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L'édito de l'After: Le Parc des Princes, chef-d’œuvre inconnu

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Le PSG a annoncé la semaine dernière qu’il ne s’installera pas au Stade de France. Le moment idéal pour racheter le Parc des Princes…de Nicolas de Staël. Ou pas.

"Peindre le coup reçu", c’est le mot d’ordre et le programme de Nicolas de Staël. La grandiose exposition du musée d’Art Moderne de Paris fermera bientôt ses portes. On se souviendra qu’au fond d’une salle, entouré de dizaines de chef-d’œuvres, trônait une lumière. Peinte en 1952, au retour d’un match amical France-Suède d’inauguration de l’éclairage nocturne de l’ancien Parc des Princes, la toile est faite d’aplats de couleurs vives. Dans un premier temps, il ne s’agit pas de comprendre, il s’agit de décrire : cinq verts différents, quatre bleus, du blanc, du noir et quelques pointes de rouge comme des étincelles. 200x350 cm d’éblouissement intérieur.

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Quiconque connaît les stades est familier de cette sensation primitive. Souvenez-vous la première fois que vous êtes montés dans une tribune. Supprimez tout ce que vous avez déjà pensé, déjà connu. Contentez-vous de l’impression première. Figurez-vous le premier vertige de couleurs et de sonorités, l’éclairage qui brille, les maillots des joueurs qui reflètent la lumière, le vert omniprésent de la pelouse, la nuit noire qui pèse et les ténèbres qui scintillent. Nicolas de Staël n’a pas simplement peint le Parc des Princes. Il a peint ce que ça fait de rentrer dans un stade en pleine nuit. Il a peint ce que le football fait à son spectateur quand il daigne y consentir.

Le Parc des princes par Nicolas de Staël (1952) mis aux enchères chez Christie's en 2019
Le Parc des princes par Nicolas de Staël (1952) mis aux enchères chez Christie's en 2019 © AFP

Retour au stade vécu

Curieusement de Staël n’y connaissait pas grand chose en football. Pourtant il a mis le doigt dans l’exacte blessure qui menace celui qui confie au football quelques minutes rituelles de sa mémoire. J’ai un jour emmené un ami d’enfance au Santiago-Bernabeu, espérant que les éclats des étoiles Zidane, Figo et consort, consolent — par propagation — sa longue mélancolie. Dépressif et désespéré, il était parvenu à quitter son refuge normand pour venir jusqu’à moi à Madrid. Installé dans les tribunes, celui qui, des années plus tôt, avait parcouru l’Europe pour suivre son équipe, celui qui m’avait initié à l’adolescence et à la loyauté à l’égard de son équipe (Paris), s’effondra tout à coup. Il se mit à pleurer au milieu du match. Désespéré, inconsolable, les couleurs du stade étaient venues frapper en plein cœur. Il n’arrivait plus à aimer le football. Son esprit était devenu hermétique à la beauté de l’enfance. Quelques mois plus tard, à l’âge de 33 ans, Damien se jeta dans le vide. Comme Nicolas de Staël.

Que se passe-t-il à l’intérieur d’un stade pour qu’il réveille les ombres qui dorment? Nicolas de Staël l’écrit à son ami le poète René Char quelques semaines plus tard "quand tu reviendras on ira voir des matchs ensemble, c’est absolument merveilleux, personne là-bas ne joue pour gagner si ce n’est à de rares moments de nerfs où l’on se blesse. Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi, avec toute la présence que cela requiert, en toute invraisemblance. Quelle joie René, quelle joie!" Le peintre ne dormira pas de la nuit. 24 toiles naîtront de cette rencontre avec le football, dont ce chef-d’œuvre, marquant une rupture fondamentale dans l’histoire de l’abstraction. Après des années à peindre des concepts, De Staël revenait à l’éblouissement du monde d’avant la réflexion, d’avant le jeu, d’avant la connaissance. Une tonne de muscles voltigeant dans la lumière d’une herbe rouge et le ciel noir; ce qui est peint ici ce n’est pas le stade vu mais le stade vécu.

Culture et football

Au pays de Bourdieu, on se moque souvent des peintres qui aiment le football. Encore plus des footballeurs qui aiment la peinture. En France, il ne fait pas bon dire qu’en période de trêve internationale, on est allé voir une expo. Un interdit moral règne. Le raffinement serait une affaire de classe, paraît-il. Il ne fait pas bon non plus, d’ailleurs, dans un dîner en ville, dire qu’on suit de près les résultats de la dernière journée de championnat. Ou alors à la condition d’un sarcasme. On se justifie quelques minutes puis on acquiesce poliment et on passe à autre chose. Dans le pays de Camus et de Nicolas de Staël (français de cœur), on a noué patiemment un cordon sanitaire tout autour du football pour s’assurer que jamais il ne s’échappe de son périmètre. Pourtant il est partout. Cette toile, chef d’œuvre d’une rétrospective éblouissante, le prouve une nouvelle fois.

Longtemps exposé au Musée Picasso d’Antibes, à quelques centaines de mètres de la terrasse dont le peintre se jeta en 1955, le Parc des Princes (le tableau) a été vendu par la famille aux enchères pour 20 millions d’euros en 2019. A la fin de cette rétrospective (21 janvier)le tableau retrouvera une collection privée anonyme. La semaine dernière, le PSG a annoncé ne pas déposer de dossier de rachat du Stade de France. Il est donc être prêt à nouveau à négocier avec la Mairie de Paris pour l’acquisition du Parc des Princes (le stade). Faisons un rêve. Et si le destin naturel de cette toile était de revenir à son lieu d’inspiration? Et si, à défaut de devenir enfin propriétaire de son stade, le PSG offrait à ses supporters et à tous les amateurs d’éblouissements le bonheur d’acquérir ce Parc des Princes? Plus célèbre encore que le stade, le tableau de Nicolas de Staël serait ainsi rendu à l’adoration publique. Non. Soyons réalistes. On est en France. Ces choses-là ne se font pas.

Thibaud Leplat