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Philippe Auclair - 15 mai 2011

Manchester en liesse, Arsenal en deuil, West Ham qui plonge en enfer...

Pour une fois, tout le monde sera content à Manchester, peut-être pas au point d’organiser une parade commune dans le centre-ville, mais content tout de même. Côté rouge, le 19ème titre tant attendu – un de plus que Liverpool, s’il faut le rappeller – a été décroché dans la douleur à Blackburn. Au passage, c’était le 32ème titre de Ryan Giggs, qui égale ainsi le record du monde du roi Pelé. Comme presque personne ne l’a signalé, je le fais. Une performance douteuse de plus à l’extérieur, mais un point au final, plutôt chanceux: c’était un résumé comme un autre de cette drôle de saison des red devils, par moments irrésistibles (souvenez-vous du week-end dernier), mais souvent plats et sans inspiration loin de leurs bases. Le désir, par contre est toujours là, et a fait la différence, comme on s’y attendait. Côté bleu, enfin un trophée, le premier depuis la League Cup de 1976, et la perspective d’achever cette saison devant Arsenal, et d’éviter ainsi un 3ème tour préliminaire de Ligue des Champions qui, cette année plus encore que toutes les autres, sera un piège dans lequel quelques oiseaux au joli plumage se feront piéger comme des mouches à miel.

Commençons par cette finale de Cup, riche de beaucoup d’enseignements. Le premier est que la FA est devenue incapable d’organiser la plus grande fête, historiquement parlant, du football anglais. Sono à fond, noyant les chants de 88 000 supporteurs chauffés à blanc, ténor et soprano indignes d’une croisière deux étoiles pour massacrer ‘Abide With Me’, cette splendeur, et l’hymne national. Quand une institution se dit qu’il faut ‘rendre une âme’ à un événement populaire, vous pouvez être certains qu’elle se plantera dans les grandes longueurs; un peu comme lorsque Télérama ‘découvre’ un groupe de rock indépendant. Too late, my friend, too late.

Cela dit, après une première mi-temps que j’ai déjà oubliée, heureusement, City a montré de jolies choses. Et Mario Balotelli le premier. Ce garçon a été tellement descendu dans les médias qu’il est on ne peut plus juste de dire, et fort, qu’il a montré samedi pourquoi tant de gens croient en lui. J’avoue avoir un faible pour ce gamin, car c’en est un, qui a échappé à tout formattage, et qui dit crûment à son interviewer de ITV, en direct, qu’il avait ‘fait une saison de merde’. Certes. Je préfère cette honnêteté aux platitudes des ‘interviews-flash’ qu’on nous sert à la louche match après match. Mancini a su trouver les mots pour motiver son Mario au bon moment. Et Mario l’a récompensé de sa confiance. Il a eu des gestes de grande classe, il a bossé, il provoque le but des Citizens, et seule une parade magnifique de Thomas Sorensen l’a privé du sien.

Les autres images? Les supporters de City faisant une ‘Poznan’ hilarante en première mi-temps, 40 000 d’entre eux, bras sur les épaules, rigolant comme des enfants. Et mon voyage à Wembley, en compagnie d’une fournée de supporters de Stoke passablement allumés. Dans notre compartiment se trouvait un malheureux fan des Citizens. Aussitôt, le chambrage. Chanson après chanson. Mais chaque fois qu’un couplet était terminé, le Mancunien y allait du sien au milieu des rires. Et ainsi de suite, pendant les douze-quinze minutes qu’il faut pour aller de Baker Street à Wembley Park. Pour finir, le bleu est sorti bras-dessus bras-dessous avec les baraques de Stoke, en chantant un refrain plutôt salé sur les vertus de Manchester United. Mon ami Jean-Michel Rouet avait assisté à la même scène dans son wagon, mais avec un enfant ‘stokiste’ de sept-huit ans accompagné de son père dans le rôle du franc-tireur égaré dans les lignes ennemies. ‘Votre David Silva, on va lui péter les jambières!’, disait-il. C’est un peu violent, OK, mais ceux qui l’entouraient ont compris. Pas de bagarre. Des rires, encore. Zéro arrestation. Zéro problème. Ceux qui croient que le football anglais a vendu son âme oublient que ce qui fait le football anglais n’est pas à vendre. Ses vrais propriétaires ne sont pas des éleveurs de poulets indiens ou des pirates d’entreprise américains, mais les fans, et eux seulement. Pas besoin d’être un socio pour ça.

Ce qui m’amène, tout naturellement, aux scènes dont j’ai été le témoin à l’Emirates, au cours d’un match triste, non pas à mourir, mais à déchirer sa carte d’abonnement. La prestation consternante des Gunners, une de plus, n’était pas une surprise en soi (je vous en avais touché deux mots dans le Larqué-Foot de vendredi): cette équipe a fini sa saison au mois de mars, joue en roue libre, et la plupart de ses joueurs se sont depuis montrés indignes de porter le maillot de Tony Adams, Patrick Vieira, Liam Brady et tous ceux dont les noms figurent sur le pourtour de l’Emirates. Et ne parlons pas de Sébastien Squillaci, de grâce. Si j’avais la place, et le temps, je préférerais vous parler de Darren Bent, la grande occase du mercato, l’attaquant le plus sous-estimé de la Premier League. Plus tard, peut-être. Capello était là, et l’Angleterre a deux gros matches à jouer en juin.

Un chant a été repris plus fort que tous les autres: ‘six percent, you’re having a laugh’. Une allusion à l’augmentation, de 6% donc, au plus fort de la crise, des ‘season tickets’ de l’Emirates, déjà parmi les plus chers de l’Angleterre. Cette décision catastrophique pour l’image du club, adjointe aux rumeurs de mise à pied du président historique des Gunners Peter Hill-Wood, a même poussé plusieurs centaines de fans à défiler sur Blackstock Road en chantant des slogans hostiles à Stan Kroenke et à la stratégie du club. L’ambiance à l’Emirates est horrible. Il n’y avait plus que quelques milliers de supporters pour applaudir du bout des doigts le traditionnel ‘tour d’honneur’ des joueurs et du staff après le coup de sifflet final. J’ai remarqué Samir Nasri et Marouane Chamakh passant devant ma tribune en rigolant. Je ne sais pas, moi...mais je viendrai de perdre un match crucial 2-1, je ne rigolerais pas. Cesc Fabregas, dont la blessure à la cuisse s’est aggravée (encore bravo au staff médical d’Arsenal) avait sa mine des très mauvais jours, et je ne crois pas que je le reverrai sous ce maillot pour lequel lui, au moins, s’est toujours battu. Il semblerait que Pat Rice conservera son poste de beni-oui-oui la saison prochaine, par contre. N’importe quoi. Merci, Pat, grand serviteur d’Arsenal. Mais au revoir. Arsène, écoutes ceux qui font ton club – les supporters. Ils ont mal. Ils doutent. La plupart d’entre eux veulent toujours croire en toi. Montres-leur qu’ils ont raison de le faire. Agis. Et commences par botter les fesses de quelques pseudo-stars dont la vie et la carrière sont par trop confortables. Je m’arrête là, parce que je n’en finirai jamais.

Et que je dois évoquer West Ham. Que Wigan ait gagné 3-2 après avoir été mené 2-0 ne me surprend en rien. Roberto Martinez et ses joueurs, Charles N’Zogbia le premier, encore buteur, n’ont jamais cessé d’y croire. Leur regain depuis le début du printemps est magnifique, et j’espère de tout coeur que ces Latics vont se sauver: leur jeu, leur solidarité, leur président Dave Whelan, leur superbe manager le méritent amplement, malgré la maigreur des foules au DW Stadium. Mais West Ham, oh, mon coeur...

Le triumvirat Gold-Sullivan-Brady est une abomination. Quelle classe, lady and gentlemen: virer Avram Grant aussitôt la descente en Championship confirmée...ah, bravo. Comme me le disait un confrère italien il y a quelques jours, ‘le plus gros problème dans la plupart des clubs qui tournent mal est qu’on ne peut pas limoger les premiers responsables: les propriétaires”. Certes, Grant est tout sauf un génie, sauf en ce qui concerne sa com’, comme on dit de nos jours. Le flingueur de Porstmouth est devenu le flingueur de West Ham, avec un effectif pourtant mignonnet. Arsène! Tu sais que Scotty Parker est disponible? Carlton Cole, Demba Ba (deux buts de plus au compteur, en vain), Piquionne, Hitzlsperger, Upson, Green...et ça descend? Ce qui me fait penser à ce que Ba, un pays à moi (il a grandi au Havre, moi à Yvetot) me confiait récemmment, en écarquillant les yeux: ‘mouiller le maillot...mais il n’y a rien de plus facile! C’est le minimum absolu!’ Lui le fait. Mais quand on n’a aucune organisation, un milieu de terrain qui ne sait plus où est la ligne médiane, un entraîneur incompréhensible et absentéiste, et des propriétaires qui ne pensent qu’aux sterling dont ils vont se goinfrer en vendant Upton Park pour emménager au stade olympique de Stratford, voilà ce qui se passe. Et le club de Bobby Moore et de Trevor Brooking se retrouve en deuxième division. Le vestiaire sera à demi-vide au mois de juillet. West Ham nous manquera, mais pas pour longtemps, j’espère. J’espère, mais je ne le crois pas.