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L'édito de l'After: Luis Enrique, un journaliste comme un autre

Luis Enrique, entraîneur du PSG, à Poissy le 15 août 2024

Luis Enrique, entraîneur du PSG, à Poissy le 15 août 2024 - Baptiste Fernandez/Icon Sport

Quelle différence entre le métier d’entraîneur et celui de journaliste? Aucune, dans les deux cas, la mission consiste à commenter le travail des autres.

11 septembre, Le Pen, réchauffement climatique, ensauvagement, perte d’autorité, dépolitisation, violence en tribunes, impunité des ultras, gabegie politique, désintérêt pour la ligue 1, dette publique, notes de frais du président de la LFP, Mediapro, COVID, guerre au Yemen: c’est simple, à la fin de n’importe quelle conversation tout est toujours de leur faute, aux "journalistes". Soit parce qu’ils parlent mal d’un sujet dont ils devraient parler. Soit parce qu’ils ne parlent pas d’un sujet pourtant central. Mais attention, on n’est pas là pour se plaindre. Être responsable de toutes les plaies du monde a des vertus euphorisantes. Il suffit d’écouter un pressophobe comme Luis Enrique pour ressortir ragaillardi. Le syllogisme est implacable: si tout est la faute des journalistes, c’est donc que les journalistes gouvernent le monde. CQFD.

Lors d'une de ses dernières conférences de presse, quelques minutes après avoir collé une danse au Pinault Men rennais, Lucho a demandé "un peu plus de niveau" à la poignée de reporters présents en salle de presse. Il a soupiré très fort quand une question sur la menace que pourraient représenter les coups de pieds arrêtés d’Arsenal (son futur adversaire) lui a déplu. "Je crois que le football est injuste avec nous parce que nos adversaires nous créent beaucoup moins de danger que l’an dernier, mais une chose est sûre: vous n’allez pas en parler. (…) La négativité est habituelle contre le PSG. Si vous comparez les chiffres cette saison avec ceux de la saison dernière, ils sont infiniment meilleurs. Mais ça, on peut être sûr que vous n’allez pas m’en parler. Vous allez me demander si dans ces dernières 10 minutes il s’est passé ça ou autre chose, si les coups de pied arrêtés, s’il pleut, s’il vente…" Nouveau soupir. L’ambiance est à la purge.

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Question idiote

Écartons tout de suite une idée claire: il n’y a rien d’original, encore moins de courageux, à vouloir dévorer des journalistes inoffensifs. Trump, Poutine, Mélenchon ou Luis Enrique ont en commun cette même détestation (que se passerait-il si Luis Enrique était nommé ministre de l’Intérieur?). Les questions somme toutes moyennes des reporters de passage sont-elles plus importantes que les réponses? On nous avait pourtant répété pendant toute notre enfance qu’il n’y avait "jamais de question idiote". Que la naïveté était une qualité. Que les pédagogues savaient tirer n’importe quel interlocuteur par le haut.

Ceci étant dit, mettons-nous maintenant à sa place. Que reproche Luis Enrique à la presse exactement? Un manque d’objectivité, de positivité et de travail. Dans le documentaire qui lui est consacré par Movistar, il revient sur la relation conflictuelle qu’il a toujours entretenue avec l’extérieur. Pour lui, les journalistes sont au mieux des imposteurs et, au pire, des intrus dans la relation qu’il souhaiterait directe avec ses supporters. En pleine Coupe du monde 2022, lors de ses célèbres sessions sur Twitch, l’homme promettait ainsi de répondre à "toutes les questions". En particulier à celles qu’il avait choisies au préalable et qu’il arrivait à lire sur son écran. Comme si "répondre à des questions" relevait d’un dialogue véritable.

Erreur de transmission

Telle est la différence entre la communication (omniprésente dans le football) et la transmission (trop rare). La communication, écrit Régis Debray, "c’est l’acte de transporter une information dans l’espace, et transmettre, transporter une information dans le temps". Dans le premier cas, le message s’épuise à peine parvenu à son destinataire. Comme un slogan pour des nouilles ou de l’huile de moteur, il est condamné à disparaître au moment où il est prononcé. C’est la raison pour laquelle il est univoque et répétitif. Comme un marteau qui tape sur des têtes. Dans le second, il donne naissance à une nouvelle interrogation. Le message prend alors la forme d’une conversation où la recherche de la vérité est commune. Chacun faisant un pas vers l’autre, ce qu’il en sort est durable et s’appelle la "culture". Dans le premier cas, l’essentiel n’est qu’écume et fumée. Dans le deuxième, la conversation est un feu qui allume les consciences.

L’erreur de Luis Enrique est de considérer que les journalistes ne sont que des poseurs de questions. Par paresse intellectuelle, il feint ainsi d’ignorer le rôle indispensable du critique pour hiérarchiser, valoriser, éduquer l’audience qu’il courtise par ailleurs. Côté presse, l’erreur que nous commettons parfois, par corporatisme ou lassitude, c’est de sous-estimer la quantité de travail que ces hommes sont condamnés à abattre. À trop réduire la mission d’un coach au superflu (mettre des noms sur une feuille de match et inventer des solutions tactiques à des problèmes que personne ne s’est posé), on néglige l’invraisemblable complexité de ce métier (cf revue de l’After numéro 14). Il s’agit de manager 26 joueurs (dont la majorité ne joue pas) et une vingtaine de membres du staff élargi, le tout, en apnée. L’immense majorité des décisions sont prises pour des motifs invisibles. Au fond ces deux métiers se ressemblent beaucoup. La preuve, à la fin, c’est toujours de notre faute.

Thibaud Leplat