Laporte-Novès, les liaisons dangereuses

Yannick Bru et Guy Novès - AFP
Deux égéries du duel des « Stade »
9 mai 1998, Stadium de Brive. Le Stade Toulousain, quadruple tenant du titre, affronte le Stade Français en demi-finale. L’équipe parisienne, promue cette saison-là, en ayant gravi trois divisions de suite et montée de toutes pièces par son patron Max Guazzini, s’avance pour défier la domination sans partage des « rouge et noir » sur le rugby français. Avec à sa tête un entraîneur nommé Bernard Laporte, elle balaye et assomme le champion (39-3). Cette équipe fait de même face à Perpignan pour décrocher le Bouclier de Brennus. C’est le début de la rivalité qui va faire saliver le rugby français. L’année suivante, Guy Novès prend sa revanche au Stadium de Toulouse, dans un quart de finale où les Parisiens n’auront jamais existé (51-19). Et Toulouse retrouve sa couronne. Un partout, le duel domestique s’arrête là puisque Laporte est nommé sélectionneur du XV de France, dans la foulée de la Coupe du monde 1999. La bataille entre Paris et Toulouse, qui dure ensuite plus de dix ans, se fera sans lui, même si certains lui prêtent le fait d’avoir guidé les Parisiens lors de l’éviction de l’entraîneur Georges Coste au printemps 2000. L’opposition Novès-Laporte va donc changer de décors.
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Ensemble puis opposés autour des Bleus
Deuxième pour son premier Tournoi des 6 Nations en 2000, Laporte bénéficie, à partir de septembre, du renfort de trois techniciens du Top 16 de l’époque, lors des rassemblements du XV de France : Brunel (Pau), Couturas (Bourgoin) et… Novès (Stade Toulousain) apportent ponctuellement leur savoir dans une volonté de rapprochement. Mais au bout de quelques mois, les querelles (déjà!) Ligue-Fédération ont raison de cette relation. Ainsi qu’un désaccord sur la convocation de joueurs toulousains (N’Tamack, Garbajosa, Jauzion) à un stage alors que Novès ne les estime pas suffisamment aptes physiquement. Dans "La Dépêche du Midi" datée du 23 mars 2001, Laporte déclare: «J'ai eu longuement Guy Novès au téléphone. Ses propos sont allés plus loin que sa pensée (NDLR : sur la relation FFR-clubs)... Guy défend les clubs et il a raison dans la guerre qui s'annonce. Mais il a toujours envie de travailler avec nous. Je me sens quelque peu pris en otage car il est clair que l'intérêt des clubs n'est pas le même que celui du XV de France.» Et pour cause, la FFR ambitionne (déjà bis!) des contrats fédéraux, ce que conteste Novès. Dès lors, et malgré l’entente cordiale de façade, la ligne Marcoussis-Toulouse va connaître quelques soubresauts. Chacun se renvoyant des piques, sur l’autel de la rigueur notamment. En 2004, Novès répond à des critiques à ce sujet: «On s’entraîne deux fois par jour et que veut-on de plus? Je ne peux pas être d’accord et j’en ai marre d’entendre des mensonges… Pendant quatre ans, j’ai soutenu son projet (de Laporte, NDLR) et je ne remets absolument pas en question le travail qu’il a effectué. Mais aujourd’hui, je ne peux pas cautionner son discours. J’entends dire qu’en club on manque de rigueur. Mais comme on prône la rigueur comme il le fait, on ne défend pas bec et ongles un joueur qui se couche à 6 heures du matin et qui est contrôlé positif à l’ecstasy et à la cocaïne (NDLR : il parle de Pieter De Villiers, contrôlé en décembre 2002 et non poursuivi pour vice de forme)... On ne peut pas dire aujourd´hui qu´on veut des joueurs bien entraînés pour l´équipe de France alors que l´on s´est risqué à sélectionner des convalescents.»
Le retour de Laporte sur les terrains
Champion d’Europe en 2010, puis champion de France en 2011 et 2012, Toulouse voit une nouvelle fois une équipe menée par Bernard Laporte lui faire de l’ombre: le RC Toulon. Pris en main par Laporte en 2011 (après avoir quitté les Bleus en 2007, fait un passage éphémère à Bayonne et un retour raté au Stade Français), le RCT devient champion de France en 2014 et triple champion d’Europe en 2013, 2014 et 2015. Le club varois réussi même à faire ce que Novès annonçait impossible depuis des années: le doublé Coupe d’Europe-Top 14. Interrogé par "le Journal du Dimanche" en octobre 2014, ce dernier montre les crocs: « Toulouse est le club le plus titré de l’Histoire avec quatre Coupe d’Europe et 19 titres de champion de France. A Toulon, ce n’est pas demain qu’ils en auront autant. Et j’entends que je suis dépassé… Quand aurai-je droit au respect?» Avant une saillie dont il a le secret… «Ils parviennent à donner des salaires deux fois plus élevés que ceux de nos meilleurs joueurs. Certains dirigeants possèdent sûrement un niveau intellectuel extraordinaire pour ne pas dépasser le Salary Cap. Bakkies Botha, bien avant qu’il ne rejoigne Toulon, je l’avais rencontré à Blagnac. Il était trop cher pour le Salary Cap.» Une pierre dans le jardin du duo Boudjellal-Laporte.
Et maintenant?
La nomination de Guy Novès à la tête du XV de France en mai 2015 sera l’occasion d’un nouvel épisode du feuilleton. Lors de l’officialisation, sur l’antenne de RMC (où il anime une émission, Direct Laporte), Laporte passe à l’attaque: «Il n’a jamais été tendre avec l’équipe de France. Il a souvent barré la route des sélectionneurs. A Toulouse, on ne pouvait pas aller voir les entraînements. Il ne faut pas oublier tout ça. Je n’ai rien contre sa nomination, mais il n’a pas toujours été réglo avec les entraîneurs. J’espère que les coachs des clubs auront une attitude différente.» Attitude que niera Novès en catimini. Mais le même jour, c’est une autre salve de Laporte qui donne un relief tout particulier à son élection à la tête de FFR aujourd’hui. Elle concerne l’adjoint de Novès, Yannick Bru. «Il y a aussi des choses qui me surprennent. J’ai vu Yannick Bru il y a trois mois à Toulon, il me disait qu’il ne pourrait plus jamais entraîner avec Guy Novès et là ils vont faire un duo…» L’intéressé avait apprécié… Cheville ouvrière du staff, Bru est indispensable à Guy Novès. Alors comment toutes ces personnes vont-elles maintenant cohabiter? Contrairement à ce qu’il affirmait en off ces derniers mois, Laporte l’a dit et répété, il veut garder Novès. Mais Novès acceptera-t-il le chaperonnage? D’un côté se trouve un sélectionneur qui a réduit la communication autour du XV de France depuis sa nomination (moins de joueurs devant la presse les semaines de match, absence de débriefing le lendemain, plus de caméras du diffuseur dans les vestiaires) et de l’autre son nouveau président penche pour plus d’ouverture. «L’équipe de France, c’est la vitrine de notre fédération, il faut qu’on ait beaucoup plus de communication» affirmait-il ce week-end. Un premier point d’achoppement donc. Est-ce le dernier?