Philippe Auclair - DDD 10/10

Liverpool au bord de l’abîme...
Pas de championnat ce week-end, trêve internationale oblige...mais pas de match de la sélection anglaise avant ce mardi, contre le Monténégro de Krancjar senior à Wembley. Ce qui ne signifie pas que je manquerai de sujets de discussion lors des DDD du Grand After; j’ajouterai presque ‘hélas’.
‘Hélas’, parce que le plus brûlant de ces sujets est la situation catastrophique de Liverpool, désormais sous la menace d’une déduction de neuf points qui – aux dernières nouvelles – pourrait faire capoter le reprise du club par NESV, la société de John W. Henry qui contrôle également les Red Sox de Boston. Et cela, deux jours après que la Premier League avait fait savoir qu’elle avait approuvé la vente.
Le problème peut être expliqué en deux mots, deux noms, que les supporteurs des Reds ne connaissent que trop bien: ‘Hicks’ et ‘Gillett’.
Ceux-ci ont été jusqu’à bafouer les termes – écrits – de leur accord avec la Royal Bank of Scotland, le créditeur du club, en nommant un ‘board’ de carnaval dans lequel figure notamment Hicks junior, et dont la raison d’être est d’empêcher à tout prix (c’est le mot) que le board de Liverpool, le vrai celui-là, qui a accepté l’offre de Henry, puisse passer à l’acte. C’est que Hicks et Gillett, évidemment, enregistreraient une perte sèche se chiffrant en centaines de millions si l’opération se faisait. Leur évaluation aberrante de la valeur du club n’a pas d’autre justification que leur désir de gagner encore un peu plus d’argent – et à tout le moins de ne pas perdre un cent. Qu’espèrent-ils? C’est difficile à dire. La situation financière dans laquelle ils ont plongé un club qui était fondamentalement sain avant leur hold-up devrait faire qu’ils se taisent, et acceptent leur sort. Mais allez convaincre un bandit de grand chemin dans leur genre qu’il rende la bourse qu’il a volée – et vide un peu la sienne...Non – Hicks et Gillett, paniqués à l’idée de devoir se séparer de leurs dollars, préféreraient presque tuer le club plutôt que le perdre ainsi, à la régulière.
Ils ont donc porté l’affaire devant la Haute Cour, qui pourrait trancher dès ce mardi – la Royal Bank of Scotland fait pression en ce sens, afin de disposer d’un maximum de temps pour entériner la vente à NESV avant le versement prévu de la prochaine échéance du club – le 15 octobre prochain, dans cinq jours!
Et voilà donc que vient se greffer sur cette situation déjà confuse la menace d’une déduction de points, qui serait automatique si Kop Holdings, la société qui contrôle le club et doit 280m£ à la RBS, était placée sous administration judiciaire...Liverpool se retrouverait lanterne rouge, avec -3 points. De quoi faire réfléchir un repreneur comme NESV.
Ce scénario pourrait paradoxalement faire l’affaire de Hicks et Gillett; je m’explique: en ce qu’il laisserait la place libre à des ‘investisseurs-prédateurs’ en cheville avec eux. Machiavélique? Sans doute – et j’ajoute qu’il s’agit là d’une lecture toute personnelle des événements.
Ce qui est indéniable est que l’un des plus grands clubs du monde vit aujourd’hui les heures les plus sombres de son histoire plus que centenaire; et l’Angleterre – si l’on me permet cette mise au point, que je crois indispensable au vu de ce que j’ai lu ou entendu ici et là – n’est pas de ces pays où certains clubs en faillite continuent de fonctionner comme si de rien n’était, grâce au soutien de collectivités et d’institutions (bancaires et autres) qui, pour des raisons politiques, n’ont pas d’autre choix que de continuer à les financer. Est-ce un bien, un mal? A vous de juger. Oui, l’Angleterre est impitoyable avec ces clubs qui ne peuvent plus payer – Portsmouth, York City, Bournemouth hier, peut-être Liverpool aujourd’hui. Ca aussi, c’est une forme de ‘fair-play’ financier: nul n’est au dessus de la loi. Ce n’est pas le cas partout ailleurs, et qu’on oublie ce fait m’exaspère.
Dans le même ordre d’idées, on ne cesse de parler des clubs de Premier League qui ‘vivent au dessus de leurs moyens’ – se référant souvent aux exemples de Manchester United et de Liverpool pour cela. Et cela aussi m’exaspère, car c’est faux: ces deux clubs ont largement les moyens. Très largement. Ce qui les a placés dans leurs situations actuelles n’est pas un recrutement pharaonique à la Manchester City, mais les OPAs lancées par des aventuriers du free market à l’américaine...avec l’argent des clubs eux-mêmes, sous forme de prêts garantis non pas par l’acheteur, mais par ce qu’il a acheté. Ce qui serait illégal en France, en Allemagne et dans bien d’autres pays. Fred me dit souvent que le système espagnol empêche de pareilles manoeuvres; c’est exact dans le cas de ces clubs de socios que sont le Real Madrid, de Barcelone et de l’Athletic Bilbao. Ce ne l’est pas dans celui de Valence, Séville ou Villareal. Mais si ceux-ci n’ont pour l’instant tenté personne (et tant mieux pour eux), c’est que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle: ces clubs sont des puits sans fond au niveau des pertes. Leur valeur marchande est quasi-nulle. Alors que Manchester United et Liverpool...Et voilà le paradoxe inquiétant: c’est parce que le football anglais est fondamentalement sain et rentable qu’il attire nos cowboys de mélodrame – et, crucialement, parce qu’il ne s’est pas donné les moyens de se défendre. Voilà la leçon qu’il faut retenir de cette sombre histoire.
Et maintenant, souhaitons bonne chance à Liverpool. Ils en auront diablement besoin.