Philippe Auclair, 9 Mars 2010

Barcelone, soleil et ombre.
Il y a un Barça solaire: celui d’Iniesta, qui toucha au sublime hier soir. Celui de la pichenette instinctive et géniale de Leo Messi sur le premier but. Quelques redoublements de passes et décalages que seule cette équipe est capable d’imaginer, et d’exécuter. Barcelone, meilleure équipe du monde? Evidemment. Supérieure à Arsenal? Sans le moindre doute, sur le plan technique comme sur celui des individualités. Qui a jamais prétendu le contraire? Certainement pas moi.
Mais il y aussi une part d’ombre dans ce chef d’oeuvre, que personne ne semble vouloir relever. Et je ne veux pas parler de l’arrogance qui fit dire à Pep Guardiola que, ‘des joueurs comme Jack Wilshere, il y en a plein dans notre réserve’. Vous avez bien de la chance si c’est le cas, M. Guardiola. Ce commentaire gratuit ne flattait pas son auteur, tout comme son affirmation que, avec le score 1-1 et Arsenal virtuellement en quarts de finale, son équipe aurait marqué des buts comme s’il en pleuvait, même si Robin van Persie n’avait pas été victime d’une des fautes d’arbitrage les plus scandaleuses de l’histoire de la Ligue des Champions. Oui, scandaleuse. Un pénalty non sifflé, un hors-jeu signalé à tort, une main qui passe inaperçue, que voulez-vous, l’erreur est humaine...Là, c’est tout autre chose. Voilà pourquoi je ne parle d’ordinaire jamais de l’arbitrage. Là, c’est une décision prise à froid, impardonnable.
Il est tout de même étrange que ‘la meilleure équipe de l’histoire’ ait besoin de tant de coups de pouce pour prouver qu’elle mérite cette étiquette pour moi absurde.
L’expulsion de Lehmann en finale à Paris. Le hold-up de Stamford Bridge en 2009. L’expulsion de Thiago Motta à la 29ème minute de la demi-finale retour contre l’Inter en 2010, suite à un grand numéro de cinéma de Sergio Busquets. Mais, surtout, le refus – comme s’ils étaient hypnotisés – des arbitres de sanctionner les joueurs barcelonais comme ils punissent leurs adversaires. Que le Barça ait fini le match d’hier sans un seul carton défie l’entendement. Abidal qui saisit van Persie à la gorge. Alves qui taille Nasri. Et ces fautes, constantes, dans les trente mètres adverses, petits coups de pied dans les chevilles, poussettes dans le dos, tirages discrets du maillot, obstructions...On appelle ça le pressing, parait-il.
Qu’une chose soit claire, avant qu’on m’accuse d’anti-catalanisme primaire (on le fera de toute façon): les joueurs de Barcelone ne pas les vrais coupables. Ils exploitent le laxisme des hommes en noir comme tout autre le ferait. Alves est un virtuose de l’anti-jeu, certes. Mais quelle équipe n’a pas de ces destructeurs? Non, je ne blâme en rien Guardiola et ses hommes.
Je blâme un regard sur le Barça; ou plutôt, un aveuglement, causé par le soleil qu’est ce club.
C’est comme si ses adversaires (quels qu’ils soient) n’avaient pas le droit de défendre. Comme si un Manuel Almunia, héroïque hier soir, n’avait pas le droit de sortir le grand jeu. Comme si un ‘contre-son-camp’ n’était pas un vrai but. Comme si tout le monde devait se pâmer devant la beauté du jeu des extra-terrestres de Catalogne, alors qu’ils ne sont qu’humains, ce qui est tellement plus admirable! Comme si résister, comme on peut, avec ses moyens, était un crime de lèse-majesté.
C’est ridicule – et là encore, ce n’est pas Barcelone, l’équipe, qui est en cause. Hormis ses commentaires sur Wilshere, Guardiola respire la classe, et considère toujours ses rivaux avec le respect qui leur est dû. Ceux que j’accuse, ce sont ceux qui se gargarisent du Barça, qui lui passent tout. Comme si Xavi et Cie en avaient besoin! Ils sont suffisamment grands pour qu’on ne les rehausse pas à coup de dithyrambes, tandis qu’on rabaisse ceux qui ont le culot de faire face à leur machine à faire des rêves.
Je lis un peu partout que Wenger avait eu tout faux en alignant son 4-5-1. Arsenal ne sait pas défendre! Curieux, jusqu’à la talonnade insensée de Cesc Fabregas, dont la performance fut catastrophique, voire honteuse, cette équipe qui ne sait pas défendre, avait perdu son gardien numéro 1, et vu deux de ses défenseurs (Sagna et Koscielny) avertis en moins d’une demie-heure pour des fautes bien anodines, tenait toujours à 0-0. Oui, avec un brin de chance. Mais surtout beaucoup de discipline, et une énorme prise de risque dans la tenue d’une ligne très haute. Le football, c’est aussi ça.
Quand Arsenal se taille la part du lion en possession en championnat d’Angleterre, cadre 20 tirs, concède un nul ou se fait avoir sur un contre miraculeux, on loue le courage de son adversaire, et on a raison, mille fois raison. Quand c’est Barcelone, on crie au scandale. Et on a tort.
Répétons-le: les Barcelonais eux même n’y peuvent rien. Ils sont la meilleure équipe du monde. Bravo à eux, et bonne chance pour la suite de la route.
Je crois néanmoins que leur football mérite largement mieux que l’unanimisme paresseux de mise aujourd’hui. Mais c’est notre temps qui veut ça.