Rasta sprint

Les athlètes jamaïcains autour d'Asafa Powell, lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux. - -
On pensait avoir tout vu samedi avec le record du monde d’Usain Bolt (9’’69), premier homme à courir le 100m sous la barre symbolique des 9’’70. Dimanche, les Jamaïcaines ont confirmé la main mise des athlètes noir, vert et jaune sur le sprint mondial, en trustant le podium de l’épreuve féminine. Shelly-Ann Fraser (10’’78) s’est imposée devant ses compatriotes Sherone Simpson et Kerron Stewart, deuxièmes ex aequo. A noter, la présence de deux autres Jamaïcains, la veille en finale du sprint, Asafa Powell (5e) et Michael Frater (6e)…
Ce qu’on fait les Jamaïcaines est historique. Jamais une nation n’avait placé trois de ses représentants sur un podium. Seule l’Allemagne en 1976 s’en était approchée, mais Renate Stecher (2e) courait sous le drapeau de la RFA, alors qu’Annegret Richter (1ère) et Inge Helten (3e) portaient les couleurs de la RDA.
Avec Fraser, l’île de 2,7 millions d’habitants s’offre pour la première fois le titre olympique féminin ; et idem avec Bolt chez les hommes. Si le sacre a donc un goût nouveau, les Caribéens en revanche sont familiers des podiums. Avant Bolt, les sprinters de Kingston avaient décroché quatre médailles (1), et avant Fraser, les filles de la grande île avaient été primées six fois (2). Mention spéciale pour Merlene Ottey, qui a ramené l’argent d’Atlanta et le bronze de Los Angeles et Sydney.
Les rasta sprinters n’entendent pas s’arrêter là. Bolt vise le titre sur 200m, et Campbell-Brown est l’une des favorites pour la défense de son titre, acquis à Athènes. Les deux relais du 4x100m ont également de fortes chances de leur échoir.
La suprématie des Jamaïcains jette à l’inverse la lumière sur la déchéance des Américains. Chez les hommes, Walter Dix a pris le bronze, derrière Bolt et un autre Caribéen, Richard Thompson de Trinidad et Tobago. Davis Patton, l’autre Yankee de cette finale, a fini bon dernier. En 27 finales du 100m masculin, l’Amérique n’avait pas réussi à faire entrer ses sprinters dans les places de 1 et 2 qu’à 6 reprises. Chez les dames, trois Américaines disputaient la finale, mais la meilleure d’entre elles, Lauryn Williams n’a pas fait mieux que 4e (11’’03). A-t-on déjà assisté à un podium du 100m féminin vierge de toute Américaine ? Oui, de 1972 à 1980, le creux de la vague pour les sprinteuses de l’Oncle Sam qui perdent l’avantage au bénéfice de leurs rivales du bloc de l’Est. Un reflux qui affecte aussi leurs coéquipiers masculins qui disparaissent des tablettes de 1976 à 1980.
Le recul des Etats-Unis est une conséquence des progrès menés dans l’athlétisme américain depuis le milieu des années 2000 sur le front de la lutte antidopage. Il faut y voir le grand nettoyage opéré outre-Atlantique dans la foulée du scandale Balco. Tim Montgomery, Justin Gatlin, Marion Jones, Kelli White… autant de stars déchues. Aujourd’hui, c’est au tour des Jamaïcains de faire l’objet d’attaques, comme les Américains, en leur temps. Leur archi-domination suscite l’incrédulité. En 2008, Usain Bolt et Asafa Powell, respectivement 9’’69 et 9’’74, ont presque monopolisé la bataille des chronos. Ecrasant et forcément propre à alimenter la rumeur.
(1) Médailles masculines : Don Quarrie (argent, 1976), Lennox Miller (argent, 1968 ; bronze, 1972), Herb McKenley (argent, 1952).
(2) Médailles féminines : Veronica Campbell (bronze, 2004), Tayna Lawrence (argent, 2000), Merlene Ottey (bronze, 2000 et 1984, argent, 1996), Juliet Cuthbert (argent, 1992).