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L'édito de l'After: Il faut sauver les sélections

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Quand la Ligue des champions revient, il est de bon ton d’accuser les trêves internationales de tous les maux. Mais pourquoi personne ne défend jamais les équipes nationales? L'édito de Thibaud Leplat, rédacteur en chef de la revue de l'After.

Le corps trahit les secrets. Parvenus tant bien que mal à la fin de ces deux semaines internationales, le bilan est terrible: Camavinga, Gavi, Vinicius, Zaïre-Emery, Marquinhos, Bastoni, Onana, Ter Stegen, Rashford, Haaland, Machado, Todibo sont tombés. Les blessures, plus ou moins graves, ont rappelé les cadences infernales imposées aux salariés du football: entre 15 et 21 matchs depuis de début de saison pour chacun d’eux. Soit 3 matchs par semaine. Nos gamins jouent-ils plus que leurs parents? Oui. D’après le syndicat FIFpro, Jude Belingham, par exemple, avant l’âge de 20 ans, avait déjà joué 14.445 minutes en professionnels contre 9.187 pour Michael Owen ou 10.989 pour Wayne Rooney. Kylian Mbappé, au même âge, a joué 37% de plus que Thierry Henry et Pedri 20% de plus que Xavi. Au centre de toutes préoccupations : les sélections. "Parasites" écrit Iñako Díaz-Guerra dans El Mundo, elles profitent des salaires et des talents qui leur sont mis à disposition sans verser un sous. A l’heure où le vrai football reprend — comprenez la "Champions League" — l’ennemi est tout trouvé et la mesure déjà prête : supprimer les trêves internationales.

Nouveau péage

Le football de sélection cumule tous les défauts: archaïsme des dirigeants, surcharge des calendriers en pleine campagne de … (espace valable pour toutes les compétitions de club), voyages incessants, faiblesse de l’adversaire, déséquilibre des rencontres, état déplorable des pelouses, kitsch des animations en tribune, faiblesse tactique (cf l’étrange reproche adressé à Nagelsmann de vouloir "révolutionner le jeu" en sélection) etc. Le tout pour 0 euro versés (hors primes) à nos travailleurs du football. Quand en plus, au lieu de se ravir des 14 sourires qui ont été arrachés aux visages de nos gamins (match dont ils se souviendront encore dans 50 ans), on se plaint de la faiblesse de Gibraltar, la limite est dépassée.

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Comme des invités qui se plaindraient du menu une fois englouti toute la carte, on pose les pieds sur la table et on s’adresse à la maîtresse de maison "la prochaine fois, vous devriez essayer la Champions League", "là c’est différent, ce sont de vrais matchs de haut niveau", "au fond, vous le savez, le football de sélection ne vaut plus rien". Curieusement quand il s’agit de défendre des poules de qualifications interminables, des nouvelles formules commerciales pour rentabiliser les trains de vie de clubs obèses, de justifier le grand cirque des abonnements en série, on trouve d’ardents avocats — dont l’auteur de cet édito confesse faire parfois partie. Mais quand, pour une fois, il demeure quelque part un morceau de football gratuit, sans (trop) violence ni de sponsors sur le maillot auxquels obéir, ni de bêtise en tribunes à déplorer, plus personne ne s’en réjouit. Nous sommes devenus des enfants gâtés: moins on paie cher le football, moins on l’apprécie. Faudra-t-il encore un nouveau péage pour qu’on prenne enfin au sérieux le football international?

Numéro 10

Il faut sauver les sélections. En rappelant d’abord une évidence: ce ne sont pas les dix matchs joués par an par nos héros sous les couleurs de leurs équipes nationales qui les blessent mais les cinquante autres. Ensuite, le football international n’est ni marginal, ni désuet. Au contraire. Il donne sens à tout le reste. Quand on passe nos journées de Champions à mesurer la taille des transferts, à se diviser, à se fragmenter, à tourner autour du pot, à réclamer toujours plus de rentabilité aux attaquants fatigués, l’équipe de France, la NationalMannschaaft, la Roja sont une formidable respiration en forme de rêve initiatique: c’est avec le maillot de l’équipe nationale (numéro 10 au dos) que les gamins s’endorment la nuit.

On n’est pas obligé de sombrer dans le chauvinisme ridicule, en revanche, on est obligé d’admettre que c’est pour un match de l’équipe de France, qu’avec les copains du clubs ou du quartier, on est allé dans un stade pour la première fois. C’est pour un match de l’équipe de France, qu’à l’heure du dîner, avec les parents et les grand-parents, on s’est tous retrouvé devant l’écran. C’est pour un match de l’équipe de France qu’à intervalles réguliers, les rues se remplissent de joies et de pétards. A l’époque de l’individu-roi, du sur-mesure et du "à la demande", les sélections sont le dernier grand récit collectif qui raconte l’histoire de quelque chose de plus grand que nous. Et encore, la CAN n’a même pas commencé.

Thibaud Leplat