Socrates, le « Docteur » s’est éteint

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Sa barbe fournie et sa tignasse bouclée orneront à jamais les livres d’Histoire. Avec sa silhouette longiligne et son élégance naturelle, Socrates a marqué son époque. Le Brésil pleure aujourd’hui sa disparition. Le monde du football également. Admis dans un hôpital de Sao Paulo jeudi dans un état grave, l’ancien milieu de terrain est décédé ce dimanche à 4h30 du matin. L’artiste au port altier s’en est allé à l’âge de 57 ans, emporté par une infection intestinale. Accroc à l’alcool et aux cigarettes, Socrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira – de son nom complet – avait déjà été hospitalisé pour les mêmes raisons à deux reprises ces derniers mois.
Durant sa carrière, le frère aîné de Raï accordait déjà peu d’importance à son hygiène de vie. Pour compenser son manque de coffre, il pouvait compter sur un toucher de velours et une vision panoramique. Au cœur du jeu, le natif de Bélem était un chef d’orchestre sublime. « C’était le talent à l’état pur, résume Joël Bats, l’ancien portier des Bleus. Un joueur d’une autre époque. Il avait une qualité technique très au-dessus de la moyenne. C’était un gentleman sur le terrain. » Passes millimétrées, dribbles gracieux, frappes soudaines, ses partitions ont fait les beaux jours de la Seleçao. En 60 capes, Socrates a inscrit 22 buts pour son pays. Sans toutefois ajouter une ligne à son palmarès. Pourtant entouré d’une génération magique, celle des Zico, Falcao et autres Junior, celui qui porta le brassard durant les Coupes du monde 1982 et 1986 n’a jamais remporté le moindre trophée.
Artiste, docteur et militant
Après avoir quitté prématurément le Mondial espagnol, les élèves de Telê Santana, garant du « football samba », tombent contre l’équipe de France quatre ans plus tard au Mexique. A l’issue d’une séance de tirs aux buts devenue légendaire, Socrates manque sa tentative et Luis Fernandez envoie les Bleus en demi-finale… « Après cette rencontre, on est allé dans les vestiaires des Brésiliens, se souvient Alain Giresse. Je voyais ce grand bonhomme avec sa barbe, complètement abattu. C’était touchant. C’est un joueur dont on se souvient. » Fernandez : « Je suis triste qu’il soit parti aussi jeune. C’était un monument. Il a marqué une période du football brésilien. C’était un joueur élégant, gentil. C’est une grande perte. »
Au-delà de son talent sur le pré, l’ancienne star des Corinthians était également reconnue pour son engagement politique. Apôtre de la justice sociale, Socrates – du nom du célèbre philosophe grec – était un militant acharné. Sous la dictature du maréchal Castelo Branco, le libre penseur a toujours combattu pour ses idées. Avec certains de ses coéquipiers, il crée à ses risques et périls « la démocratie corinthiane », un système qui associe les joueurs aux décisions du club. « Le Docteur », surnom de ce diplômé en médecine, ira même jusqu’à inscrire sur son maillot « gagner ou perdre, mais toujours avec démocratie » lors de la finale du championnat pauliste remportée face à Sao Paulo (1-0) en 1983. Egalement passé par Botafogo, Flamengo, Santos et la Fiorentina, le grand Socrates, déjà membre du Top 100 de la FIFA, est appelé à rester dans les mémoires. Ses obsèques devraient avoir lieu ce dimanche à Sao Paulo. Dans la foulée, une minute de silence sera respectée en son honneur lors de la dernière journée du championnat brésilien. « On peut le mettre au Panthéon du football, conclut Giresse. Sa place est là-bas. »