Philippe Auclair: "Rooney, joueur d'équipe jusqu'au bout"

Wayne Rooney - AFP
"J’avais tout faux: je croyais que la perspective d’une autre Coupe du Monde le convaincrait de poursuivre au moins jusqu’en juin prochain, lui qui n’était plus qu’à six capes du record de Peter Shilton. Je le voyais dans un rôle de mentor d’une nouvelle génération de joueurs anglais pour qui il fut et demeure une idole. Ce rôle lui serait allé comme un gant. Il le jouera, d’ailleurs, mais plus avec la sélection anglaise, avec Everton; on doit avoir débouché le champagne du côté de Goodison Park, d’ailleurs: pour la première fois de sa carrière, Wayne Rooney sera libre de ne plus penser qu’à son club.
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Mais je m’exprime mal, j’écris ces lignes a toute vitesse, à chaud, sans notes: un homme qui a symbolisé le foot-émotion en Angleterre depuis sa fracassante entrée en scène, il y a quinze ans de cela, mérite mieux qu’une avalanche de statistiques qui n’expliqueront jamais pourquoi l’annonce de sa retraite internationale a suscité de réactions aussi fortes en Angleterre.
Je m’exprime mal, disais-je; car il continuera de penser aux Three Lions, comme le superfan qu’il a toujours été, lui qui n’a jamais refusé l’appel de ses sélectionneurs, même quand il aurait été plus pratique de s’esquiver, quand il était blessé, ou à court de condition, comme ce fut le cas lors de presque tous les grands tournois auxquels il a participé. D’autres auraient dit, sorry, pas cette fois. Cette idée ne lui a jamais traversé l’esprit, vous pouvez en être sûr; et je ne doute en rien de sa sincérité de sa tristesse quand il songe aux matchs qui se joueront sans lui. Il l’a porté avec fierté, ce maillot, pour les siens, pour son team. Les grands joueurs, il y en aura toujours, et il en est un; les grands joueurs d’équipe, eux, sont beaucoup plus rares. Il en aura été l’un des derniers modèles et, bon Dieu, qu’il va nous manquer.
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Pourquoi demander à Rooney d’être un Maradona?
Que lui reproche-t-on? De ne pas avoir maradonisé l’équipe d’Angleterre, en quelque sorte; d’avoir transformé par son talent et son génie si particuliers une sélection qui eut le tort d’être à son niveau – qui n’a rien de déshonorant – en un âge où il n’y a de place que pour les vainqueurs qui écrasent tout sur leur passage. Il ne le fit qu’une fois, lors de son premier Euro, en 2004; avec le Rooney qu’on avait vu jusqu’à sa blessure, l’Angleterre aurait été sacrée championne d’Europe cette année-là, j’en suis convaincu. Du coup, tout ce qui s’est ensuivi a été perçu, à tort, comme un échec. Pourquoi demander à Rooney d’être un Maradona s’il ne sait faire que du Rooney, et qu’il l’a fait mieux que personne?
Dans la galaxie des vrais grands, il occupe une place à part, en ce que sa grandeur n’est pas celle d’un ‘extraterrestre’ à la Ronaldo – de quelconque des deux Ronaldos -, d’un Messi ou, avis qui n’est pas que personnel, d’un Bergkamp. Il n’eut jamais les mêmes qualités foncières, et si mystérieuses, au fond, de ces spécimens hors-norme. Il savait tout faire, mais sans qu’on s’extasie qu’il le fasse au niveau d’irréalité des joueurs que j’ai cités. Il ne fut jamais le meilleur dribbleur, le meilleur tireur, le meilleur passeur, même s’il savait dribbler, tirer, passer, et défendre, et se ‘mettre minable’ à tous les postes que ses entraîneurs lui ont confiés.
Rooney, ce n’est pas que l’acrobate qui claque le fameux retourné contre Manchester City; c’est aussi le footballeur qui balance un corner derrière la ligne de but, le fougueux qui a tant de mal à gérer son énergie, un gamin de trente-et-un ans qui n’a jamais perdu les réflexes, bons et mauvais, acquis en tapant dans le ballon dans les rues de Croxteth. Il n’y a rien de paradoxal à ce que ce soient ces défauts, ces manques (pas ‘carences’, car il n’en a pas) qui le définissent autant que ses coups d’éclat. C’est d’ailleurs pour ça qu’il nous a captivés de suite. C’est comme si on avait grimpé dans une machine à remonter le temps et qu’on avait découvert un footballeur qui aurait sans doute été plus à son aise, et plus apprécié, aux côtés de Duncan Edwards ou de Tom Finney que de David Beckham ou de Rio Ferdinand.
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Un égoïste aurait été tenté de continuer
Les ‘bilans’ attendront. La retraite internationale n’est pas la mort. En laissant le champ libre à la génération Rashford et consorts, Rooney se donne une chance d’ajouter deux, voire trois saisons à sa carrière, lui qu’on promettait à la Chine ou à la MLS il y a encore trois mois. Peut-être que l’Angleterre en bénéficiera, maintenant que le dernier des ancêtres de la Golden Generation a tiré sa révérence. Au vu des résultats exceptionnels des sélections de jeunes cet été, c’est tout à fait possible. En faisant ses adieux de la sorte, Rooney ôte aussi un bouquet d’épines des pieds de Gareth Southgate, à qui on ne les cassera plus pour avoir retenu ou écarté la seule superstar globale que l’équipe d’Angleterre comptait encore dans ses rangs. La sérénité est une vertu rare dans la chaudière en surrégime des Three Lions. Une pelletée de combustible en moins ne peut que lui faire du bien.
Un égoïste aurait été tenté de continuer. Regardez le programme de la sélection anglaise en septembre et en octobre, ajoutez-y les matchs amicaux du printemps et de préparation au Mondial. Même en faisant un bout de match par ci et par là, Rooney aurait pu dépasser Shilton. Ils sont quelques-uns à avoir collectionné les capes de raccroc de cette façon dans un passé récent. Pas pour la première fois, le choix personnel de Rooney a coïncidé avec le scénario qui était à l’avantage du collectif.
Les cyniques ne seront pas d’accord. Parleront du joueur qui saute du bateau avant d’en être poussé, qui cherche à préserver sa réputation avant tout. En ce qui me concerne, les cyniques auront tout faux, comme d’habitude. Ils n’ont jamais compris ce qui faisait l’unicité de Rooney, de toute façon. Nous perdons beaucoup en perdant Wazza; eux perdent beaucoup plus. Bonne fausse retraite, monsieur Rooney."
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