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De 1995 à 2015 : cinq titres mondiaux, cinq souvenirs au plus près des Bleus

Daniel Narcisse

Daniel Narcisse - AFP

L’équipe de France de hand est devenue championne du monde pour la cinquième fois, ce dimanche au Qatar. 1995, 2001, 2009, 2011, 2015 : on a demandé à nos journalistes et notre consultant de luxe, Daniel Costantini, de raconter leurs souvenirs de leurs moments au plus près des Bleus.

1995 : « Dans les eaux du Blue lagoon la veille de la finale » (Christophe Cessieux, rédacteur en chef RMC Sport)

« Reykjavik, mai 1995. La fin du mois de mai sous le cercle polaire est toujours l’occasion pour les Islandais de reprendre gout à la vie, après six mois de jour sans lumière. Cette lumière, les ‘‘Bronzés’’ de Daniel Costantini sont venus la chercher dans la capitale islandaise. Trois ans après s’être révélés au grand public en décrochant une médaille de bronze aux Jeux de Barcelone, les handballeurs tricolores disputent la première finale mondiale de leur histoire. Un événement qu’ils ont préparé à leur manière, dans la décontraction pour les uns, dans la fête pour les autres.

La veille de ce grand match, pas de mise au vert pour ceux que l’on va bientôt baptiser les ‘‘Barjots’’, mais plutôt une mise au bleu. Une longue après-midi passée dans les eaux du Blue lagoon, un lac artificiel turquoise alimenté par les eaux brûlantes venues des profondeurs de la terre. Ici, pas question de tactique ni de schéma de jeu… Non, accompagnés des quelques journalistes qui ont fait le déplacement islandais, les Barjots font les dingues. Et vas-y que j’te pousse, vas-y que j’te coule. On est loin, bien loin de la finale qui les attend 24 heures plus tard.

Une finale que Lathoud, Volle, Stoecklin et les autres vont pourtant survoler le lendemain en battant la Croatie 23-19 et en se parant d’une première étoile mondiale. La suite, ce sont plus de 48h sans sommeil. Un retour homérique dans l’avion qui les ramène vers Paris, où tous les passagers passeront sous la tondeuse des barjots. Coupe règlementaire et réception de légende au CNOSF où, lorsque l’on demande aux premiers champions du monde de l’histoire du sport co français de laisser leur empreinte dans le ciment tout frais, les voilà qu’à la place du pied, ils mettent le visage. Barjots, vous avez dit barjots ? » 

Les Barjots de 1995
Les Barjots de 1995 © AFP

2001 : « Le coach suédois se penchait pour me regarder » (Daniel Costantini, sélectionneur des Bleus à ce moment-là, consultant RMC Sport)

« Lors de la demi-finale contre l’Egypte, les deux gardiens utilisés sont Christian Gaudin, le plus ancien, et Bruno Martini, le numéro 1 dans la hiérarchie. Autant Martini avait été déterminant en seconde période, autant Gaudin ne l’avait pas été. Je me dis qu’il y a peut-être un coup à tenter en lançant le lendemain en finale Titi Omeyer, qui a 23 ans, et qui n’a que très peu joué jusque-là. Et surtout, je sais que les Suédois aiment bien, avant un match important, passer beaucoup d’heures à visionner les gardiens adverses. J’étais sûr qu’ils passeraient des heures à regarder Gaudin et Martini, et je décide, contre toute logique, de leur mettre Omeyer dans les pattes.

Quand je l’annonce à l’équipe, tout le monde est surpris, Gaudin est mécontent, d’autant qu’il n’avait déjà pas joué la finale de 1995. Quand le coach suédois s’en rend compte, il semble surpris mais on n’en parle pas. Et au moment du coup d’envoi, quand c’est Omeyer qui est dans la cage, je vois le Suédois se pencher de banc à banc pour me regarder, interloqué du fait que je me sois permis de tenter ce coup de poker ! Omeyer joue les 40 premières minutes. Martini ne comprenait pas mon choix, énervé d’être sur le banc, dans une rage tout juste contrôlée. Quand il est entré à la 40e minute, il avait envie de prouver que mon choix n’était pas justifié. Résultat, il a été déterminant pendant la prolongation. »

Daniel Narcisse, Daniel Costantini et Didier Dinart en 2001
Daniel Narcisse, Daniel Costantini et Didier Dinart en 2001 © AFP

2009 : « Comme si Onesta réglait le son depuis le banc » (François Giuseppi, rédacteur en chef RMC Sport)

« L’équipe de France joue la finale du Mondial 2009 à Zagreb, contre la Croatie. Ce qui me frappe tout au long de cette rencontre, c’est la capacité des Bleus à "éteindre" la salle. C’est une finale rêvée, tendue. LE classico du handball moderne, dans le nouvel antre de l’ennemi à damier rouge et blanc. 15 000 supporters chantent, crient, dansent à chaque action de Balic. Et en face, rien, absolument rien, ne perturbe Fernandez et ses coéquipiers. Quand Abalo, avec sa force d'équilibriste, met la première banderille, on entend les mouches voler.

15 000 personnes s'époumonent à chaque arrêt du gardien Halilovic. Mais quand Narcisse et sa détente envoie un missile dans la lucarne, c’est un silence de cathédrale dans l'aréna. Personne ne prend le dessus, mais cette force tranquille épuise les joueurs et le public croate. Nikola Karabatic, le faux frère croate, est ciblé avec une bronca à chaque ballon touché. Il réplique par un jeu plus collectif. Au tableau d'affichage, le match est toujours indécis, mais le titre s'est gagné dans le vestiaire.

Le calme, là aussi, d'un Onesta légendaire qui annonce le scénario du match à ses joueurs, à la minute près : "On ne panique pas. On les fatigue, on ne lâche pas, mais on les fait taire. Et à 10 minutes de la fin, on accélère." J’en reste encore sans voix, six ans après. Comme si le sélectionneur, depuis son banc de touche, réglait le son de la salle avec sa télécommande. Même le nez à nez Balic-Karabatic semblait prévu dans un vacarme assourdissant. C'est le dernier instant où les locaux tenteront de perdre leur voix. Ils ont compris que cela ne servait à rien de crier, de provoquer. La Marseillaise retentira sur un podium où pour la première fois, les Français font du bruit. » 

Luc Abalo, Michaël Guigou, Nikola Karabatic et Daniel Narcisse en 2009
Luc Abalo, Michaël Guigou, Nikola Karabatic et Daniel Narcisse en 2009 © AFP

2011 : « L’incroyable erreur danoise » (Rodolphe Massé, rédacteur en chef RMC Sport)

« Les Experts débarquent en Suède pour le Mondial 2011 nantis des trois titres majeurs : JO 2008, Monde 2009, Euro 2010. Plus que jamais, c’est l’équipe à battre. Cette compétition se déroule dans un contexte international particulier, en plein Printemps arabe, des événements qui secouent particulièrement la sélection tunisienne dont la plupart des joueurs évoluent en France. Les Experts affrontent d’ailleurs la Tunisie, l’Egypte et le Bahreïn. Lors du dernier match de poule, les Karabatic & Co ont été tenus en échec par l’Espagne (28-28). Mais lors du tour principal, les Français sont montés en puissance de manière impressionnante, balayant la Hongrie, la Norvège puis l’Islande.

En demi-finale, la Suède, chez elle, a bien résisté mais sans véritablement pouvoir résister. En finale, les Experts poursuivent leurs devoirs de Scandinaves contre le Danemark, une équipe qui avait développé un jeu attrayant. Je me souviens que le respect exprimé par les Français avant cette finale allait bien au-delà du discours convenu. Et cette finale a tenu toutes ses promesses, sans doute la plus difficile de toutes celles remportées par les Experts. 31-31 à la fin du temps réglementaire. Et là, l’incroyable erreur danoise.

Les Français doivent débuter la première période de la prolongation en infériorité numérique pendant plus d’une minute. Le légendaire coach danois Ulrik Wilbek envoie le médecin de l’équipe pour le tirage au sort. Le Danemark gagne le toss. La tradition veut qu’on laisse l’engagement de la première période à l’équipe adverse, pour avoir le ballon au moment de débuter la seconde période. Le médecin applique cette tactique à la lettre. Sauf qu’il permet à la France de gagner de précieuses secondes et de faire défiler le chrono sans prendre de but pendant son infériorité numérique.

Je me souviens de Daniel Costantini, qui commentait à mes côtés, annoncer que le Danemark venait de perdre cette finale sur cette erreur. Les dix minutes de prolongation lui donnent raison, d’autant que Thierry Omeyer, seulement bon pendant le match, devient un mur infranchissable. Ce quatrième titre majeur consécutif, un record, fait basculer les Experts dans une autre dimension. La soirée qui a suivi, avec la présence de nombreux Barjots, fut elle aussi d’une autre dimension… »

Les Experts de 2011
Les Experts de 2011 © AFP

2015 : « Le moment qui a changé le Mondial » (Antoine Arlot, reporter RMC Sport)

« Moi, ce qui m’a marqué pendant ce Mondial, c’est la causerie de Claude Onesta le jour de France-Argentine (8e de finale). Depuis le début de la compétition, les joueurs se mettent tous en cercle pour l’écouter. Onesta dit toujours un petit mot, rien d’extraordinaire puisque les journalistes sont à côté. Mais là, le Mondial est un peu compliqué. Et même les joueurs sont un peu étonnés par ce que dit Onesta. Il n’y a pas de sourires, ils sont hyper concentrés. Onesta leur dit quand même : ‘‘Ceux qui ne sont pas la hauteur quitteront l’aventure’’. Son discours est ferme. Ça dure 10 petites minutes. C’est étonnant qu’il le fasse devant la presse. Je pense qu’il sait très bien que ça va être repris.

C’est pour mettre un peu plus la pression sur ses joueurs. Ce qui est fou, c’est que la machine se met en marche contre l’Argentine… Les Bleus déroulent aussi contre la Slovénie en quarts. Dans sa causerie avant la demie contre l’Espagne, Onesta est moins dur et s’adresse aux jeunes, pour qu’ils demandent de l’aide aux anciens. Ce discours avant le 8e contre l’Argentine a changé la physionomie de l’équipe. Ensuite, les Bleus ont écœuré tout le monde. C’est peut-être l’une des explications de la capacité des Bleus à gagner d’année en année. Onesta est un manager. Il dit ‘‘les hommes’’, rarement ‘‘les joueurs’’. Il a senti que ça allait dans le mauvais sens. C’est le moment qui a changé le Mondial 2015. »

Claude Onesta
Claude Onesta © AFP