Serie A: le projet ambitieux du Genoa présenté par les Américains de 777 Partners, nouveaux propriétaires

Les premières semaines des nouveaux propriétaires du Genoa n’ont pas été de tout repos. Entre le début de saison raté sous l’ancienne présidence et la volonté de structurer le club dès sa prise en main, Juan Arciniegas n’a pas eu le temps de s’ennuyer. Le Directeur général supervise les investissements de 777 Partners dans le sport et a donc plongé dans l’univers des Rossoblù. Pour RMC Sport, il évoque le projet de la société d’investissement américaine pour le club de Gênes tant sur l’urgence sportive relative à la saison 2021-2022 que sur les perspectives à long terme.
Entre la nomination d’Andreï Shevchenko au poste d’entraîneur et l’arrivée d’un nouveau directeur sportif, Johannes Spors, Allemand de 39 ans et ancien collaborateur de Ralf Rangnick à Hoffenheim et Leipzig, les nouveaux propriétaires ont affirmé leurs ambitions et leurs idées très claires sur le développement économique et sportif du club à long terme. Mais avant de penser aux années à venir, il convient de redresser la barre en championnat, où le Genoa occupe une inquiétante 18e place.
Pourquoi avoir choisi le football italien pour investir dans un club et en devenir le propriétaire?
"Nous avions déjà commencé à investir dans l’industrie du sport avant de nous intéresser au Genoa. L’Italie est devenu un marché intéressant, pas seulement parce que c’est l’un des meilleurs championnats, mais parce que ce football a connu un déclin et nous avons vu l’arrivée d’investissements intelligents. Nous pensons qu’il n’est pas impossible du tout que le football italien reprenne sa place d’avant déclin et il existe même un potentiel pour faire encore mieux.
Nous essayons toujours de trouver des actifs sous-évalués que nous pouvons aider à développer. C’est vrai que l’Italie est aussi un fantastique pays. Les Américains sont obsédés depuis longtemps par ce pays, c’est le berceau de l’art. Tout ceci a créé les bonnes conditions pour ajouter un club italien à notre portfolio."
Après avoir identifié le pays, il a fallu trouver le bon club…
"Quand on a étudié les clubs qui présentaient la meilleure attractivité, on a regardé plusieurs situations, mais finalement aucun avec autant de détails que le Genoa. Ce qui nous a marqué, c’est que le Genoa est dans une ville, Gênes, qui a connu un peu la même trajectoire que le club, le plus ancien du football professionnel italien, et que le championnat. Gênes, avec son port, était l’une des villes les plus fortes et plus riches au monde il y a bien longtemps (du temps de la République de Gênes, notamment au XIVe siècle, ndlr).
Après le déclin, la municipalité a aujourd’hui de nombreux projets pour revitaliser la ville, comme une ligne à haute vitesse pour la connecter avec Milan. Et puis, dans le nom du club, Genoa Cricket and Football Club, il y a le nom de la ville (Gênes se dit Genoa en anglais, ndlr), contrairement à d’autres clubs. Et dernier point important, c’est aussi le club le plus ancien d’Italie, avec une large base de supporters. Tous ces éléments nous ont convaincu que c’était le club idéal, le candidat parfait."
Est-ce que le fait que de nombreux investisseurs américains ont déjà racheté des clubs italiens ces dernières années a pu faire partie de votre réflexion?
"C’était un ingrédient supplémentaire, mais pas une raison. Cela nous a permis d’être plus à l’aise, même si nous n’avons pas peur d’être les premiers à arriver dans un secteur qui a de la valeur. Mais c’est vrai que c’est plus facile pour changer des choses et ajouter un degré de professionnalisation dans ce championnat. Nous avons beaucoup de respect pour les autres investisseurs américains du football italien et nous pensons même que nous pouvons avoir une bonne collaboration avec eux."
Vous parlez de collaboration future mais les avez-vous rencontrés avant d’investir, pour avoir par exemple des retours d’expérience, ou peut-être que vous songez à le faire rapidement?
"Nous n’avons pas eu de réunion ni de discussion tous ensemble, mais nous avons échangé individuellement à plusieurs moments. Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que l’on se retrouve ensemble, que nous fassions plus ample connaissance et que nous rassemblions nos idées pour arriver avec des propositions concrètes pour l’ensemble du championnat. Nous ne gérons pas la Ligue, nous en faisons simplement partie, mais je pense que c’est important de collaborer et créer ensemble de la valeur pour le football italien."
Johannes Spors incarne ce qu'est notre projet: il est jeune, il est ambitieux, il n'a pas peur d'être le premier directeur sportif allemand en Italie, il comprend l'importance de la data.
En Angleterre, le ticket d’entrée pour racheter un club équivaut à plusieurs centaines de millions d’euros. En Allemagne, la loi l’empêche. Par conséquent, on a l’impression que beaucoup d’investisseurs se tournent vers l’Italie. Huit clubs de Serie A sont désormais détenus par des propriétaires étrangers dont six sont basés aux Etats-Unis. Qu’est-ce qui explique cette arrivée massive?
"Je ne peux pas parler pour tout le monde. Je pense qu’un point important est le prix pour racheter un club. Mais il y a aussi beaucoup de challenges devant nous, comme celui des infrastructures. Je sais que l’incapacité de pouvoir posséder son propre stade a par exemple conduit des investisseurs à partir. C’est aussi une part importante de notre projet. Il y a un travail important à faire. Quand vous comparez ce que touchent les dix premiers clubs italiens en terme de revenus 'jour de match' et que vous le comparez à d’autres pays, c’est très faible."
Le Genoa est dans une situation compliquée au classement, avec cette 18e place. Quelles sont les premières actions que vous voulez mettre en place pour améliorer la compétitivité de l’équipe, après les arrivées d’Andreï Shevchenko sur le banc et de Johannes Spors comme directeur sportif de l’équipe?
"Sur le volet économique, nous travaillons avec notre département commercial pour développer les revenus et mettre en place des deals qui apporteront de nouveaux revenus, qui serviront également au renforcement de l’équipe. Nous sommes également en train d’embaucher à plusieurs postes clés de notre organisation. Nous allons par exemple avoir un nouveau directeur financier à la mi-janvier que nous sommes ravis d’avoir convaincu de rejoindre notre projet. Nous voulons être certains que nous adhérons à de bonnes pratiques financières avec des dépenses intelligentes.
D’un point de vue sportif, outre le fait d’avoir choisi un super entraîneur qui correspond à notre philosophie, un élément clé est l’arrivée de Johannes Spors. Il incarne ce qu’est notre projet: il est jeune, il est ambitieux, il n’a pas peur d’être le premier directeur sportif allemand en Italie, il comprend l’importance de la data. Il sait aussi ce que le court terme nécessite, c’est à dire de quelles ressources nous avons besoin pour nous maintenir en Serie A, mais il s’implique aussi dans ce projet à long terme.
Nous ne sommes pas des investisseurs de court terme. Nous n’avons pas à dégager une rentabilité pour des personnes extérieures à un moment précis, cela ne dépend que de nous. Le long terme commencera à partir de l’été prochain. Quant au court terme, c’est dommage que nous ayons cette situation sportive, mais on l’accepte et on doit travailler à partir de janvier pour la corriger."
L’arrivée de Johannes Spors est très intéressante. C’est typiquement un mouvement que seul un propriétaire étranger fait en Serie A. On voit depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans toujours les mêmes têtes dans les directions sportives avec un recyclage important. Or, ce qu’on voit dans des clubs gérés par des investisseurs étrangers, c’est qu’il y a un Français à la tête de la cellule de recrutement à Milan, un Portugais à la tête de la direction sportive à Rome, et vous faites venir un jeune allemand de 39 ans au Genoa.
"On ne peut évidemment pas contrôler la perception qu’auront les gens quant à notre choix, mais nous sommes certains que c’est un choix judicieux. Johannes va devoir s’adapter car il ne peut pas tout révolutionner à son arrivée. Il doit trouver le bon équilibre avec le respect de la culture et de la tradition. Il faut être déterminé, suivre le plan et bien communiquer auprès de nos supporters. Depuis le premier jour, nous affichons notre cohérence autour de notre projet, nos valeurs et nos objectifs. Et depuis notre arrivée, on voit que nos supporters sont réceptifs à tout ça.
Tous nos choix sont motivés par une raison claire. Bien sûr, les résultats ne se sont pas améliorés, mais nos supporters voient à travers nos actions ce que nous souhaitons mettre en place. Je ne peux pas dire que je suis surpris, je suis juste très reconnaissant envers eux pour leur soutien. Les voir chanter jusqu’à la dernière minute du derby que nous avons perdu est une grande fierté et nous espérons pouvoir leur redonner des vibrations positives en retour."
Les supporters attendent aussi de vous que des joueurs soient recrutés au mercato de janvier, même si ce n’est pas une fenêtre idéale pour recruter.
"Vous avez raison, on doit être réaliste avec ce marché des transferts en janvier. C’est une petite fenêtre, où il faut être très stratégique. Les prêts de joueurs ont par exemple une place plus importante qu’ils peuvent l’avoir l’été. Johannes Spors et son staff ont d’abord un travail important à faire, avant de parler de recrutement : ils analysent en profondeur l’équipe, tous les joueurs, ils revoient tous les matches, ils cherchent toutes les statistiques à compiler, ils parlent aux joueurs… Tout ça pour identifier les secteurs de jeu où les besoins sont importants. Et ensuite, il faut faire les transactions les plus efficaces pour renforcer l’effectif.
Nous ne sommes pas là pour faire des promesses en sortant un chiffre magique d’investissement, mais nous promettons que nous allons dépenser de manière intelligente et responsable sur le court terme pour nous maintenir en Serie A. Je sais que les attentes sont très élevées et c’est pour ça que nous avons pris le temps pour nommer le directeur sportif que nous voulions, alors que tout le monde nous demandait 'quand est-ce qu’il arrive ?' On a trouvé la bonne personne et le travail commence."
Le maire est très compétent, il est conscient qu’avec la configuration actuelle, il y a des opportunités ratées pour la ville de Gênes.
Revenons un instant sur l’un des éléments qui vous a convaincu d’acheter le club: le Genoa a été fondé en 1893 et porte une longue tradition. Vous savez que les investisseurs étrangers, notamment américains, issus de la finance ou non, sont souvent pointés du doigt pour leur volonté de tout moderniser, d’apporter les codes du sport américain, de plus penser au business qu’au sportif… Comment réussir à allier tradition et business?
"Vous savez, une bonne façon de tourner le dos à la tradition serait de dire que nous ne voulons plus du stade actuel et pratiquer un lobby intensif auprès du maire pour avoir l’autorisation de construire une nouvelle enceinte. Mais ce n’est pas ce que nous voulons. On reconnaît la valeur émotionnelle et historique de notre stade actuel. En fait, on l’adore. Ok, il est ancien, mais il fait partie de l’expérience du match. Nous travaillons avec l’une des sociétés les plus importantes au monde sur la question du stade.
Combien d’argent devons-nous investir pour moderniser le stade actuel et en faire un outil qui répond aux plus hauts standards du moment. Mais la question de l’environnement du stade se pose également, comme avoir des zones pour les supporters. Ce n’est pas juste des éléments pour nous aider nous, les propriétaires, mais ils concernent aussi la ville. Nous voulons avoir un stade qui peut être utilisé 365 jours par an et la ville est consciente de cette problématique. En Angleterre, aux abords du stade, il y a des pubs pour se retrouver, tout un contexte favorable aux supporters."
Le stade étant en pleine ville, avec des immeubles tout autour et un cours d’eau qu’on ne peut déplacer, vous êtes limités sur la zone…
"Il y a un parking qui enjambe le cours d’eau et que l’on peut exploiter. Mais c’est précisément la raison de notre volonté de collaborer avec la ville. Nous voulons arriver avec des propositions à soumettre au maire et elles ne doivent pas simplement être acceptées, elles doivent être supportées par la municipalité. Certaines de nos propositions peuvent requérir leur aide pour créer l’espace dont nous avons besoin. Le maire est très compétent, il est conscient qu’avec la configuration actuelle, il y a des opportunités ratées pour la ville de Gênes. Avec un meilleur aménagement de la zone, il peut y avoir un effet boule de neige. Marassi est un quartier qui a clairement besoin d’être rafraîchi. Ce n’est pas seulement une question de stade."
Le club a une image un peu poussiéreuse depuis quelques années, il n’a pas pris le virage de la modernité. Est-ce un club qui parle à la jeune génération? Comment devenir populaire auprès d’elle?
"Nous avons cette volonté de reconnecter la marque Genoa avec la jeune génération. Nous devons faire une évaluation: qui sommes-nous? Quelle image voulons-nous renvoyer? Comment communiquons-nous avec nos supporters et pas seulement sur le ton ou le fond, mais aussi sur quelles plateformes? Nous venons tout juste de lancer Genoa TV qui est l’une de nos premières initiatives. C’est juste une première étape, nous avons des idées qui vont s’ajouter comme le fait de ne plus avoir une communication seulement descendante, c’est à dire du club vers les tifosi, mais aussi ascendante, de nos supporters vers le club. Il y aura beaucoup de contenu en vidéos autour du Genoa, des employés, des fans…"
Un bon exemple pour vous, réalisé par l’ancien propriétaire américain du club, est peut-être la Roma. Ce club n’avait pas la réputation mondiale des trois grands clubs du Nord de l’Italie: la Juve, le Milan et l’Inter. La Roma n’était pas dans une très bonne passe sportive. Pourtant, ils ont choisi un axe de communication détonnant, avec beaucoup d’humour, des initiatives créatives, du divertissement… Et les études ont montré que la réputation du club avait bondi chez la jeune génération, grâce à cette communication à travers les réseaux sociaux et des plateformes digitales. Ils ont "recruté" de nouveaux supporters, de nouveaux fans, en Italie et partout dans le monde.
"Vous avez totalement raison. La Roma est un super exemple. Ils ont été tellement créatifs grâce à leur département digital. Ils ont fait un incroyable job!"
Le football italien évolue et prend l’ère du digital avec les droits TV achetés par une plateforme OTT, DAZN, mais aussi à travers la recherche de financements différents. On a vu des fonds de private equity discuter avec la Ligue italienne de football pour créer une nouvelle entité commerciale. Les négociations ont finalement échoué mais elles peuvent repartir dans les prochaines semaines. C’est un dossier que vous allez suivre?
"Je pense que la Serie A doit considérer un deal de cette sorte, mais ce n’est pas forcément une obligation de passer par une forme de financement avec des fonds de capital-risque. Il y a plusieurs combinaisons possibles, mais il est certain que le football italien a besoin de l’injection de nouveaux capitaux. On traverse une période compliquée et on ne sait pas encore ce qui va se passer avec cette cinquième vague.
Je ne pense pas que ce serait très intelligent de ne pas avoir ce type de conversation au niveau des clubs et de la Ligue. Mon avis est qu’il faut faire quelque chose. En Espagne, il y a eu plusieurs propositions, à travers du capital-risque autour de CVC, mais comme d’autres clubs n’étaient pas d’accord, ils ont proposé une autre solution. Finalement, c’est le deal avec CVC qui a gagné. On doit avoir ces conversations en Italie."
La France est un marché très attractif grâce aux bons centres de formation et si cela peut coller avec notre stratégie et notre réseau, nous verrons.
Vous êtes propriétaires du Genoa, vous avez également une participation minoritaire dans le Séville FC, est-ce que vous songez à créer un réseau de clubs, à la manière du City Football Group, de Red Bull ou d’autres organisations?
"Absolument. On réfléchit à cela. Nous pensons qu’il y a beaucoup d’intérêts à avoir plusieurs clubs. Ce n’est pas seulement pour avoir une sorte de playbook au niveau économique, mais cela concerne aussi le sportif: avoir des équipes qui ont la même idée de jeu, la même façon de jouer, de s’entraîner... Cela peut permettre à des joueurs de passer d’un club à l’autre sans besoin de temps d’adaptation très long.
Cela a beaucoup d’avantages. On peut aussi centraliser le scouting. On peut avoir plus de force sur des aspects commerciaux. C’est définitivement quelque chose que l’on veut faire, mais pour le moment, nous sommes concentrés sur le Genoa et tous nos efforts vont vers notre club pour éviter la relégation. Mais dès que l’on pourra respirer, on engagera des recherches pour prendre d’autres clubs dans différentes régions du monde."
Le nom de 777 Partners a été évoqué du côté de Saint-Étienne et vous aviez déjà démenti auprès de RMC Sport un intérêt à racheter le club.
"Tout à fait."
Est-ce que le marché français, dans un avenir plus lointain, peut quand même vous intéresser? On parle beaucoup de ce pays comme étant l’un avec la meilleure formation, ce qui ouvre pas mal de perspectives…
"La France a sorti quelques-uns des meilleurs joueurs au monde et elle le fait depuis des années. C’est vrai que le marché français peut nous intéresser à l’avenir. Je ne dis pas que nous investirons, ni que nous ne le ferons pas, mais il est certain que nous regarderons les opportunités. C’est un marché très attractif grâce aux bons centres de formation et si cela peut coller avec notre stratégie et notre réseau, nous verrons."