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Supporters: "La hausse des interpellations ne signifie pas une meilleure gestion", explique un avocat

Le 20 octobre paraîtra aux éditions du Puits Fleuri un "Guide Juridique à l’usage des supporters de football", écrit par l’avocat du barreau de Paris maître Baptist Agostini-Croce. Ce dernier revient sur les derniers événements concernant l’actualité des tribunes depuis le début de saison. Il répète l’importance du dialogue entre les autorités et supporters. L’avocat plaide aussi pour une individualisation des mesures et sanctions. 

A quoi sert le "guide juridique pour les supporters" que vous publiez à partir du 20 octobre ? 

L’année dernière, nous avons créé, avec ma consœur Louise Kontogiannis, "le Cercle de Réflexion sur le Droit pénal sportif". Avec pour but de s’intéresser à la place de la matière pénale dans le monde du sport. On s’est rendu compte que la plupart des infractions, en matière sportive, concernent les supporters. J’ai trouvé intéressant, dans un premier temps, de lister l’ensemble des infractions applicables aux supporters, éparpillées entre le code pénal, le code du sport et la loi du 29 juillet 1881.

Ensuite, j’ai souhaité aller un peu plus loin, en dehors de mon domaine d’activité, avec notamment les mesures de police administrative qui concernent les supporters. Pour les fans, ou toutes les personnes qui s’intéressent à ces questions, il s’agit d’un recueil qui rassemble la plupart des dispositions et surtout les divers moyens de contestations. Que ce soit au pénal ou sur le plan administratif.

Ce sont principalement ces deux volets qui sont évoqués au sein du guide publié dans quelques jours, avec d’autres sujets, comme la dissolution de l’association de supporter ou les interdictions commerciales de stade par exemple. 

Entre un supporter qui va commettre une infraction dans une rue et une infraction similaire dans un stade, la sanction est-elle différente ? 

Pour la plupart des infractions commises par le supporter, une peine complémentaire d’interdiction de stade est prévue : elle est encourue pour les infractions concernant le supporter dans le code du sport mais aussi pour certains délits du code pénal comme les violences, les destructions et la rébellion lorsque l’infraction a été commise dans une enceinte où se déroule une manifestation sportive ou à l’extérieur de l’enceinte, en relation directe avec une manifestation sportive.

Dès lors, quand un supporter va commettre une infraction en lien avec un évènement sportif, il est évident qu’il y a un risque pour que cette peine complémentaire d’interdiction de stade soit prononcée. Il s’agit d’une peine complémentaire prononcée par la juridiction répressive en plus de la peine principale, qui est différente de l’interdiction administrative de stade, prise, non pas par un juge mais par l’autorité administrative, à titre préventif et pour éviter un trouble à l’ordre public. 

Vous estimez que la France est à la ramasse dans la gestion des supporters ? 

Sur la question de la gestion purement sécuritaire, ça n’est pas mon domaine de compétence ni mon métier, mais là où en tout cas je pense que la France n’y est pas du tout, c’est dans le domaine des mesures et des sanctions collectives. L’autorité administrative, quasiment tous les week-ends, va pondre un arrêté portant interdiction ou restriction de déplacement. Pour ce qui est des sanctions collectives sur le plan disciplinaire, la commission de discipline prononce des fermetures de tribunes ou encore des huis clos, et ce pour des faits commis par une poignée d’individus. 

Il faut tendre vers l’individualisation. C’est un vrai problème, voit-on dans les autres pays des tribunes fermées tous les week-ends ou des parcages visiteurs vides ? 

Concernant les mesures administratives, il y a une circulaire du ministère de l’Intérieur qui date de novembre 2019, qui invite les préfectures à limiter les interdictions de déplacement. Trois ans plus tard, il y en a encore tous les week-ends. On est dans une systématisation de ces mesures collectives, c’est quasi-automatique. 

On peut penser que les mesures de police administrative étant à titre préventif, il n’y a pas de conséquence : c’est faux. Les conséquences sont lourdes notamment car ces arrêtés sont pris souvent au dernier moment, alors même que certains supporters ont débuté les déplacements, avancé des frais, etc. 

Et quand les mesures sont annoncées au dernier moment, elles sont difficilement attaquables devant la justice ? 

Un rapport des députés Houlier et Buffet fait état que plus de 75% des interdictions administratives de stade sont annulées par le juge administratif. Pour ce qui est des interdictions de déplacement, il suffit de lire les justifications qui motivent ces mesures, qui, le plus souvent, ne tiennent pas du tout.

Dans les faits, la publication des arrêtés arrive très souvent au dernier moment. Malgré les différents recours à disposition, dont certains justifiés par l’urgence, il est difficile d’obtenir une annulation avant le déroulement de la rencontre. 

Quel est le principal problème autour de la gestion des supporters en France ? Le manque de dialogue ? 

Premièrement, j’ai la sensation que dès que l’on parle de supporterisme en France, on ne sait toujours pas faire la différence entre un ultra et un hooligan. Il y a une image biaisée et un manque de connaissances, qui fait évidemment suite à un manque de dialogue avec les représentants des supporters.

Le vrai problème se retrouve ensuite dans la multiplicité des mesures collectives. D’une part, ça n’a aucun effet. D’autre part, ça perd nécessairement en légitimité. Si tous les week-ends, il y a des restrictions, tous les week-ends ça ne peut pas être justifié. Ce n’est pas possible. L’effet que ça fait, c’est que cela fait naître une vraie incompréhension et une vraie frustration, ce qui peut favoriser certaines dérives. Par ailleurs, n’importe quel supporter peut se retrouver à commettre des dérives. La vraie solution, c’est le dialogue et l’individualisation des mesures et des sanctions. 

Par rapport à la saison dernière, depuis le début de cet exercice nous assistons à une hausse des interpellations autour des matchs de Ligue 1 (176 supporters interpellés depuis le début de saison). Est-ce que ça veut dire que la saison est mieux gérée ? 

Je ne suis pas certain qu’une hausse des interpellations signifie une meilleure gestion. Cela signifie surtout une surenchère de répression. Surtout que, dans le même temps, on continue d’avoir des mesures ou des sanctions collectives qui touchent l’ensemble des supporters. Ça ne peut pas fonctionner si d’un côté il y a une augmentation des sanctions individuelles et, en plus, des mesures qui vont toucher la collectivité. Ça n’a aucun sens. 

Après le début de saison très violent l’année dernière, des responsables politiques ont souhaité une augmentation de la durée d’interdiction de stade. 5 ans, ce n’est pas assez ? 

Pour moi, c’est déjà colossal. Il faut aussi s’interroger sur le recours à cette peine complémentaire. Elle peut être justifiée pour un individu violent, moins pour un individu qui n’a fait qu’allumer un fumigène. Par ailleurs et en tout état de cause, l’arsenal des peines est assez vaste pour éviter autant que possible le recours à une interdiction de stade.

Je pense que l’on peut reconstruire le lien entre le supporter délinquant et le stade, sans une interdiction aussi forte, en ayant notamment recours au sursis probatoire dans certains cas, par exemple, en l’invitant à accomplir certaines obligations, sans nécessairement interdire le supporter de paraître aux abords du stade. 

On apprend dans votre guide qu’un fichier national des interdits de stade existe. Comment fonctionne ce fichier ? 

Disons que comme il existe un fichier national des auteurs d’infractions terroriste (FIJAIT) ou des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS), il existe un fichier national des interdits de stade.

Depuis 2007, la direction générale de la police nationale est autorisée à mettre en œuvre un traitement automatisé des données à caractère personnel relatif aux personnes interdites de stade, afin de garantir l’effectivité, tant des interdictions "judiciaires", donc prononcées par le juge, que les mesures de police administrative prononcées préventivement. On répertorie donc même les individus qui font l’objet d’une mesure préventive et non d’une condamnation. 

Nicolas Pelletier