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Portugal: pourquoi et comment QSI, propriétaire du PSG, investit à Braga

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En investissant au Portugal, l’actionnaire du Paris SG, QSI, poursuit sa volonté d’expansion à l’internationale. Ce qui engendre aussi un certain nombre de questionnements.

Depuis le lundi 10 octobre 2022, Qatar Sports Investments investit le marché portugais. QSI – société propriétaire du Paris Saint-Germain depuis 2011 et dont Nasser Al-Khelaifi est le président – a acquis 21.67% des parts du capital social de la société anonyme sportive (SAD, en portugais) du Sporting Clube de Braga.

"Le Portugal est un pays fondé sur le football - avec des fans parmi les plus passionnés et l'un des meilleurs réseaux de talents au monde, se félicite Al-Khelaifi dans un communiqué. Le SC Braga est une institution portugaise exemplaire - avec une histoire prestigieuse, une ambition énorme et une réputation d'excellence sur et en dehors du terrain." Une affaire initiée il y a de longs mois et conclue en avril dernier, dans un hôtel parisien, entre décideurs qataris et minhotos. Avec, pour entremetteur, Antero Henrique.

L’actuel directeur sportif de la Qatar Stars League avait déjà tenté de rapprocher le PSG du championnat portugais. En 2018, celui qui était alors le directeur sportif du club parisien cherchait un club, un pont, où les "Titis" puissent poursuivre leur progression. Pour Antero, l’équipe réserve du PSG (qu’il dissoudra) n’était pas propice au développement de jeunes talents. Un protocole avec le Vitória SC semblait se dessiner. Il ne verra finalement pas le jour. Et c’est le Sporting de Braga, club rival et voisin de Guimarães, qui se lie au PSG. Mais sous une autre forme.

"Le Sp. Braga ne sera jamais le club satellite de personne"

En juillet dernier, au moment où deux jeunes joueurs laissés libres par le Paris Sant-Germain (Jordan Monteiro et Enzo Tayamatou) rejoignent les Arsenalistas, certains y voient un rapprochement. Le Parisien titre: "Le SC Braga en passe de signer un partenariat avec le PSG." A ce moment-là, les contacts entre QSI et le président des Guerriers du Minho, António Salvador, sont réels.

"L’idée est de transformer le club portugais en satellite de l’écurie française", écrit le quotidien francilien. Un écho qui résonne mal chez Salvador: "Le Sp. Braga ne sera jamais le club satellite de personne, ni à l’étranger, ni au Portugal. Quand nous sommes arrivés ici il y a presque 20 ans nous avons tracé l’objectif d’être indépendants de tout et de tous." De fait, quelques mois plus tard, il n’est pas question de "partenariat", ni de "satellite", mais d’actionnariat.

En rachetant les parts qui étaient détenues par Olivedesportos, et à en croire le dernier rapport comptable de la SAD, QSI devient le deuxième actionnaire des Guerriers du Minho, derrière le club / l’association (36,88%) et devant Sundown Investments Limited (17,04%) – sur qui le lanceur d’alerte lié aux "Football Leaks", Rui Pinto, a récemment émis des doutes. QSI devient le premier actionnaire extérieur de la SAD du Sporting de Braga.

"Cette opération n’entraîne aucun changement dans la gestion du Sporting Clube de Braga Futebol, SAD, (r)assure António Salvador. Une totale autonomie sur les décisions étant maintenue vis-à-vis de l’Administration nommée avec le soutien de l’actionnaire majoritaire, le Sporting Clube de Braga [le club]." Et en cas d’ouverture de capital, qu’en serait-il ? Sérgio Pereira, éditeur-en-chef du site maisfutebol écrit que QSI "ambitionne à l’avenir d’augmenter sa participation" dans le capital de la SAD du Sp. Braga.

"Les droits de vote mentionnés sont aussi imputables à l’Etat du Qatar"

Certes, pour le moment, le club demeure le principal décisionnaire, mais en rachetant les parts d’Olivedesportos, QSI hérite aussi du droit de vote de cette dernière. Dans le communiqué envoyé au marché boursier portugais (CMVM ; la SAD de Braga est cotée en bourse), il est d’ailleurs précisé: "Qatar Sports Investments informe que les droits de vote mentionnés sont aussi imputables à l’Etat du Qatar, en tant qu’entité ayant le pouvoir de contrôle sur Qatar Sports Investments."

Une posture qui inquiète certains supporters et suiveurs du Sp. Braga. L’ancien dirigeant du club, António Duarte, qui "demande la démission de Salvador", alerte dans Record: "Le pire est à venir. C’est un positionnement de pouvoir qui dépasse les supporters et nous ne pouvons permettre que cela puisse se produire."

Ricardo Rio, maire de la ville Braga - qui fut pendant longtemps l’un des principaux actionnaires du club - se veut rassurant: "Ma première préoccupation était que le Sp. Braga ne perde pas le contrôle sur la SAD. D’après ce qui a été annoncé, il s’agit d’un mouvement de parts entre actionnaires privés."

"Il ne s’agit pas d’un investisseur particulier mais de l’Etat du Qatar, poursuit-il. Cette attention qu’éveillent le Sp. Braga et Braga, de façon indirecte, chez une puissance économique comme celle-ci peut, je l’espère, entraîner d’autres opportunités d’investissement qui pourraient se présenter à l’avenir."

Cité sur maisfutebol, João Paulo Correia, Secrétaire d’Etat aux sports portugais, constate "l’entrée sur le marché portugais d’un des plus grands investisseurs internationaux" et indique que "cet investissement démontre l’attractivité de l’industrie du football national, en espérant qu’il soit toujours plus compétitif sur le plan international." A noter qu’un groupe de travail a récemment été créé afin de règlementer sur la transparence des investissements réalisés au sein des insututions sportives portugaises.

Conflit d’intérêt ou pas ?

Face à cette opération, peut aussi se poser aussi la question d’un possible conflit d’intérêt. Sur les quinze dernières années, le Paris SG et Sporting de Braga n’ont loupé l’Europe qu’à une seule reprise. Et potentiellement, ils pourraient, comme en 2008-2009 (en huitièmes de C3), se retrouver face-à-face.

L’article 5 du règlement de l’UEFA sur les compétitions européennes portant sur "l’intégrité des compétitions/multipropriété des clubs" stipule: "Aucun club participant à une compétition interclubs de l’UEFA ne peut directement ou indirectement détenir ou négocier des titres ou des actions de tout autre club participant à une compétition interclubs de l’UEFA" ; "personne ne peut être, en même temps, directement ou indirectement impliqué, de quelque manière que ce soit, dans la gestion, l’administration et/ou les activités sportives de plus d’un club participant à une compétition interclubs de l’UEFA" ; de même, "aucune personne physique ou morale ne peut avoir le contrôle de ou exercer une influence sur plus d’un club participant aux compétitions interclubs de l’UEFA, un tel contrôle ou une telle influence se définissant dans le présent contexte comme le fait d’être en mesure d’exercer, de quelque manière que ce soit, une influence décisive lors de la prise des décisions du club."

Bien qu'il ne soit pas actionnaire majoritaire à Braga, QSI y détient son droit de vote. Celui-ci peut-il être jugé "décisif" par les instances ? Ce mardi, le quotidien O JOGO (aussi) se pose la question. Si tel était le cas, conformément au règlement, c’est le club portugais, au regard de ses résultats sportifs, de son classement, et du ranking UEFA qui devrait se retirer. Contactée par RMC Sport, l’UEFA renvoie au fameux article 5 et affirme "ne pouvoir commenter le sujet à moins qu’une décision finale ait été prise et communiquée, dans les cas où une décision s’avère nécessaire".

L'article 5 du règlement de l'UEFA
L'article 5 du règlement de l'UEFA © Capture UEFA

Concurrencer Benfica, Porto et Sporting ?

Avec l’investissement du Qatar, le président Salvador espère dépoussiérer le football portugais. L’homme d’affaires qui avait obtenu son premier mandat à la tête du SCB en 2003, a déjà proposé un "plan", l’été dernier, afin d’augmenter la compétitivité et la concurrence au sein d’un campeonato vampirisé par les "Trois grands". Depuis son existence et après 88 éditions, le championnat portugais n’a connu que cinq champions différents: Benfica (37 titres), FC Porto (30), Sporting (19) et… Belenenses et Boavista, à une seule reprise.

Braga, qui avait atteint la finale de l’Europa League 2011 (perdue face… au FC Porto), qui avait terminé dauphin du Benfica en 2010, aimerait sortir de l’ombre des géants. Mais comment ? Alors que de plus en plus de clubs portugais se vendent à des investisseurs étrangers, alors que les grands, eux, restent prudents face à cette possibilité, Salvador part se chercher des alliés ailleurs, s’ouvre et tente le pari. Celui de tenter le boss de Paris, avec le fantasme de voir gonfler un budget sans cesse grandissant - qui dépasse les 30 millions d’euros cette saison – mais encore loin du trio.

Au lendemain du communiqué dévoilant l’entrée de QSI à Braga, les éditos dans la presse portugaise sont éloquents: "Le jour qui a changé le football portugais", écrit le gestionnaire Mauro Xavier dans Record qui évoque "le moment du virage dans le football portugais". "Braga a fait un pas de géant", assure Jorge Maia dans O JOGO qui se demande si "les règles d’un jeu que nous nous sommes habitués à voir être disputé par un groupe restreint de trois clubs ne viendraient pas à changer". "Un requin du Qatar nage dans les eaux du football portugais", dessine José Manuel Delgado dans A Bola. Une forme d’enthousiasme qui va jusqu’à titiller la bourse.

Echanges d’expertises

En quelques heures, l’action du SC Braga a grimpé de 20% sur le marché Euronext. "Nous croyons que QSI est l’actionnaire parfait pour accélérer notre expansion et notre croissance, en nous aidant à réaliser notre potentiel", assure-t-il. "En tant qu’investisseurs et partenaires, nous sommes motivés par l’innovation, la croissance et le développement – tant au niveau des équipes masculines et féminines, comme sur l’aspect commercial de la marque – afin que le Sp. Braga poursuivre son chemin ambitieux", répond Al-Khelaifi.

Et la marque SC Braga aurait été évaluée aux alentours des 90 millions d’euros. Selon une source proche de la société qatarienne citée par l’AFP, QSI aurait aligné 20 millions d’euros pour moins de 22% des parts de la SAD. Le montant est en-deçà, glisse un autre proche du dossier. Quoi qu’il en soit, le SCB a des arguments : une expertise en matière de détection, formation et valorisation des joueurs. Depuis sa prise de pouvoir (2003), Salvador a vendu pour plus de 300 millions d’euros en transferts de joueurs, comme David Carmo, Trincão ou Pedro Neto mais aussi d’entraîneurs, comme Rúben Amorim "transféré" pour 10 millions d’euros au Sporting (hors intérêts).

En attendant la prochaine négociation des droits télés prévue pour 2027 – qui seront mutualisés pour la première fois au Portugal – le Sp. Braga espère aussi s’appuyer sur le réseau et les connaissances de QSI en matière de sponsoring et merchandising. Le Qatar, lui, poursuit également son développement à l’international, à l’image ce qu’il a pu faire en Belgique (à Eupen), en Espagne (Cultural Leonesa), en Autriche (LASK Linz) à travers Aspire Zone Foundation. Le voilà maintenant au Portugal, dont le football est autant (re)connu pour son savoir-faire en matière de formation, qu’en matière de trading et autres business…

Nicolas Vilas