JO 2024 (gymnastique): Biles, Nemour, l'élimination précoce des Bleues... Le bilan d'Émilie Le Pennec

Simone Biles n’aura glané “que” trois médailles d’or aux Jeux de Paris, elle termine 5e à la poutre et médaillée d’argent au sol pour cette dernière journée de compétition. C’est une déception?
Il n’y a pas du tout de déception dans le sens où on n'aurait jamais pensé qu'elle puisse être là aujourd'hui avec encore tant de médailles autour du cou, elle revient de très loin. Je pense qu'elle-même ne pensait pas retrouver la passion ni se refaire plaisir comme elle s'est fait plaisir. Je ne l’ai pas vue déçue, elle avait un grand sourire. Je pense qu'elle est aussi heureuse que Rebeca Andrade ait sa médaille d'or [la Brésilienne a été sacrée championne olympique au sol devant Simone Biles, ce lundi]. Elle ne lui aurait pas laissée mais voilà, c'est la loi du sport. Rebeca a été plus forte aujourd'hui et je pense que Simone est très respectueuse de tout ça.
L’Américaine n’a pas égalé les neuf médailles d’or de la gymnaste russe Larissa Latynina (Melbourne 1956, Rome 1960 et Tokyo 1964). Simone Biles a été sacrée sept fois entre Rio 2016 et Paris 2024. Elle reste tout en haut de la gymnastique mondiale?
Elle a révolutionné notre sport. Elle le démontre en ayant donné son nom a des acrobaties que seule elle propose. Elle force les gymnastes à élever leur niveau, à essayer de comprendre comment elles fonctionnent pour tenter de l'égaler, ou en tout cas de s'en rapprocher. Rien que pour ça, elle force le respect. Aussi pour avoir porté haut la santé mentale dans le sport. Elle avait la possibilité d’utiliser sa voix pour des sujets et elle l'a fait sur des choses qui sont tellement importantes. Chez les féminines, il y a quatre agrès (le saut, les barres asymétriques, la poutre et le sol, NDLR) et puis il y en a un cinquième: le mental. C'est parfois difficile à gérer et c'est bien qu'elle en ait parlé.
Vingt ans après votre titre olympique à Athènes aux barres asymétriques, vous avez l’impression que la gym a beaucoup changé?
Oui, ça a énormément changé, ça n’a plus rien à voir. Le style de gymnastique a énormément évolué, c'est beaucoup plus acrobatique. Il y a aussi des évolutions comme le praticable qui rebondit plus au sol. Il y a un travail au niveau de l'acrobatie qui est bien plus important et qui se rapproche du travail des masculins. Aux barres aussi les mouvements sont beaucoup plus longs avec beaucoup d'éléments. Et heureusement que ça évolue! C’est pour ça aussi que l’on ne s'ennuie pas et que la gym est attractive et belle à regarder. J’aime bien aussi tout ce qui se passe à côté. Après chaque passage, les gymnastes se font des câlins. Elles se prennent toutes dans les bras. Avant, on s'entendait bien entre gymnastes mais les carrières étaient plus courtes. Moi, j’ai arrêté à 19 ans, je n’ai fait qu’une édition des JO. Aujourd’hui, il y a une plus grande longévité. Nous, on se retrouvait peut-être moins souvent que ces jeunes filles se sont retrouvées en compétition. Ça crée de belles rivalités mais aussi de belles amitiés.
Vous avez dû regarder particulièrement le passage de Kaylia Nemour, sacrée aux barres asymétriques ce dimanche...
C’était une performance exceptionnelle, une pépite. Son mouvement c'est une pépite, vraiment! Bon on le savait, elle fait un mouvement exceptionnel, mais il fallait bien réussir toutes les connexions et c'est ce qu'elle a fait. Elle ne pouvait pas faire mieux, donc waouh! Je suis épatée et tellement contente pour elle qu'elle ait réussi à présenter son travail. Je sais ce que c'est que de travailler des heures et de ne pas forcément réussir le jour J. Un immense bravo.
Cette médaille d’or aurait pu être française puisque Kaylia Nemour était en équipe de France jusqu’en 2021, avant qu’une opération des genoux et un litige entre son club et la FFGym ne l’empêche de revenir. Elle a donc choisi de concourir pour son autre pays, celui de son papa: l’Algérie. C’est un regret?
Je ne crois pas que l’on puisse parler de regret. Peu importe le drapeau au-dessus de sa tête, l'important c'est Kaylia. L'important c'est que son travail ait payé, qu'elle ait eu l'opportunité et le courage de partir et de prendre la nationalité sportive algérienne. Honnêtement, je n’en ai pas discuté avec elle mais je pense que ça n’a pas été évident. Elle est née en France et je pense que dans sa tête, elle est Française. Il faut remercier l'Algérie d'avoir pu l'accueillir et il va falloir se poser des questions sur le pourquoi du comment. Pour que ça ne se reproduise pas, que l’on ne se passe plus de talents. Mais ce sur quoi il faut vraiment s'arrêter, c'est qu'elle a réussi. Peu importe le drapeau.
Mais vingt après vous, une médaille d’or française aux barres aurait été un joli cadeau à Paris...
Ah clairement j'aurais adoré! J'ai hâte qu'une ou un gymnaste me succède sur la plus haute marche du podium. Mais bon, ça attendra encore un petit peu. C'est dommage parce qu’on avait de très bons éléments et on n'a pas réussi à tout mettre en place ici pour que ça fonctionne. J’espère en tout cas que ce seront des apprentissages qui permettront de rebondir et de faire mieux.
Vous avez suivi l’élimination des Bleues dès les qualifications, il y a une semaine. Comment l’avez-vous vécue?
C’était très dur, très dur de commenter son équipe qui échoue. A chaque passage, il y avait une chute. C’était vraiment hyper difficile pour moi et c'était difficile de les voir dans cet état mental. J'avais l'impression – et elles l'ont dit elles-mêmes - qu'elles n’étaient pas là, qu'elles n’avaient pas pris la mesure, qu'elles n’avaient pas compris que le top départ était donné. Les Jeux, c’est maintenant, pas demain. J’avais envie de descendre et de les secouer pour les réveiller et leur dire 'C'est maintenant, il faut y aller, ne lâchez rien!'. Malgré les chutes aux qualifications, elles auraient pu se remobiliser et éviter la grosse catastrophe. Il n’y a pas vraiment d'explication à trouver. Elles sont les mieux placées pour l’expliquer. Moi maintenant je ne suis que spectatrice.
La Fédération française peut-elle sortir indemne de ces Jeux à la maison sans aucune médaille tricolore? Sur RMC, Samir Aït Saïd disait ce dimanche qu’il fallait très vite se remettre en cause. C’est le moment de faire bouger les choses?
Je l’espère! Parce qu'à un moment donné, on a envie d'avoir des médailles. Surtout que l’on a des gymnases de talent. Donc oui, il va falloir se secouer. Il va falloir mettre les athlètes - y compris les anciens - au cœur du projet pour tenter de mettre en place des choses qui fonctionnent. Il faut que l'on entende plus la voix de l'athlète parce que c'est lui qui est le principal acteur de tout ça. L'athlète et l’entraîneur sont les mieux placés pour savoir ce qui est le mieux pour arriver à la réussite.
Vous n’avez pas été entendue pendant votre carrière?
J'avais 16 ans (quand elle a décroché l’or à Athènes, NDLR)... Moi je l'ai ressenti après ma médaille. On n'écoutait pas forcément ce que j’avais à dire. Il aurait fallu que je suive sans broncher. Ce que je n’ai pas forcément fait et ça n'a pas plu. Sauf que moi j'avais déjà ma médaille donc peu importe. Tout ce qui m'est arrivé derrière, j'en suis très heureuse et fière aujourd’hui. Mais oui, il faudrait entendre l'athlète avant pour qu’il puisse performer.