Philippe Auclair: "A mort l'arbitre!"

L'arbitre Craig Pawson et Sadio Mane au sol - AFP
Documentaires exceptés, les grands films de football se comptent sur les doigts d’une main; les navets, par contre, sur les membres d’une procession de mille-pattes. C’est qu’il est quasiment impossible de recréer ce qui fait un match avec le réalisme qui emporterait l’adhésion du spectateur, si tant que celui- ou celle-ci a jamais mis un pied dans un stade. Le jeu n’est pas codifié dans l’espace et le temps comme le cricket ou le base-ball, deux sports qui, eux, ont parfois su réussir leur transition à l’écran. Ôtez sa dimension chaotique au football, il devient insipide.
Ce ne peut être un hasard si, parmi les très rares scènes de football qu’un metteur en scène soit parvenu à faire vivre via une caméra, figure le match entre ‘Manchester United’ et ‘Tottenham Hotspur’ du Kes de Ken Loach, joué par deux équipes de gamins avec leur horrible prof de gym dans le rôle d’arbitre et d’avant-centre des red devils. Loach n’essaie à aucun moment de raconter un match, d’imposer la logique hollywoodienne de mise (les ralentis, le but décisif, immanquablement spectaculaire, les retournements de situation aussi ‘imprévisibles’ que le happy end de rigueur). Parce qu’il ‘sent’ le football comme un gamin qui a grandi en y jouant dans la rue et en allant le regarder sur les 'terraces', Loach ne s’intéresse qu’à la dimension humaine du jeu, la seule qui compte, en définitive, quand il faut convaincre un spectateur de faire le saut émotionnel dans la bi-dimensionnalité d’un film, de lui donner, eh oui, une épaisseur.
Film culte
Ces ‘grands’ films de football existent néanmoins, et tout en haut de ma liste en figure un dans lequel le jeu n’est en définitive qu’un prétexte pour explorer ce que la bêtise et la méchanceté ont d’abyssal, et comment le football peut servir d’aimant aux plus bêtes et plus méchants de tous. Beaucoup d’entre vous – j’espère – auront reconnu son titre, qui est aussi celui de cette chronique: À Mort l’arbitre, dû à Jean-Pierre Mocky, sorti dans les salles en 1984, avec Michel Serrault dans le rôle de l’ignoble Rico, le supporter taré des jaunes et noirs.
Ce long-métrage est devenu, parait-il, un film ‘culte’, au même titre que Buffet Froid. Froid comme l’accueil qui avait été fait à ce portrait si féroce du fanatisme. Les choses auraient donc changé – et tant mieux. Mais je voudrais aller plus loin, et passer du ‘culte’ à l’insertion dans le programme de formation des techniciens du football.
Peut-être devrait-on le projeter en audience privée à ces chers entraîneurs qui adoptent désormais le lynchage du corps arbitral comme tactique défensive lorsqu’un ‘fait de jeu’ leur a été fatal, enfin, selon eux. Car, soyez honnêtes, sur les matchs que vous voyez, combien sont ‘décidés’ par un coup de sifflet de travers, ou inexistant?
Une erreur, sans aucun doute. La fin du monde? Évidemment pas
Cette saison, j’ai dû être présent en personne à une cinquantaine de matchs, et en ai vu probablement le quintuple à la télévision (en intégralité, s’entend). De ceux-là, le souvenir me revient du troisième but de Watford dans leur 3-3 contre Liverpool. Une erreur, sans aucun doute. La fin du monde? Évidemment pas. Mais c’est la seule vraie, grosse boulette dont j’ai été le témoin.
Mais qui s’en préoccupe? Ce week-end encore, sus au corps arbitral – et je ne parle pas des déclarations d’un président de club de L1 -, à la suite de polémiques suscitées par, tenez-vous bien, l’utilisation et la non-utilisation de l'arbitrage vidéo (VAR) lors des matchs de FA Cup.
On reproche au premier arbitre, celui de Liverpool-West Brom, de s’être mal servi du VAR. On oublie d’ajouter que chacune des décisions qu’il prit en ayant recours à l’assistance vidéo était correcte.
Pourquoi ne pas traiter les supporters du football comme des adultes?
Alors, oui, les pauses dans le jeu avaient été trop longues, beaucoup trop longues. Le fait que les spectateurs payants, présents au stade, ne savaient absolument rien de ce qui se tramait devant leurs yeux (alors que nous, téléspectateurs, pouvions suivre le pénible processus décisionnaire) était inacceptable – tout à fait. Pourquoi ne pas traiter les supporters de football comme ceux de Volley-ball, de cricket et de rugby, à savoir comme des adultes? (Un autre débat, celui-là…)
Mais le fait demeure que se polariser sur la performance d’un officiel, à qui on demande de tester ‘live’, en direct sur des millions d’écrans, un système qui n’en est qu’à ses balbutiements, est bien plus injuste que tout le reste.
"Le jeu est foutu"
Et le lendemain…pauvre Lee Mason. Il prend la décision d’annuler un ‘but’ (magnifique) de Bernardo Silva, et c’est un tollé. Le co-commentateur de la BBC, l’ancien joueur de Liverpool Mark Lawrenson, laisse tomber un ‘le jeu est foutu’ dans son micro. Si on permet à des analystes de lâcher des âneries irresponsables comme celle-là, en effet, peut-être que le jeu est ‘foutu’.
Pour qui n’aurait pas vu cette action de jeu, Leroy Sané était pile sur la trajectoire du ballon lorsque Silva décocha sa frappe, et le masquait donc. Pas le moindre doute: si Sané était hors-jeu, il y avait interférence, et le but devait être refusé, même si le gardien de Cardiff aurait de toute façon été incapable de sauver le but, comme l’exigent les Lois du Football (que tant de supposés analystes ignorent, mais c’est là encore un autre débat). L’arbitre est un gardien de ces Lois, pas un interprète qui peut les plier à sa guise.
Sané, hélas pour M. Mason était ‘en jeu’ – de quelques millimètres. Il y avait donc bien une erreur arbitrale, laquelle n’eut d’ailleurs aucune conséquence sur le destin du match; bref, nous parlons d’un détail, d’un fait de jeu qui aurait dû être oublié de suite.
Mais non: on fit le procès de M. Mason. Avec l’aide de la vidéo. Et c’étaient les mêmes imbéciles qui sortaient ânerie sur ânerie pour la fustiger la veille qui menaient l’accusation cette fois, sur la foi…de ralentis et de diagrammes vidéo. On croit rêver, non?
Nous avons tous une part de responsabilité
Etonnez-vous qu’on aie tant de mal à recruter de nouveaux arbitres, à tous les niveaux. Pensez au lynchage de M. Chapron après ce qui, tout compte fait, n’était qu’un moment d’égarement beaucoup plus drôle que bête et méchant. Étonnez-vous qu’ils prennent peur avant de prendre une décision qui pourrait être démontée par la vidéo. Mettez-vous à leur place. Non, vous n’en avez pas envie, n’est-ce pas?
Nous avons tous une part de culpabilité: joueurs qui trichent, managers qui chouinent, spectateurs fanatisés, média obsédés par des pseudo-débats à deux sous, des ‘controverses’ montées de toutes pièces pour faire grimper l’indignation sur les réseaux sociaux, le buzz, le tirage ou le taux d’écoute.
Les seuls qui soient innocents, dans 99,99% des cas, sont les officiels.
‘Protégeons les joueurs!’, s’est exclamé Pep Guardiola après les attentats perpétrés par les ‘joueurs’ de Neil Warnock (Cardiff City, pour les non-initiés) sur son équipe en seizièmes de la Cup. Notez bien: ‘les joueurs’, pas ‘mes joueurs’. Et il avait raison.
Mais si on commençait par protéger les arbitres?