JO 2024: entraînements, pression, simulations... comment l’arrivée d’un entraîneur coréen a bouleversé le tir à l’arc français

Il y a deux ans et demi, la Fédération Française de tir à l’arc a pris un virage important. A la demande du directeur technique national Benoît Binon, Oh Seon-Tek, entraîneur coréen très réputé, a été nommé à la tête de l’Equipe de France. Un très gros coup à l’époque : "Monsieur Oh", comme l’appellent les athlètes, était dans l’encadrement des équipes de Corée du Sud lors des Jeux Olympiques 2000 et 2012, et vient du pays le plus performant au monde dans la discipline. L’idée était de découvrir une nouvelle méthode.
A l’époque, Jean-Charles Valladont est le dernier archer médaille français (argent en 2016) aux JO et personne n’a succédé à Sébastien Flute, champion olympique en 1992. "Après le debrief de Tokyo, quand on a vu ou on en était, le chemin à faire et le délai de trois ans, j’ai estimé qu’on n’avait peut-être pas toutes les ressources en termes de compétence et d’expérience. J’ai monté ce projet, l’ai présenté au comité directeur de la Fédération, au ministère et l’Agence Nationale du Sport. J’avais la chance par mon réseau de pouvoir connaitre Monsieur Oh." Considéré comme l’un des trois meilleurs coachs au monde par la FFTA, l’entraîneur vient avec des méthodes différentes avec une seule chose en tête: faire briller son équipe à Paris.
"Au début, ça a un peu râlé"
Pour installer ses idées, Monsieur Oh a vite tranché: moins de musculation et de renforcement musculaire, plus de flèches. La technique avant tout. Ainsi, les archers sont passés, lors des plus grosses périodes, de 300 à 600 flèches par jour. La répétition des gestes est l’une des clefs pour l’entraîneur. "Il avait une approche compétemment différente. Avant on était plus axé sur la force alors que lui arrivait avec une notion de relâchement complet et de lâcher prise pour mieux répéter le mouvement", détaille la n°1 Française Lisa Barbelin.
Les premiers mois, les athlètes cherchent leurs repères, notamment Jean-Charles Valladont, qui voit certaines certitudes depuis 20 ans ébranlées: "On a fait une préparation différente par rapport à ce que j’ai connu, on a moins axé sur la prépa physique mais on a vraiment développé la pratique du tir avec une certaine souplesse et finesse pour recentrer le groupement de nos flèches et minimiser les erreurs."
Ce petit choc des cultures concerne aussi l’organisation. Monsieur Oh, toujours accompagné d’un traducteur car il ne parle pas français et peu anglais, arrive pour chapeauter les hommes et les femmes, et donc aussi les entraîneurs. "On a dû s’adapter, c’est une relation un peu hiérarchique. Au début ça a un peu râlé, on ne va pas se cacher, avoue le coach de l’équipe féminine, Jean-Manuel Tizzoni. Puis c’est soit on râle soit on s’adapte, donc on s’adapte. Sa conception technique est intéressante, je crois qu’on le faisait déjà mais pas dans de tels détails. On n’avait pas forcément les mêmes mots ou la même simplicité. On manquait de finesse."
Moins de musculation et de préparation mentale
Les journées sur le pas de tir aussi s’allongent: 8h-12h puis 13h40-18h30. "Ce sont des projets jamais facilement acceptés, on était dans une situation un peu d’urgence et on n’a pas forcément pris le temps de présenter les choses, explique le DTN Benoît Binon. L’arrivée a été un peu brutale, ça remet en cause des certitudes et je le reconnais. Vous passez de chef de projet à numéro 2."
Autre secteur modifié par le coach coréen, la préparation mentale. "Sur ce sujet, il n’a pas une approche à l’européenne, témoigne Lisa Barbelin. Il dit que si on est surs de ce qu’on fait et concentré sur un point de notre technique, on n’a pas besoin de prépa mentale. Moi j’en ai besoin donc je suis allée chercher ailleurs pour discuter et approfondir certains termes." Mais après les doutes et l’adaptation sont venus les résultats. Des titres européens, des médailles d’argent et bronze mondiales par équipe, des médailles de bronze en individuel aux championnats, des records de France qui tombent…
A quelques heures d’entrer en lice, les archers reconnaissent l’apport de leur manager. "Le langage de l’archer s’est développé au fur et à mesure des années avec des termes très techniques qu’il a apportés et qu’on a réussi à mettre en avant, sourit Valladont. Quand il veut nous faire passer un message sur un point technique qu’on doit travailler il suffit d’un petit geste, d’un petit mot pour qu’on comprenne. On a pris tout ce qu’on avait besoin de prendre et aujourd’hui on est prêts." "JC" a d’ailleurs fait évoluer sa position et sa gestuelle. "Avant il poussait plus de l‘avant et maintenant il va faire les choses plus de derrière, illustre Jean-Manuel Tizzoni. Des évolutions sont assez importantes. Chez nous cela se voit très peu, on est dans le millimètre mais on a l’impression que c’est une montagne."
Des simulations olympiques à l’INSEP
Il ajoute: "J’ai eu plus de mal avec le personnage a un moment donné mais sur l’aspect technique je ne l’ai jamais remis en question mais c’était plus au départ, se mettre d’accord que ce qu’on veut et le fonctionnement." Ils sont d’ailleurs tombés d’accord sur un mode de sélection là encore bien particulier, poussé notamment par Oh Seon-Tek. Les archers, à deux reprises, se sont rassemblés sur quelques jours de compétition, à huis clos. Une compétition interne: si vous ne terminez pas parmi les premiers (d’abord les six, puis les quatre), c’est la fin de l’aventure olympique. Du jour au lendemain. Une pression énorme sous laquelle a craqué Audrey Adiceom, cadre de l’équipe féminine mais éliminée lors de la dernière épreuve de sélection.
Les sélectionnés sortent donc de plus de deux ans de boulot pour les JO, qui débutent ce jeudi avec le tour préliminaire. Les Bleus vont-ils se dépasser et tenir la pression, devant les 8000 spectateurs attendus? Ils ont en tout cas pu "tester" à trois reprises des matchs en "mode JO". A l’Insep, la Fédération a organisé des compétitions en interne avec du public, des cibles et des infrastructures ressemblant le plus possibles à celles des Jeux, une vraie réalisation télé, la présence de journalistes et même… le speaker officiel des JO! Une mise en situation très appréciée par les archers. Et demandée par Monsieur Oh.