
"Il ne faudra pas nous demander combien de médailles en 2024, attaque Gilles Sezionale, président de la fédé de natation
Pourquoi interpeller la ministre à travers cette lettre ouverte?
Cette lettre n’est pas la première, mais comme les autres n’ont pas été suivies d’effets... Aujourd’hui la situation devient de plus en plus compliquée avec l’interdiction à nouveau pour les jeunes de pratiquer la natation. La perte financière pour la fédération devient de plus en plus conséquente. On est la quatrième fédération la plus impactée par les pertes de licences et on aimerait avoir des réponses concrètes pour être un peu plus optimiste pour la suite de la saison. Aujourd’hui on avance à l’aveugle et ça devient de plus en plus compliqué.
Quelle est aujourd’hui la situation de la fédération française de natation?
Il y a vraiment un impact grave en terme de licences. Aujourd’hui nous en sommes à une perte de plus de 120.000 licenciés, ce qui représente 40% de perte. Si on continue comme ça sans reprise rapide, à l’arrivée on sera à moins 50% de licenciés. Donc ça a un impact économique chiffré à environ 3 millions d’euros. Sur un budget de 15 millions c’est assez conséquent. Sur la saison passée beaucoup de ligues étaient déjà en difficulté, donc ça ne peut que s’aggraver.
Est-ce que vous avez reçu des aides?
Les seules aides, c’est comme tout le monde les mesures de chômage partiel pour les salariés de la fédération, des ligues et des comités départementaux. Mais en aide directe pour le moment il y a eu zéro euro de versé. S'il n’y a pas de reprise, même si les finances de la fédération étaient redevenues saines, malheureusement ça ne suffira pas. Si on n’est pas aidés, aujourd’hui je ne vois pas comment on va boucler le budget. Et surtout toutes nos actions sont à l’arrêt, donc au niveau sportif, toute la jeune génération ne nage plus et c’est assez compliqué d’imaginer la suite avec notamment les Jeux de 2024 que l’on doit organiser. Aujourd’hui ce sont les questions que l’on n’arrête pas de poser à la ministre et pour lesquelles nous n’avons pas beaucoup de réponses. Alors bien sûr qu’étant un professionnel de santé, je comprends la situation sanitaire, mais on n’a jamais démontré qu’il y avait des clusters dans les piscines. Chez les jeunes, tout est arrêté. Quand vous lisez que les écoles de danse peuvent continuer en lieu fermé à pratiquer on se dit qu’il y a deux poids deux mesures.
Cette crise aura un effet sur les résultats de Paris 2024?
Toute la fédération est à l’arrêt par rapport au plan de développement que l’on avait commencé lors de mon premier mandat avec les centres de formation. Aujourd’hui la plupart de ces jeunes n’ont pas accès à l’entraînement puisque seuls les nageurs listés haut niveau le peuvent et nager en compétition. La population des nageurs listés, ça représente 200 nageurs sur 400 000 licenciés avant la crise. Toute la génération en dessous, les jeunes de 15-16 ans ne sont pas forcément déjà listés et reconnus, et on sait bien que c’est cette génération qui devrait éclore pour Paris 2024.
En pleine semaine olympique, comment vivez-vous le fait que la natation soit à l’arrêt?
C’est amusant de voir notre ministre qui fait de la gymnastique avec des élèves, je n’ai rien contre et c’est très bien. Mais déjà si on favorisait la pratique sportive de nos clubs ce serait aussi peut être plus efficace que de faire 30 minutes à l’école. Vous avez vu le rapport sur l’obésité des jeunes, sans compter le rôle sociétal. C’est bien les effets d’annonce, ils font leur petite gymnastique ils sont contents… Mais tous les clubs sont à l’arrêt. Je pense qu’on n’est vraiment pas une nation de sport et cette crise le met en évidence au niveau de nos pouvoirs publics.
Concrètement vous demandez l’ouverture des piscines?
Je suis un professionnel de santé, et on n’a jamais démontré l’existence de cluster dans les piscines, en milieu chloré. On sait très bien que la pratique du sport favorise une meilleure santé et évite des problèmes annexes. Que ce soit pour les séniors ou les plus jeunes, dans le cadre de protocoles sanitaires qui ont été mis en place avec le ministère et qui sont très cadrés, je ne vois pas pourquoi on n’ouvrirait pas. Si on continue comme ça et qu’en plus il n’y a pas d’aide pour les fédérations impactées, c’est bien beau de dire préparez les Jeux, mais il faut être lucide, ce qui est perdu est perdu… Alors certes les nageurs de très haut niveau, par rapport au premier confinement, peuvent continuer de s’entraîner et tant mieux. Mais tous ces jeunes qui ne sont pas sur les listes de haut niveau et qui ne peuvent pas d’entraîner, franchement…
Quel est le message que vous souhaitez faire passer à la ministre Roxana Maracineanu?
Je sais très bien qu’elle n’est pas la seule dans la boucle à décider, mais la situation devient urgente, économiquement parlant, pour la survie de nos clubs de nos ligue et de la fédération. Le rôle de la fédération est d’investir sur les jeunes pour préparer les jeux chez nous en 2024. Et encore une fois, rien ne nous a prouvé qu’avec un protocole sanitaire strict, on ne puisse pas ouvrir les piscines. Surtout dans une logique d’encadrement club qui réponde à ce cahier des charges. Je suis très conscient de la situation sanitaire, on ne va pas occulter le problème. Mais c’est comme le décrochage scolaire, pourquoi les écoles restent ouvertes? C’est parce qu’on s’est aperçus que lors du premier confinement le décrochage scolaire était une catastrophe. Dans les clubs on a exactement la même problématique. Ce décrochage sportif va faire des dégâts. C’est le cri que je pousse auprès de la ministre. J’espère que cette fois-ci on aura des réponses. Ce n’est pas un cri de désespoir, mais bientôt peut être. Il ne faudra pas venir nous demander combien de médailles on veut parce qu’avec une situation à l’arrêt pendant deux saisons, le temps perdu est perdu…