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Philippe Auclair - 16/09

Reveries d'un insomniaque de retour d'Arsenal

C’est souvent comme ça après un match de Ligue des Champions. Il est très tard quand j’arrive enfin chez moi, mais l’adrénaline continue de pomper, et le sommeil ne vient pas. Certains prendraient leur tisane, voire un comprimé; ce soir, je m’assieds devant l’écran.

Arsenal – je ne m’en suis jamais caché – est mon club, depuis 1979, et Liam Brady mon héros; mais au fil des ans, j’ai appris à ne pas sauter de mon siège sur un but des Gunners, et à mieux contrôler mes émotions. Tout journaliste est – je l’espère – ainsi. Fred est un madridiste, Didier un romaniste, Daniel un psgiste, Jano a son TFC...C’est pareil dans les salles de presse anglaises. Steve Stammers? West Ham, tout comme Martin Samuel. Paddy Barclay, Dundee. David Lacey, Manchester City. Martin Lipton, Spurs. Nous avons tous nos réflexes, nos affinités, nos amours. Mais nous apprenons à leur mettre la bride sur le cou. Ah, la fameuse ‘objectivité’...parlons plutôt de tolérance, de la vraie, de celle qui vous ôte les oeillères et qui, en ce qui me concerne, me fait aimer le jeu de Tottenham, alors que White Hart Lane...bref. Ou admirer le travail de Carlo Ancelotti à Chelsea, comme j’avais admiré celui du grand José Mourinho. Ou applaudir lorsque Ryan Giggs fait ‘tomber l’épaule’, comme disent les Britanniques, et efface un adversaire sans avoir seulement touché le ballon. La beauté du football? Entre autres – aimer ce et ceux qu’on ne ‘devrait’ pas, parce que c’est le jeu lui-même qu’il faut d’abord aimer.

Tout cela pour vous confesser qu’il est des soirs où on se demande si l’on n’est pas trop dur avec ceux qu’on aime parce qu’on ‘doit’. Appellé en fin d’after, je n’ai pas voulu en rajouter sur le 6-0 des Gunners contre Braga, qui avait quand même sorti le Celtic et Sévillle pour en arriver là. Ma brève intervention achevée, je me suis dit – quand même, Philippe, tu aurais peut-être pu faire comprendre que tu t’étais régalé. Je cherchais des réserves, mais plus par conscience professionnelle que par conviction intime.

Ce soir, je pense au ‘projet Wenger’, à cette expérience unique dans le football mondial. Equilibrer les comptes, former les jeunes, proposer un football qu’on rêve tous d’avoir joué, au risque de laisser des titres en route. Créer une vraie pérennité, dans le respect de valeurs que tant d’autres bafouent. Ce n’est pas le supporter d’Arsenal qui parle, mais l’amoureux du football.

Et je pense aux 60 000 spectateurs qui sont sortis de l’Emirates en marchant sur des nuages. Faire rêver, quoi de plus beau?

Je pense à Marouane Chamakh, Jack Wilshere et Cesc Fabregas qui, avec leurs coéquipiers, ont su incarner cette vision d’un football d’où la laideur est exclue. Savourons ces moments. Faisons taire les cyniques, ceux qui, comme le disait Oscar Wilde, ‘connaissent le prix de tout, et la valeur de rien’. C’est Ryan Giggs, encore lui, faisant tournoyer son maillot après avoir marqué – tiens, contre les Gunners - en demi-finale de FA Cup. Jimmy Greaves ou George Best, Peter Osgood, Matt le Tissier, Drogba le gladiateur, Rooney le gamin.

Si j’ai du mal à m’endormir, c’est à cause d’Arsenal, évidemment; mais aussi d’eux. Et, franchement, ça ne me dérange pas du tout d’attendre un peu plus avant de regagner mon lit. Faites de beaux rêves; moi, je les ai faits ce soir, tout éveillé.