszczek (56e).

Un exploit signé Valbuena

Didier Deschamps entre de nouveau en scène. Jordan Ayew remplace Lucho González, puis Mathieu Valbuena relève Loïc Rémy. Le meneur de jeu de poche se rend immédiatement disponible entre les lignes, alimenté par une relance marseillaise plus sereine. Il tente une première fois sa chance de loin, après un crochet prémonitoire sur Gündogan, au-dessus (82e). Dortmund n'est plus vraiment dangereux. À cinq minutes de la fin, Morgan Amalfitano gagne un corner. L'ancien Lorientais enroule devant le but. Un appel de Jordan Ayew vers le premier poteau aspire quatre Allemands et libère son frère André, dont la tête hors de portée de Weidenfeller échappe de justesse à Chris Löwe sur la ligne. L'exploit est en marche.

Deux minutes plus tard, le buteur ghanéen gagne une touche avancée dans son couloir gauche. Il la joue en retrait pour Mathieu Valbuena, qui raconte la suite dans son autobiographie : "Je reçois le ballon à l'entrée de la surface de réparation, sur la gauche. Je suis dans une zone où il faut accélérer, provoquer. Je me dis : 'Vas-y, tente ta chance.' Je réussis un crochet (sur Blaszczykowski), je veux repiquer dans l'axe, mais le mec en face (Gündogan) anticipe, donc je tente un râteau. Je me remets sur le pied droit, les deux défenseurs (Piszczek et surtout Hummels) sortent rapidement. Alors je pousse le ballon et frappe coup-de-pied. Fort. Et ça rentre." La redite d'Anfield, quatre ans plus tôt, quand il avait offert à l'OM la première victoire d'un club français à Liverpool d'une frappe enroulée dans la lucarne de Pepe Reina, après avoir échappé à Jamie Carragher. Valbuena glisse sur les genoux, dans les bras de son pote Loïc Rémy au bord du terrain. Les 2.500 supporters marseillais en tribune sont en transe.

Souleymane Diawara s'en régale encore. "Je revois le but en boucle à chaque fois ! Sur le côté, tac, pam, un dribble, deux dribbles, poum, frappe pleine lucarne. Je me suis dit : 'C'est bon, là, il ne peut rien nous arriver.' Ça fait partie des bons souvenirs avec l'Olympique de Marseille. C'est un match à part, un souvenir mémorable." "C'est un but magnifique, admire Benoît Cheyrou. Il n'en a pas marqués tant que ça, mais ils ont été vraiment magnifiques et décisifs à chaque fois. Il se l'est construit tout seul, il est allé le chercher, il a eu la folie de frapper de cet endroit-là. Il aimait bien venir du côté gauche pour rentrer sur son pied droit. J'ai revu ce but très souvent. Juste avant la frappe, on voit qu'il y a des légers rebonds, et ça lui permet de passer son pied sous le ballon, de le prendre presque en demi-volée plutôt qu'au sol, où ça aurait été plus compliqué d'avoir une trajectoire qui monte et qui redescende aussi vite. Il y avait tout, la folie, la qualité technique et la réussite avec ces petits rebonds." Et un esprit revanchard comme moteur. "On sent dès sa prise de balle qu'il veut faire ça, alors qu'il y a deux ou trois joueurs qui s'interposent pour l'empêcher de passer. Vouloir prouver, vouloir montrer qu'il méritait une place de titulaire et qu'il pouvait être décisif, ça a joué dans cette action, c'est certain." L'OM n'a plus qu'à fermer la boutique, et les frères Ayew manquent même l'occasion d'ajouter un quatrième but dans les arrêts de jeu, qui aurait rendu le dénouement de cette remontada marseillaise moins homérique. "C'est ça le football, c'est magnifique quand on gagne, savoure Didier Deschamps en connaisseur de la question. Il faut y croire jusqu'au bout."

Une maxime qui s'est de nouveau vérifiée trois mois plus tard, en huitièmes de finale. "Le match de Dortmund reste plus dans les esprits parce que c'était un but magnifique et qu'on revient après avoir été menés, mais le match de l'Inter est aussi fou., s'exclame Benoît Cheyrou. On gagne 1-0 à domicile, on va là-bas, on est mené 1-0, il faut absolument marquer. J'étais sur le banc, Brandao était remplaçant aussi. On entre tous les deux. Il se retrouve à la réception d'un dégagement de Steve Mandanda (à la 92e minute), il contrôle du dos, et il enchaîne derrière... C'était incroyable ! J'étais juste derrière lui. Et c'était pareil : aller chercher ce résultat, ne jamais rien lâcher, toujours y croire. C'est ce qu'apportait Didier Deschamps dans son coaching et dans le vestiaire."

Presque neuf ans plus tard, les supporters marseillais attendent toujours une nouvelle victoire en phase de poules de la Ligue des champions. En 2013/14, les hommes d'Élie Baup puis José Anigo avaient signé un piteux zéro pointé. La saison prochaine, André Villas-Boas aura pour mission de dépoussiérer la grande histoire de l'OM en Ligue des champions.

Julien Momont