"Mes attentes sont dépassées": à l'heure de la retraite, Denis Gargaud-Chanut revisite sa carrière

Denis Gargaud-Chanut sur la Coupe du monde de canoë slalom à Cracovie, 14 juin 2024 - ICON Sport
Pourquoi ce message sur les réseaux sociaux?
J’en avais besoin. C’était le projet. Il y a un an j’avais déjà essayé de sauter dans le vide de la deuxième vie après le sport. Je me suis rendu compte que ce n’était possible. Je devais trouver une activité qui puisse m’occuper une grosse partie de la journée. J’ai dit je continue le canoë et je créé quelque chose. Ce nouveau projet devait prendre progressivement plus de place. Je m’étais dit que ça prendrait un an voire deux ans. Dans ma tête, j’étais encore engagé pour faire des compétitions cette année. Les sélections pour l’équipe de France arrivaient. Il s’est passé quelque chose dans ma boîte qui m’a fait penser que j’aller vite me retrouver en conflit et qu’il fallait que j’arrête. Le fait de l’annoncer (que j’arrête ma carrière) me permettait de m’engager. Une très grosse entreprise m’a sollicité pour répondre à un appel d’offres. Je me suis dit que si je gagnais cet appel d’offres il allait y avoir un conflit d’agenda et de responsabilité. L’année dernière, je me suis dit qu’il fallait prendre un projet qui prenne de la place. Après plus de 20 ans de sport de haut-niveau, ce n’est pas facile de sortir de ça. Il faut se donner les moyens de construire un projet. C’est une bonne nouvelle, je ne pensais pas que ça arriverait aussi vite.
Avez-vous dépassé vos rêves d’enfant?
Mes attentes sont dépassées. J’ai toujours eu beaucoup d’ambition. Le projet est réussi. Je suis très heureux de la carrière que j’ai pu avoir. Ce que j’aurais pu faire mieux c’est gagner plusieurs titres plusieurs fois. Ça ne faisait pas forcément partie de mon ADN. Mon ADN c’est progresser, créer apprendre. C’était le cas sur la fin mais c’était trop confortable à mon goût. J’avais besoin de faire un strict minimum pour être parmi l’élite sans être le meilleur et ce n’est pas quelque chose que je souhaitais continuer longtemps. Quand j’ai pris conscience de ça j’ai compris que le projet c’était d’arrêter.
Fin 2008 on se souvient que vous avez essayé de réussir en C1 mais aussi en biplace avec Fabien Lefevre. Et il y a peu vous avez tenté de changer votre manière de pagayer en apprenant à le faire des deux côtés.
Ma philosophie n’est peut-être pas la meilleure. On ne peut pas battre les meilleurs si on ne fait pas quelque chose de différent. C’est presque très prétentieux de se dire que je vais faire très bien quelque chose de classique. Tout le monde ne partage pas ce point de vue. Pour sortir du lot, il faut faire quelque chose de différent. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire.
En 2011 vous êtes champion du monde mais c’est Tony Estanguet qui se rend aux Jeux Olympiques pour remporter un troisième titre.
C’est mon premier grand accomplissement. C’a aussi créé beaucoup de frustration car je n’ai pas pu représenter mon pays aux Jeux de Londres. Avec le recul c’était aussi un honneur de batailler avec un tel champion et d’avoir réussi à le battre en grand championnat. C’était une période assez intense.
Il n’y a pas de grande carrière sans grande désillusion. Les moments difficiles forgent notre caractère. Si on s’en relève on ne peut qu’être plus fort.
A Rio en 2016, vous devenez champion olympique, est-ce que c’était le plus beau jour de votre vie ? Votre plus belle course?
Ce n’était pas le plus beau jour de ma vie. Il y a des choses plus importantes que le sport. Mes enfants passent au-dessus. A Rio c’était un moment très important. C’était le point le plus haut. Être champion olympique était l’étape la plus haute de ma carrière. Mais les autres étapes n’étaient pas forcément moins difficiles. Le jour où j’ai gagné les JO il y avait du soulagement après les risques que j’ai pris, du soulagement pour les personnes qui m’ont accompagné. C’était aussi une récompense collective car on ne réussit pas une carrière seul.
Certains champions disent que tel ou tel jour ils volaient pendant une épreuve. Était-ce le cas?
Ce n’était pas facile. Cette course démontre bien mon caractère. Elle a très mal démarré et pendant ma course je me suis rebellé contre le moment, contre moi-même. J’étais en train de passer à côté et je n’étais pas d’accord avec ça. L’une de mes caractéristiques c’est que je suis très têtu. J’accepte difficilement la défaite. D’abord, je lutte. Il y a eu du plaisir mais il y a eu des moments, pendant les 20 premières secondes, où je me dis que ça ne peut pas se passer comme ça. Puis, ç’a été plus fluide. La compétition ça reste d’abord un combat intérieur.
L’olympiade suivante, vous n’êtes pas choisi pour représenter la France à Tokyo et vous vous élevez contre les critères de sélection...
L’olympiade de Tokyo a été un peu particulière. J’ai eu un nouveau statut et on me place en tant que leader. Je ne suis pas un leader même si j’avais le plus beau palmarès dans le collectif. On n’aurait pas dû me donner tant de responsabilités représentatives. C’était une belle olympiade. Elle m’a bousculé et permis de rebondir. J’avais besoin de revivre un échec, pour me relancer et aller jusqu’à Paris avec une motivation un peu différente. J’ai pu créer un nouveau projet pour me rappeler que je ne pouvais pas redevenir le meilleur sans faire quelque chose de nouveau. J’ai pagayé à gauche toute ma vie et là je vais essayer de le faire des deux côtés.
Ne pas avoir pu participer à d’autres JO après votre titre, c’est une cicatrice?
C’est une cicatrice. Il ne faut pas le cacher. Le sportif que je suis l’accepte. Nous sommes des écorchés vifs avec des destins hors du commun. C’est exceptionnel ce que l’on a vécu. On a besoin d’émotions très fortes pour avancer. Ce n’est pas un gros mot de dire que c’est une cicatrice. C’est un échec parmi d’autres qui m’a permis de rebondir.
La fin est-elle belle?
Je suis assez content. Sur la partie sportive, j’aurais préféré qu’elle se finisse autrement. J’ai pu continuer une année supplémentaire pour prévoir un avenir qui semble être parti sur de bonnes voies. Je ne finis pas blessé, en aimant toujours mon sport, en le pratiquant toujours. Je m’impose d’arrêter pour des raisons professionnelles mais j’aurais pu continuer avec amour. J’ai pu me servir de ce tremplin vers une nouvelle vie.
Avant Rio 2016 vous avez lancé votre entreprise de boisson énergétique, votre premier engagement dans l’entreprenariat...
J’ai commencé avant les JO ce projet. J’ai arrêté ce premier projet car ça prenait trop de place dans ma carrière sportive. Ici c’est l’inverse. La reconversion des sportifs est une étape pas facile. Ce me permet de continuer une année et d’être accompagné c’est un succès. Ensuite, peut-être qu’on se servira de cette méthode-là pour les autres. La première partie de la reconversion est faite. J’ai encore besoin de trouver quelques clients pour dormir tranquille. Ce n’est jamais acquis car peut-être dans quelques semaines ou plusieurs mois il peut encore me revenir le goût de dire ‘et si je repars’. C’est pour cela qu’il fallait marquer le coup avec le message.