Le jour des lionnes

Clarisse Agbegnenou et Gévrise Emane - -
L’une est dans sa bulle. L’autre danse et chante dans sa chambre. Lors de l’avant-dernier stage de l’équipe de France féminine avant les Mondiaux, à Bordeaux, courant août, c’est l’opposition totale. Après chaque combat d’entraînement, Gévrise Emane (29 ans) se pose dans un coin, serviette sur la tête, avant de tout lâcher en randori. S’ensuit une marche lente, pas à pas, car l’énergie est trop précieuse à 12 jours des Championnats du monde. L’inverse de Clarisse Agbegnenou (18 ans), tout feu tout flamme, qui papillonne avec Priscilla Gneto et Audrey Tcheuméo. Autre génération, autre comportement, mais même chance de médaille avec un avantage pour la plus âgée des deux.
Physiquement, les deux filles se ressemblent aussi. Petites, trapues, et énergiques. Lionne blessée par ses deux revers d’affilée face à sa cadette, Gévrise Emane a retrouvé ses crocs durant l’hiver. Elle a particulièrement travaillé son agressivité. Souvent dolente, elle passait à côté de ses débuts de combat et se retrouvait obligée de courir après le score. Championne du monde 2007 des moins de 70 kilos, elle a vécu des débuts difficiles dans la catégorie inférieure jusqu’à cette saison. En 2011, elle n’a perdu qu’un seul combat en raflant au passage le Masters, le Tournoi de Paris, et les championnats d’Europe. « C’est un état d’esprit, confie Emane. Il était déjà là, ça mettait un peu de temps à démarrer. J’espère que ce titre européen servira de déclic ».
Bac et rhume
Agbegnenou, elle, a ralenti la cadence après une fin de saison 2010 en fanfare où elle est devenue championne de France (en battant Emane), puis en gagnant le tournoi de Tokyo (en battant encore Emane en finale) avec son judo tout en rythme. Elle a ensuite mis la pédale douce niveau judo pour obtenir son bac STG (Sciences et Technologies de la Gestion). « Au début, j’ai pris le bac à la légère, raconte-t-elle. Je préférais aller à l’entraînement et aux compétitions. Ça n’a pas marché, j’étais vraiment loin. J’ai dû faire des sacrifices, pour l’avoir. » De justesse, mais dans la poche quand même en remontant 49 points en repêchages.
L’an passé aux Mondiaux, comme Emane, elle s’était inclinée dès le premier tour, enrhumée par une Thaïlandaise. Entre les deux, ce n’est pas la franche camaraderie. On se serre les coudes. Point barre. « C’est mieux pour moi d’avoir Gévrise, explique Clarisse. En compétition, c’était à toi, à moi et comme ça, on avance toutes les deux. Quand il y avait de grosses séances physiques où c’était dur, elle m’a encouragée. C’est sympa de sa part. » Même son de cloche chez Emane. Cette concurrence l’a forcée à changer. « Ca m’a poussée. J’ai gardé les mêmes objectifs mais j’ai une nouvelle façon de voir les choses. On fera les comptes à la fin », prévient-elle. Les lionnes ont faim.