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France-All Blacks 99: le jour où les "petits" Français ont mangé l'ogre néo-zélandais

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Le RMC Sport Show Revival a rejoué ce dimanche l'incroyable demi-finale du Mondial 1999 entre la France et la Nouvelle-Zélande (43-31). Plus de vingt ans après, Marc Lièvremont, Pierre Villepreux ou encore Philippe Bernat-Salles racontent cette page dorée du rugby tricolore.

Ce n'était pas une finale, certes, et il n'y a pas eu de trophée au bout. Mais c'est une rencontre qui a incontestablement permis au XV de France d'écrire l'une des plus belles pages de son histoire. Par son résultat, par son scénario, mais aussi pour le talent, le courage et la solidarité montrés par les Bleus ce jour-là. Le RMC Sport Show Revival a fait ce week-end un bond d'une vingtaine d'années en arrière, pour revenir au 31 octobre 1999, le dimanche où les Français ont battu les All Blacks en demi-finale de Coupe du monde (43-31), à Twickenham.

"C’est peut-être, parmi les matchs que j’ai joués, celui qui a le plus marqué les amateurs de rugby, observe aujourd'hui Marc Lièvremont, titulaire en troisième ligne lors de cette fameuse rencontre. Certains considèrent que par son suspense, par sa folie, par son côté inattendu, c'est l’un des plus beaux matchs de l’équipe de France. En tout cas, c’est certainement le match dont les amateurs de rugby me parlent le plus régulièrement."

"Je ne suis pas sûr d’avoir préparé le match en imaginant pouvoir le gagner"

Pour comprendre la portée de cette victoire, il faut re-contextualiser. Et se rappeler qu'avant cette rencontre, la Nouvelle-Zélande cru 1999 était considérée comme imbattable. "Certains bookmakers ne proposaient même pas une victoire de la France aux parieurs, note Lièvremont. En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr d’avoir préparé le match en imaginant pouvoir le gagner. On était fragilisé par un parcours difficile, et même six ou huit mois compliqués. Le début de l’année 99 avait été compliqué, la tournée en juin avait été compliquée, les matchs de poule avaient été compliqués (malgré trois victoires en trois rencontres contre le Canada, la Namibie et les Fidji, ndlr). Il n’y avait pas une osmose extraordinaire au sein du groupe." 

Le solide succès contre l'Argentine en quart (47-26) avait réchauffé les coeurs, certes, mais pas suffisamment pour faire sur le papier du XV de France une équipe en mesure de renverser les Blacks.

Ce qui, paradoxalement, a peut-être aidé les Tricolores, selon le co-sélectionneur d'alors, Pierre Villepreux: "Les Bleus étaient prêts parce qu’ils avaient la trouille, ils avaient peur, estime le technicien. Ils étaient inquiets. Moi je vous le dis, je ne l’étais pas spécialement parce que je savais qu’on ne prendrait pas 40 pions, mais eux ils ne savaient pas trop où ils allaient. Les Blacks restaient la référence, les derniers résultats en Coupe du monde étaient évidemment très favorables pour dire qu’on allait prendre une volée."

Bernat-Salles et ses 78 kilos contre Lomu, 130 kilos

Et puis il faut dire qu'en face, les noms faisaient frémir: Andrew Mehrtens, Christian Cullen, Tana Umaga, et surtout la superstar... Jonah Lomu. Un golgoth que Philippe Bernat-Salles, invité de dernière minute pour le Mondial, a dû se préparer à affronter. "C’est surtout la semaine avant le match qui a été franchement dure à gérer parce que c’était le petit ailier de 78 kilos qui allait jouer contre Jonah Lomu, qui faisait 120 ou 130 kilos, raconte le Français. J’ai donc eu droit à de multiples interviews avec la presse, mensuration de mes biceps, de mes cuisses et de mes mollets par rapport à Jonah, etc… Une semaine mouvementée, et magnifique malgré tout, même s’il y avait cette appréhension de jouer les Blacks."

Une appréhension assez vite digérée par les Bleus le jour J. Après un haka "contré" par une seconde Marseillaise entre les joueurs, quelques instants avant le coup d'envoi, le XV de France entame la rencontre sur une bonne note. Certes un peu timoré, il parvient à passer la première pénalité, et à inscrire le premier essai par Titou Lamaison (10-6, 20e). Malheureusement, Mehrtens lui répond au pied, et Lomu fait des siennes pour aplatir de son côté. La Nouvelle-Zélande est devant à la pause (17-10), mais rien n'est joué.

"Ces mecs présentés comme surhumains, je les sentais douter"

Lièvremont se rappelle d'ailleurs avoir pris la parole devant ses camarades, chose peu fréquente: "J’avais été frappé, malgré l’ampleur du score conforme aux pronostics, par le contenu et par le fait que ces mecs qu’on nous présentait comme surhumains, qui nous avaient humiliés un mois plus tôt en Nouvelle-Zélande, je les sentais douter. On sentait qu’on rivalisait sur les impacts, on sentait qu’ils ne déroulaient pas leur rugby. Certes ils avaient Jonah Lomu, mais on était capable d’avancer, on était capable de rivaliser dans la conquête. Le capital confiance était là, le public croyait en nous. Même si on jouait à Twickenham je me souviens de la bronca du public en rentrant à la mi-temps, je crois qu’ils gueulaient 'referee off', donc 'l’arbitre dehors'. On avait le sentiment que l’arbitrage était un petit peu à charge et le public commençait à prendre parti pour l’équipe de France. (…) Plutôt que de céder à l’abattement, on s’était mobilisé les uns et les autres."

Villepreux abonde: "Je leur ai dit que s’il y avait quelqu’un qui devait douter, c’était les Blacks. On avait fait un match très intéressant et chaque fois qu’on avait pu jouer le ballon, on les avait mis en difficulté et c’était sur ça qu’il fallait tabler. Et j’avais ensuite parlé d’utiliser le jeu au pied quand on s’approchait de la ligne, de ne pas l’utiliser trop tôt et à bon escient."

"Les dieux du rugby étaient avec nous"

Au retour des vestiaires, Lomu corse un peu plus l'addition (24-10, 45e). Mais Lamaison, par deux drops puis deux pénalités en moins de dix minutes (24-22, 54e), sonne le début de la révolte. "Titou, je crois qu’il aurait pu tenter des drops du talon de plus de 40 mètres, il les aurait passés ce jour-là, sourit Bernat-Salles. Il y a eu la magie de certains joueurs qui ont été exceptionnels, plus la réussite et la chance. Dans le sport, souvent elle se provoque, et c’est vrai que ce jour-là, on aurait pu tenter beaucoup de choses, on avait la réussite et certainement les dieux du rugby avec nous, pour une fois."

A la 56e, ce n'est pourtant pas le Tout-Puissant, mais bien Christophe Dominici qui profite d'un rebond favorable pour mettre les jambes et refaire passer les Bleus en tête (29-24). Avant que Richard Dourthe ne l'imite (36-24, 60e) et que Bernat-Salles ne vienne porter le coup de grâce à la 75e (43-24), au terme d'un sprint de 80 mètres. "Richard (Dourthe) fait déjouer Tana Umaga et ensuite Titou Lamaison balance un coup de pied pour se sauver, pour s’échapper de nos 22 mètres, décrit l'intéressé. Je suis loin derrière mais je vois le coup partir avec Olivier Magne qui poursuit. Et là on fait un dribbling de 80 mètres. Autant au foot c’est faisable, autant au rugby le ballon, comme on le sait, rebondit un peu comme il en a envie. Mais ce jour-là, il est resté droit sur pratiquement 85 mètres. Après, un peu de cannes, un peu la peur que Jonah nous rattrape... On a couru plus vite que les autres."

Ce qui permet aux Bleus de tuer la partie à cinq minutes du coup de sifflet final. "Un match n’est jamais fini avant que l'arbitre ne le dise, mais là on sentait qu’après cet essai de Bernat-Salles, c’était plié, confie Villepreux. Donc on pouvait laisser libre cours à un peu d’émotion, c’est certain."

Malgré un essai de Wilson dans les ultimes secondes (43-31), la France peut célébrer. Elle a décroché sa place en finale, elle a défait l'ogre néo-zélandais. "Je n’ai pas une grande bibliothèque rugbystique dans ma tête, mais il y a des moments dont on est obligé de se rappeler, lâche Bernat-Salles. Bien sûr que ce jour fait partie des grands moments de ma carrière, comme la défaite en finale, comme mon titre de champion de France avec Biarritz en 2002… Ce sont des moments magiques avec des mots forts de certains joueurs et des anecdotes qu’on se rappellera tout le temps. Oui, c’est quelque chose qui marque."

Laurent Depret et Clément Chaillou