Philippe Auclair - 29 Aout 2011

Chers tous, et chères toutes,
Vous aurez peut-être été surpris du silence que les Drôles de Dames ont observé depuis la fin de la saison passée. Pas de panique! N’y lisez rien d’autre que la promesse d’un nouveau blog, ‘re-looké’, comme on dit (hélas), grâce auquel nous serons en contact avec vous et répondrons à vos questions tous les lundis avant et pendant le grand after. Si j’en crois l’ami Gilbert, ce nouvel espace devrait s’ouvrir d’ici peu, peut-être dès la semaine prochaine.
En attendant ces vraies retrouvailles, un petit hors d’oeuvre, dont vous vous doutez qu’il a comme un parfum londonien après le week-end de fous que nous avons vécu. “Manchester 13, Londres 3” pourrait servir de titre. J’étais à White Hart Lane pour assister à la démolition des Spurs par un Manchester City qui me parait plus que jamais le seul challenger crédible du champion en titre, et c’est également depuis le stade des Spurs que j’ai assisté, avec un sang-froid qui en disait long sur ce que j’escomptais, à savoir un massacre, à la pire défaite d’Arsenal dans l’élite depuis...toujours. A chaque but de Rooney et cie, j’entendais une clameur monter du bar ou les fans de Tottenham s’assemblent après chaque match à domicile, à une vingtaine de mètres de la salle de presse. On se console comme on peut. Et pourquoi pas?
Un mot sur ce 5-1 des Citizens, avant de passer à ce qui doit évidemment être le thème de ce billet, à savoir ‘la chute de la maison Wenger’. City a changé de peau en quelques mois. Oubliée, l’équipe frileuse qui faisait descendre le rideau à l’extérieur – et parfois même à la maison. Les renforts y sont pour quelque chose. Agüero plus Nasri (et n’oubliez pas l’excellent Savic!), c’est du très, très lourd. L’absence forcée de Nigel de Jong a aussi joué son rôle, en ce que Mancini ne déroule plus son 4-3-2-1 habituel, et que ses attaquants disposent désormais d’un soutien supplémentaire. Du coup, on redécouvre le Dzeko de la Buli, comme dirait Polo, dont le quadruplé ne devait rien au hasard, mais tout à un sens du but trézégolien et à une palette technique dont la diversité et l’assurance ont quelque chose d’étonnant chez un joueur de ce gabarit. Mais la plus grande transformation est d’abord celle qui s’est produite chez Mancini. Après une saison et demie passée à dompter son mustang et à lui apprendre les bonnes manières (de défendre), Roberto-le-dresseur laisse filer les rênes, et le résultat est une équipe dont le jeu inquiétera les plus grands clubs européens. Avec un Silva éblouissant et un Nasri en pleine bourre (quoi qu’on pense des ciconstances de son transfert, ce qui est une toute autre histoire), on va se régaler dans ce groupe A de Ligue des Champions...
Tottenham? Ne tirez aucune conclusion des deux raclées prises contre les représentants de Manchester. Redknapp, miné par la saga Modric, laquelle parviendra bien à une conclusion dans les deux jours qui viennent, privé d’une vraie pré-saison, la faute aux émeutes qui ont causé le report du prmeier match des Spurs, n’a pas pu préparer son équipe comme il l’espérait. Les renforts se sont fait attendre. Bref, Tottenham est en suspens; mais on les retrouvera vite à leur niveau, avec ou sans Modric, lequel, entre parenthèses, fera énormément de bien au Chelsea affligeant que j’ai vu au Bridge samedi. Nous en reparlerons plus tard: mais l’effet Villas-Boas se fait attendre, et je ne suis pas le seul à me demander si le jeune Portuguais va parvenir à mettre sa griffe sur le plus dysfonctionnel des grands clubs de Premier League.
Enfin – le plus dysfonctionnel – après Arsenal, évidemment, dont la chute amorcée au printemps dernier après la finale de la Coupe de la League s’accélère à presque chaque sortie. Le beau sursaut d’orgueil contre Udinese était un accident; et, que Didier me pardonne, cet Udinese-là, malgré le génial Di Natale, était un adversaire autrement plus facile que beaucoup des équipes auxquelles Arsenal va se frotter en Angleterre tous les week-ends des huit mois à venir.
Nous analyserons en détail le pourquoi et le comment de la débandade d’Old Trafford ce soir à l’antenne (après l’avoir évoqué dans Luis Attaque cette après-midi), aussi ne m’attarderai-je pas sur les blessures, les suspensions, les choix douteux de Wenger, l’excellence de ce Man U revampé pour la énième fois par ce génie de Sir Alex, etc, etc. Je préférerai pour le moment vous faire part d’une pensée qui m’a traversé l’esprit hier: Wenger est un vieux rocker.
Une sorte de David Bowie, qui continue de sortir des albums auxquels plus personne ne prête attention, achetés par des fans qui ne les sortent pas de leur film de cellophane parce qu’ils savent qu’ils seront déçus. Ils préfèrent se souvenir de Ziggy Stardust et du Thin White Duke. Qui les blâmerait? Mais si, en musique, on peut toujours écouter les albums d’autrefois, et en tirer un bonheur égal, en football, ce n’est pas un DVD des Invincibles qui changera quoi que ce soit au score de ce dimanche. Les interprètes ont changé, et pas en bien. Et le football ne se vit qu’au présent: les médailles gagnées hier ne pèsent pas lourd.
Wenger fut un révolutionnaire, l’un de ces entraîneurs qui, avec Chapman, Cullis, Shankly, Busby, Ramsey, Clough et évidemment Ferguson, ont défini pour toujours le football anglais. Mais le temps a filé. Ce qui était révolutionnaire en 1996 est devenu la routine pour beaucoup de clubs de Championship. Arsenal s’est fossilisé dans un projet admirable, mais condamné à l’échec par le bouleversement de la structure économique du football en Angleterre; en 2011, on ne peut plus gérer un grand club, et Arsenal en demeure un, guidé par des principes d’épicier, fût-il de luxe, et proposât-il les produits les plus goûteux qui soient. A un an de l’introduction du fair-play financier par l’Uefa, Arsenal, Wenger, donc, n’a pas compris qu’il était indispensable de frapper fort cet été, comme l’ont fait tous ses concurrents, y compris Liverpool. Le nouvel ordre qui se met en place, précipité par les directives à venir, à de fortes chances de s’avérer encore plus inflexible que celui d’avant. Or Arsenal risque aujourd’hui de s’en voir exclu, et pour longtemps, s’il ne réagit pas immédiatement. Peut-être est-il d’ailleurs trop tard, car Wenger a totalement loupé ce rendez-vous. Ne savait-il pas que Fabregas s’en irait? Etait-il le seul à ignorer les appels du pied faits à Samir Nasri, dont je vous certifiais l’existence il y a presque deux mois de cela? Ne voyait-il pas les trous béants qui existaient dans son effectif? Mais il n’a rien fait, préférant un jeu attentiste, muré dans sa logique implacable. Valide hier, elle ressemblait désormais à de la déraison.
Des catastrophes comme celle d’hier ne se reproduiront pas, cela dit. Pour une fois, le break international tombe à pic. Même le staff médical d’Arsenal, sur lequel on a le droit d’avoir des doutes (un euphémisme), devrait être capable de retaper les blessés en série, et les suspensions de Song, Gervinho et Frimpong ne sont pas éternelles. Si cela se trouve, Wenger finira peut-être par acheter les joueurs qui lui font cruellement défaut, encore que...en deux jours...
Mais le manager a-t-il vraiment le désir de changer, lui qui se dit être son plus féroce critique? Sa paranoïa actuelle, qui lui fait imaginer – complètement à tort – que les médias britanniques se sont jurés de le démolir, n’encourage pas à le penser.
De plus, surtout, le club est malade. La prise de pouvoir de Stan Kroenke n’a pas apporté de fruits autres que l’augmentation du prix des abonnements, une tournée asiatique et le grossissement de la cellule marketing. Les supporters, que Wenger ne connait pas, quoi qu’il en dise, se sentent totalement exclus de leur club. L’image de la fin? Armand Traoré, nul sur le terrain, honteux au coup de sifflet final, mâchant son chewing-gum, rigolard, à quelques dizaines de mètres de fans qui avaient payé une fortune pour soutenir leur équipe à Manchester, et l’ont fait jusqu’à la fin, malgré leur rage et leur douleur. J’espère ne jamais revoir ce footballeur dans un maillot d’Arsenal. Je ne suis pas sûr que mon voeu soit exaucé, et c’est bien le problème.
A ce soir, les ami(e)s.