RMC Sport

Philippe Auclair: "Arsenal: le moins mauvais des mondes possibles?"

Arsène Wenger

Arsène Wenger - AFP

Philippe Auclair, le correspondant anglais de RMC Sport, livre son sentiment sur la prolongation d’Arsène Wenger à Arsenal.

On s’y attendait. On s’en doutait. Allez, on le savait. On ne le souhaitait pas nécessairement, mais, à force d’attendre, on avait fini par se faire à l’idée qu’Arsène Wenger succéderait à Arsène Wenger, aussi inévitablement que le jour succède à la nuit, comme il s’est succédé à lui-même depuis que David Dein le fit venir du Japon à l’automne 1996, du temps que Gérard Gili était entraîneur de l’OM et Ricardo celui du Paris Saint-Germain, ce qui ne rajeunira personne.

Soyons francs; nous voilà presque soulagés. La saga-qui-n’en-était-pas-une du ‘partira, partira pas’ avait plombé la saison des Gunners, empoisonné l’air qu’on respirait à l’Emirates encore plus qu’au centre d’entraînement de London Colney. Si le deuxième de la Premier League 2015-16 avait pu se faire humilier 10-2 par le Bayern Munich en huitièmes de finale de la Ligue des Champions, c’était aussi parce que le mental des joueurs de Wenger, qui n’est plus leur point fort depuis longtemps, avait été sur-fragilisé par les atermoiements apparents du directoire du club et de son employé le plus important; si tant est que le mot ‘employé’ puisse être utilisé pour décrire le statut d’un homme devenu tout-puissant dans son club, un Richelieu qui, en plus, se plairait à emprunter la couronne de son maître quand cela lui chanterait.

J’ai mes doutes sur la nature de ces atermoiements. Le bruit qu’un nouveau contrat de deux ans avait été proposé à Wenger avait très vite circulé dans le petit monde des journalistes assignés au beat des Gunners, dès le mois d’octobre 2016. Cela nous étonnait sans nous étonner. Ce qui ne nous étonnait pas, c’était la volonté de l’actionnaire majoritaire Stan Kroenke de conserver en place un gestionnaire impeccable dont la prudence en matière financière s’accordait et s’accorde toujours avec l’objectif numéro 1 de l’Américain: gagner de l’argent, et si cela signifie gagner des titres en prime, eh bien tant mieux! (dans cet ordre, please).

Ce qui nous surprenait, c’est qu’il aurait fallu être sourd pour ne pas entendre les grincements de dents de fans dont les mâchoires s’étaient serrées dès le premier jour de la saison, celui d’une défaite 3-4 à domicile contre Liverpool qui m’avait alors fait dire que cet Arsenal-là ne serait pas champion. On savait le board des Gunners un brin dur de la feuille, mais de là à faire la sourde oreille à ce point, non, même si le Colorado de Kroenke, c’est loin, si loin…Le problème, ce n’était pas parvenir à un accord, c’était trouver le moment idoine pour l’annoncer. Or passé un automne que Wenger consacra au redressement de son équipe – avec succès, ce qu’on a un peu oublié -, il était trop tard. De déception en catastrophe, Arsenal plongea de la première à la sixième place en l’espace de trois mois, et les ultras de la mouvance #wengerout purent s’en donner à coeur joie. Les manifs, les insultes, les bagarres, les slogans, et même les avions. On eut droit à la totale. On y aura sans doute droit encore dans quelques mois.

Je n’ai aucune envie de revisiter cette période qui vit jusqu’aux plus fidèles des loyalistes concéder que le moment était venu de se dire adieu, avant que l’histoire d’amour tourne au remake du Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat. Ce qui tue, dis-je alors, c’est espérer. On s’était fait piéger, une fois encore…Marre, marre, marre. Plus jamais ça.

Mais nous voilà au 1er juin, à trente jours de l’entrée en vigueur du énième contrat du Professor, lequel ne sera pas nécessairement le dernier, quand bien même Arsène sera à quelques mois de tourner septuagénaire quand il expirera, un mot dont le parfum funèbre est choisi à dessein, car il ne fait aucun doute que pour Wenger, la retraite sera la mort. Et me voilà qui titre: ‘le moins mauvais des mondes possibles’…Le soleil taperait-il trop fort sur mon quartier londonien?

Considérons les alternatives. Attention – il y en avait d’autres, à mon sens préférables, et depuis plusieurs saisons déjà. Le club choisit de les ignorer, quand bien même supporters et analystes étaient presque tous convenus qu’Arsenal avait un besoin urgent de repenser sa structure, ses méthodes, ses ambitions; que ce soit au niveau du suivi médical, du scouting, de cette académie qui n’a pas produit un seul Gunner digne de porter ce nom depuis des lustres, de l’utilisation des nouvelles technologies d’analyse de données, des exercices…et de son staff technique, manager compris.

Il aurait été possible d’approcher d’autres managers, même informellement. Cela ne fut pas apparemment pas le cas. Et au fil des mois, rien ne se passant, portes après portes se sont verrouillées, et je vous défie aujourd’hui d’en trouver une qui mène immanquablement vers l’avenir radieux promis par les wengerophobes. Arsenal a laissé stagner une situation qui exigeait qu’on s’en occupât aussitôt. Remplacer Wenger, why not?, mais, aujourd’hui, par qui? Qui est libre? Tuchel? Ce n’est pas la fin en queue de poisson de son séjour au Borussia Dortmund qui me convaincra qu’il pouvait être l’homme de la situation. Et qui, dans ce club où les hommes de football sont si rares, a les capacités ou la jugeotte nécessaires pour identifier le chef de chantier qui devra révolutionner un club enlisé dans sa (relative) médiocrité? Le directeur exécutif Ivan Gazidis a bien essayé de montrer le nez au-dessus du bord de la tranchée, en parlant des réformes à entreprendre, en évoquant à mots plus ou moins couverts la possibilité d’embaucher un directeur sportif, ce qui provoqua une riposte cinglante de Wenger par journalistes interposés. Si duel il y eut entre les deux hommes, le vainqueur en fut le Français, pas l’Américain. Il suffirait pour s’en convaincre d’écouter l’interview que Gazidis accorda au site du club suite à l’annonce de la reconduction du contrat de Wenger. Il ne s’agit peut-être que d’une perception personnelle; mais j’avais le sentiment d’entendre un homme qui savait que son discours ne pèserait pas lourd dans les mois à venir.

Certains des voyants sont d’ailleurs au vert. Même si le réveil fut tardif, trop tardif, à la différence des saisons précédentes, pour assurer une vingtième qualification de rang en Ligue des Champions, on assista bien à un renouveau. Le passage en 3-4-2-1 coïncida avec une excellente série de résultats, tant en championnat qu’en FA Cup, où Arsenal joua ses deux meilleurs matchs de la saison face à Manchester City et à Chelsea. Gagner cette Coupe d’Angleterre, la treizième du club (record), la septième de Wenger (autre record) n’avait rien d’un détail, d’ailleurs, encore que certains voudraient faire croire le contraire. La non-qualification pour la C1 pourrait s’avérer une bénédiction déguisée, à condition que Wenger traite la Europa League comme il traite la League Cup depuis toujours – comme une compétition lui permettant de juger ses jeunes et de donner du temps de jeu aux ‘marginaux’ de son effectif – et se concentre à fond sur le championnat qui lui échappe depuis 2004.

Evidemment que ceci est à prendre avec une pincée de sel des plus copieuses. Le vert pourrait très vite tourner au rouge. La perspective de voir Alexis Sanchez enchanter d’autres publics que celui de l’Emirates n’a rien de rassurant. Dès le premier revers, les cris de ‘Wenger out!’ se feront de nouveau entendre. Il sera bien plus compliqué de convaincre les top players que le manager entend recruter de rejoindre Arsenal maintenant que ces top players seront de repos les mardi et mercredi soirs.

Mais prenez le temps de réfléchir au chaos total qui aurait suivi l’annonce du départ de Wenger alors que nous sommes déjà dans l’inter-saison, alors qu’aucun successeur n’avait été identifié et encore moins pressenti.

Il se peut – ce n’est qu’un vœu, pas une conviction – que ce bail de Wenger soit celui pendant lequel il songe enfin à préparer l’inévitable transition. Il se peut que les promesses de changement soient actées.

Que les choses soient claires: j’en doute. Mais dans l’état actuel des choses, ce monde que nous allons découvrir est peut-être le moins mauvais de ceux qui étaient possibles quand tant d’opportunités de le changer pour de bon avaient été ignorées. Ce maudit espoir ne nous laissera jamais en paix, décidément.

VIDEO : quel coach entre Zidane et Deschamps ? Le choix de Rothen

Philippe Auclair