"J’ai senti une pression de fou sur ma jambe": l’histoire de Manoël Bourdenx, para-skieur attaqué par un requin

Manoël Bourdenx lors des Jeux paralympiques de Pekin 2022 - ICON SPORT
Ce 14 avril 2017, Manoël Bourdenx est à Hawai, sur l’île de Kauai, au nord de l’archipel. Il organise un projet socio-éducatif et sportif qu’il a en tête depuis dix ans, avec l’objectif de "rallier tous les peuples natifs de la planète: esquimaux, polynésiens, aborigènes, sans utiliser d’essence et faisant des petits exploits sportifs sur chaque spot, tout en utilisant et découvrant les coutumes et traditions locales". Car Manoël Bourdenx, qui longtemps vécu au Canada, a beaucoup voyagé et a été choqué par la condition des "natifs" dans beaucoup de régions. Kauai est l’une des toutes premières étapes de cette aventure. Passionné de glisse, le tricolore pratique le surf l’été depuis ses vingt ans, même si son premier amour reste le ski, qu’il pratique depuis ses deux ans et demi.
En ce jour de printemps, il part donc surfer. Le skieur originaire des Alpes du sud est arrivé la veille, avait "surfé le soir, mais je n’ai même pas fait 24h là-bas". Car sa vie bascule alors, à cinquante mètres de la côte. L’ambiance est calme, des enfants se baignent avec leurs parents. Manoël sait que le risque n’est pas de zéro, mais est serein : ici le fond marin n’est réputé comme risqué. Et pourtant… "J’étais en train d’attendre la prochaine série de vague et là j’ai senti une pression de fou sur ma jambe…, témoigne Manoël Bourdenx. Je me suis un peu débattu, j’ai tapé ou j’ai pu et il m’a lâché. Pourquoi? Comment? Je ne sais pas, je n’avais pas l’impression d’être très influent sur la masse que ça représentait."
"C’est moi qui rassurait les gens en leur disant 'ne vous inquiétez pas je vais aller aux Jeux Paralympiques, ça va aller'."
Il prend la série de vague suivante, allongé sur sa planche, rame un peu pour rejoindre la plage comme il le peut. Sa jambe est déchiquetée mais à ce moment-là, il a des sensations étranges: "Mon cerveau a tout annulé, je n’avais même pas de douleur, je n’ai même pas vu de sang ! C’est une sensation bizarre… Sur les photos sur la plage, le seul qui a le sourire c’est moi… Je me suis rendu compte de la gravité de l’accident sur le visage des gens." Heureux d’être tout simplement vivant.
"C’est moi qui rassurait les gens en leur disant 'ne vous inquiétez pas je vais aller aux Jeux Paralympiques, ça va aller'." Il est amené en urgence à l’hôpital, où un pompier lui confie qu’il n’avait jamais vu de requin ici. Il est amputé et reste six jours à Hawaï, avant d’être rapatrié en France.
Rapidement, celui qu’on appelle "Baboo", qui veut dire "enfant" en Inde, ne pense alors qu’à une chose: le sport. "Arrêter le ski, tout arrêter, c’était ma plus grande peur. Je n’ai jamais raté un hiver et c’est vraiment quelque chose qui me fait peur." Il se plonge intensément dans sa rééducation, un mois après l’attaque. "Je me suis tellement consacré à re-skier, à refaire tous les sports, que j’ai que j’ai oublié les huit mois qui ont suivi l’accident. J’ai des flashs des grands moments, mais c’est flou. Plein de gens que j’ai rencontrés pendant cette période, je ne m’en rappelle pas du tout." Sa progression bluffe les médecins. Début juin, il fait ses premiers pas et début juillet, Manoël fait de la planche à voile. Le pari est donc tenu: le Français ne rate pas l’hiver suivant, où il découvre le para-ski. "Je n’ai jamais skié aussi vite de ma vie, même avec mes deux jambes", sourit-il. Il rejoint l’équipe de France, enchaîne les places d’honneur et les Top 10 sur ses courses. Avant ces Jeux paralympiques: 7e de la descente et du Super G, 12e du Super Combiné et 13e du Géant sur ces Jeux. Pour après, Manoël Bourdenx a de nouveau pleins de projets en tête. Et il a re-surfé l’été dernier.