Philippe Auclair - Carnet de Russie (2), 22/09

Moscou. Premier arrêt, le stade de Loujkini... le racisme au menu.
Moscou. Premier arrêt, le stade de Loujkini, au coeur de l’immense complexe sportif construit sur les rives de la Moskva pour les JO de 2010. Les Moscovites s’en servent aussi comme d’un parc pour flâner aujourd’hui; les feuilles de bouleau ont viré au roux sous le soleil d’un été indien comme la Russie en a rarement connu. L’ambiance est paisible, presque paresseuse, le coup d’oeil magnifique. Par chance, Alexei Smertine – qui avait gagné la Coupe de la Ligue en 1995 avec les Girondins – est arrivé en avance, et nous pouvons nous asseoir tous les deux dans l’arène où Manchester United avait ‘battu’ Chelsea en finale de la Ligue des Champions en 2008. Smertine n’a rien perdu de son français (comme vous l’entendrez bientôt sur RMC), y compris un répertoire de gros mots à faire rougir un charretier. Il s’esclaffe: ‘c’est Lilian Laslandes qui me les a tous appris!’
Mais nous sommes là pour parler de choses sérieuses. Smertine est éloquent, comme toujours. En voila un qui a su se reconvertir...Il est retourné dans sa ville natale, Altay, en Sibérie, dont il est devenu le député, et où il a ouvert une école de football pour plus de mille enfants. Et, depuis un an, il est devenu ambassadeur de la candidature des Russes, à laquelle il apporte la légitimité d’un ancien pro qui a imposé le respect partout où il est passé. Bordeaux, mais aussi Chelsea, et Fulham. Il baisse la voix quand il parle des terribles problèmes de la jeunesse en Sibérie...la drogue, l’alcool, le chômage. Il ne se fait aucune illusion sur les chances de ses apprentis de devenir le prochain Archavine. ‘Un ou deux sur mille seront professionnels’, dit-il. ‘Peut-être. Mais le sport leur apprendra à devenir des gens qui ont une place dans la société’. Voilà pourquoi il rêve tant d’amener la Coupe du Monde dans son immense pays.
Après Alexei, Alexander. Alexander Sorokine, la figure de proue du dossier russe. Et là, changement de décor. Dans un anglais accentué à l’américaine, il nous ‘vend’ la Russie. Plutôt bien d’ailleurs. Mais s’il est très convaincant sur le côté technique, d’autres questions le font tiquer, celle du racisme dans le football russe en particulier. Les stades seront prêts. Poutine a personnellement apporté les garanties financières requises par la FIFA. Oui, il sera certainement là le 2 décembre. Et là, nous sursautons. Si Poutine est là, cela ne signifiera qu’une chose: que la Russie a gagné.
Souvenez-vous de l’annonce du pays organisateur de l’Euro 2016. Nicolas Sarkozy était là, pas Silvio Berlusconi. L’un comme l’autre savaient ce qui les attendaient. Les Turcs le croyaient aussi, mais se trompaient.
Mais je reviens au racisme – étant la personne qui avait mentionné à Sorokine qu’une enquête d’un ‘observatoire du racisme’ indépendant avait, il y a deux semaines, placé la Russie en tête de son hit-parade de la honte, après que le Nigérian Peter Odemwingie avait été la cible d’insultes d’un autre âge de la part de supporters de Lokomotiv Moscou. Un incident parmi des dizaines d’autres. Il est clair que les Russes ont été exaspérés par ce qu’ils considèrent être une campagne de presse menée depuis la Grande-Bretagne. ‘Tout le monde a ce genre de problèmes’, dit Sorokine, pour enchaîner sur le refrain bien connu de la minjorité d’imbéciles qui gâchent la fête pour tout le monde. Là n’est évidemment pas la question. La question, dans le contexte d’un vote de la FIFA, est que le reste du monde perçoit la Russie comme un pays réticent à affronter ses démons.
Un peu plus tard, dans les locaux de Sport-Express, le plus grand quotidien sportif de langue russe, c’est le ministre des sports Vitali Moutko lui-meme qui s’assied parmi nous dans une salle de rédaction décorée de photos (magnifiques, d’ailleurs) d’athlètes nus– sans garde du corps, sans conseiller en com’, sans notes et sans filet. Bien joué. Jamais une scène pareille ne serait imaginable en Angleterre, où tout est formatté par la paranoïa des chefs de presse. Mes amis espagnols et brésiliens me confirment que, chez eux égalemnet, la scène aurait quelque chose de surréel. Profitons-en. Un camarade nigérian repart à l’attaque sur le même thème, mais, cette fois, la réponse est plus subtile et, surtout, plus sincère, ce qui la rend aussi plus habile. “Vous oubliez”, dit Moutko, “que quand l’URSS a explosé, la Russie a perdu 100 millions d’habitants. Quinze autres pays sont nés, qui partaient de zéro. La Russie, elle, a hérité – seule – de l’image de ‘l’empire du mal’. On la charge donc des défauts qu’on prêtait aux Soviétiques!” Ce qui est exact. Mais le racisme? “Donnez-nous le temps de régler nos problèmes. Il en existe ici, comme dans tous les pays du monde. Nous apprennons”
En deux mots, Moutko a tout dit. La Russie est encore un enfant qui apprend à marcher; mais il est tellement grand, cet enfant, qu’on voudrait qu’il coure tout de suite. Cela dit, a-t-on tort de l’espérer?
Je vais devoir scinder le récit de cette journée en deux. Car, plus tard, à notre hôtel, deux visites. La première était prévue – celle du président du CSKA Moscou Evgueni Giner. La seconde ne l’était pas, et je ne suis pas prêt de l’oublier: le grand Rinat Dassaev, l’héritier de Yachine, celui qui, vous vous en souvenez, avait pris le but du siècle, signé van Basten, en finale de l’Euro 1988. Une heure de pur plaisir, à parler de football, de celui qu’on joue sur les terrains. Je reviendrai là-dessus. Pour le moment, devinez qui le Tatar (incontestable numéro 1 mondial à son époque) considère le plus grand gardien de la planète aujourd’hui? Casillas? Non. Buffon? Non. Peter Cech, voilà qui. Vous pensez bien que c’est un choix sur lequel j’ai voulu qu’il s’explique, et il l’a fait. Mais de cela, je vous parlerai demain, si j’ai une minute. Départ pour Sotchi très tôt. Claqué, mais heureux...