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Coupe du monde des clubs: pourquoi la compétition est "un rêve qui devient réalité" pour les clubs sudaméricains

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Tim Vickery, correspondant anglais de la BBC au Brésil depuis 1994 et spécialiste du football sudaméricain, explique pour RMC Sport le fort intérêt des clubs sudaméricains pour la Coupe du monde des clubs.

Etes-vous impressionné par les résultats des clubs brésiliens et argentins dans ce début de compétition (3 victoires et 3 nuls) ?

"Vous devez comprendre que pour les clubs sudaméricains, cette compétition est un rêve qui devient réalité ! C’est la chance de se montrer et surtout face aux clubs européens. C’est tout ce dont ils ont toujours rêvé. Notre Ligue des champions, c’est la Copa Libertadores. Elle a été créée en 1960 pour copier la Ligue des champions et avoir un champion continental. Si l’Europe a un champion, nous devons avoir un champion et organiser une confrontation entre les deux. Cet esprit de compétition face à l’Europe est ancré en profondeur dans l’âme du football sudaméricain.

Il faut aussi se souvenir que nous sommes au milieu de la saison ici. Les joueurs sont frais. C’est particulièrement le cas de Palmeiras et Flamengo, qui sont les équipes sudaméricaines avec le plus de chance d’aller au bout de la compétition. C’est LEUR moment. Ce sont des athlètes olympiques qui se sont préparés pour leurs JO, pour être à leur meilleur à ce moment précis. C’est à l’opposé des Européens qui sont en fin de saison et pas du tout préparer pour arriver au top. Je ne suis donc pas surpris de ce qui se passe."

Et pour les supporters brésiliens et argentins, c’est aussi plus fort qu’une Copa Libertadores ou un championnat local ?

Regardez les stades aux Etats-Unis. Si vous enlevez les supporters sudaméricains, le tournoi n’existe simplement pas. Evidemment c’est énorme pour eux. Très important pour les coaches, pour les joueurs et les fans.

Pensez-vous les clubs sudaméricains et selon vous Flamengo et Palmeiras, vraiment capables de gagner la compétition ?

C’est une possibilité oui. C’est une compétition avec des matches à élimination directe… bang bang bang, vous gagnez quelques matches et vous êtes en finale. Il faut prendre en compte que ce n’est pas une priorité pour les Européens. On ne sait même pas si c’est la fin de saison ou le début pour eux. Et c’est une très étrange collection de clubs européens… Porto et Benfica ? Sérieusement, parmi les meilleurs du continent ? Etes-vous sérieux ? D’ailleurs, pour le Porto-Palmeiras, qui était un bon match, les Brésiliens ont archi dominé les 10 dernières minutes quand Porto était mort physiquement. On a fêté ça ici au Brésil, en se disant qu’on était meilleur que les Européens. Ça m’a déçu car c’est Porto... et avec tous les facteurs en faveur de Palmeiras, le stade, les supporters, le timing de la compétition, ils n’ont pas gagné malgré tout.

Il y aura des équipes encore plus fortes à battre. La question sera donc la gestion du physique. Le PSG a impressionné contre l’Atlético, mais ils vont payer le prix d’une débauche d’effort d’un match comme ça. C’est une inquiétude pour les matches à élimination directe, avec des conditions d’extrême chaleur. J’ai peur de voir un football plus peureux. Dans ce contexte, Flamengo et Palmeiras auront un avantage.

Parlons aussi de Botafogo, club de John Textor, et prochain adversaire du PSG. Ont-ils une chance de briller aussi ?

Des six équipes sudaméricains, c’est l’équipe qui m’a fait la moins bonne impression. Ils ont été très chanceux de battre Seattle. Les deux milieux centraux de Botafogo, Marlon Freitas et Gregore, ont passé un très mauvais moment parce que les joueurs de Seattle faisait bien vivre le ballon. Je ne sais pas comment le coach Renato Paiva organisera son équipe mais si c’est la même que contre Seattle, ils vont perdre largement face à Paris. Mais chaque match a son histoire et Paiva n’est pas un idiot. Il lui faudra renforcer son milieu. Après, le buteur Igor Jesus est un joueur formidable, vraiment. Et l’ailier Artur est dangereux. Donc Botafogo peut attaquer avec peu de joueurs et causer quelques problèmes. Malgré tout, il n’y a aucun doute sur le fait que le PSG est l’immense favori du match. L’inconnue, c’est à quel point la chaleur du premier match va affecter les parisiens. Quel prix vont-ils payer ?

Pour revenir au contexte général, il y a beaucoup plus d’argent aujourd’hui dans le football brésilien et argentin par rapport aux années 2000 et 2010. Cette coupe du monde des clubs va-t-elle les rendre encore plus puissants ?

Sans aucun doute, c’est une grosse opportunité notamment pour les Brésiliens. C’est un football qui est connu pour son équipe nationale, pour ses pépites comme le jeune Estevao aujourd’hui. Mais ce qui est inconnu pour le reste du monde, ce sont les histoires du foot brésilien et il y en a des tonnes à raconter. Une telle compétition va donner de la visibilité à ces histoires.

Et globalement, le fossé entre les meilleurs clubs brésiliens et le foot européen se réduit. Il y a plus d’argent ici. Et les clubs Brésiliens se mettent à recruter les meilleurs joueurs des autres championnats sudaméricains, comme ils ne l’ont jamais fait auparavant. Le meilleur joueur de Fluminense : un Colombien Jhon Arias. Le meilleur de Flamengo : un Uruguayen Girogian de Arrascaeta ! Le championnat brésilien devient la PremierLeague d’Amérique du Sud. Enfin, il y a le changement de vision des Européens sur le continent : ils veulent uniquement des promesses. Ils ne prennent pas les meilleurs mais seulement les prospects. Il y a 20 ans en arrière, Arias serait en Europe mais comme il a 27 ans, personne n’en veut. Les Européens veulent des adolescents pour le business.

Mais cette montée en puissance de ces clubs participant à la Coupe du monde des Clubs est-elle un risque pour le football sudaméricain ? En créant un fossé entre les géants et les autres ?

Les six dernières Copa Libertadores ont été remportées par un club brésilien. Quatre finales l’ont été entre clubs brésiliens. Ce n’est jamais arrivé dans l’histoire de voir un pays dominer à ce point. C’est très dur d’exister pour le reste du continent, y compris pour les Argentins. L’inquiétude n’est pas tellement une SuperLeague sur le continent. C’est la volonté des gros clubs brésiliens de se confronter aux équipes de MLS et du championnat mexicain. Le bruit court déjà dans plusieurs clubs du Brésil. Ces clubs se disent : quel intérêt pour nous de jouer contre une équipe péruvienne ?

Alors qu’on pourrait jouer aux Etats Unis ? Mais c’est un vrai problème pour l’avenir. Les distances en Amérique sont énormes. La distance entre Buenos Aires et Mexico équivaut à celle entre Londres et des villes en Inde ! Evidemment, les Etats Unis et le Canada c’est encore pire. Ça pose des problèmes mais les pressions du monde de la finance vont s’accroître. Le risque, c’est d’avoir une SuperLeague, non pas sudaméricaine, mais d’Amérique tout court.

Aurélien Tiercin