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"On est encore amateurs aujourd'hui dans le rugby féminin", loin de la Coupe du monde, le difficile quotidien de l’élite des filles du rugby.

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Au moment où le quinze de France féminin s’apprête à défier l’Angleterre en demi-finale de Coupe du monde (samedi, 16h30), les autres joueuses françaises se préparent de leur côté pour le début du championnat de France d’Elite 1, qui commencera le 11 octobre. Si la fédération française de rugby a signé un contrat avec l’assureur Axa pour le "naming" de la compétition, les avancées sont encore modestes concernant le quotidien de ces joueuses, loin du modèle professionnel des hommes.

C’est dorénavant "Axa Elite 1". Le championnat de France de rugby féminin tient son "naming" et la Fédération Française de Rugby avait donné rendez-vous en cette semaine de demi-finale de Coupe du monde pour les Bleues, afin de l’annoncer en grandes pompes. Le président de la FFR, Florian Grill, s’est félicité de ce contrat signé. "Le développement de l’Elite 1 est un levier fondamental au développement de la pratique féminine et pour les performances de l’équipe de France future, d’où l’importance qu’on accorde à ce championnat et d’où le fait qu’on ait fait la poule unique il y a deux ans".

Le montant n’a pas fuité, mais les dix clubs du championnat vont pouvoir bénéficier de cet engagement puisque les deux tiers de cette manne sont censés leur revenir, afin de développer, entre autres, le staff, l’encadrement médical ou les équipements sportifs. Aujourd’hui le budget moyen des clubs féminins varie de 400.000 à 800.000 euros, l’équivalent de ceux de fédérale 2 ou 3 chez les hommes, soit la 5e ou 6e divisions. L’ambition est de monter à 1,8 million voire 2 millions d’euros. Et autant profiter de la dynamique actuelle puisque le nombre de licenciées a fait un bond de 35% en un an.

52.000 filles jouent donc au rugby en France et, avec l’objectif fédéral d’atteindre les 100.000 d’ici deux ans et la fin du mandat de Grill, on peut espérer un effet Coupe du monde tant les affiches des Bleues sont suivies à la télévision, avec un pic à 4,6 millions de téléspectateurs dimanche dernier pour le quart face à l’Irlande. Mais pour quel effet? "J’avais dit qu’il y aurait un avant et un après Coupe du monde", disait Grill. "C’est au-delà de mes espérances. Avec ces filles on a des personnalités qui sont inspirantes et attachantes. Elles sont à la fois des sportives de haut niveau exceptionnelles mais aussi des femmes accomplies qui ont des vrais parcours de vie et la France se projette. La France a envie de se retrouver dans ces personnalités qui tracent la voie et font preuve de résilience."

De 100 à 400 euros...

Mais le "ruissellement" est encore loin d’être évident. Trouver notamment de belles histoires à raconter au sein d’un feuilleton tout au long de la saison. A ce sujet, dans l’ombre des projecteurs du Mondial, les autres filles, non internationales, se préparent actuellement en vue de l’ouverture du championnat domestique (première journée le 12 octobre). En ce mardi après-midi, au Stade Toulousain, on enchaîne séance de musculation, vidéo et terrain. Si la FFR a décidé de prendre en charge trente joueuses sous contrat, qu’on peut appeler "professionnelles" avec leur rémunération fixes allant de 2800 à 3500 euros, pour les autres, il n’en est rien.

Dans un groupe de 43 Toulousaines, moins 4 internationales actuellement en Angleterre avec la sélection, 6 ont un contrat fédéral et 14 autres bénéficient aujourd’hui d’une rétribution régulière, allant de "seulement" 100 à 400 euros. Plus des primes de match de 100 euros pour tout le monde. Ou du moins celles qui jouent... car certaines ne touchent rien. "C'est plus dur d'avoir une vie tranquille, parce qu'on est encore amateurs aujourd'hui dans le rugby féminin", explique la talonneuse Laure Touyé. "Donc tu es obligé d'avoir ton travail à côté ou de faire des études. Mais de faire quelque chose en plus parce que tu ne peux pas du tout vivre de ta passion aujourd'hui". Face aux garçons, qui s’entraînent deux terrains à côté, le gouffre est immense.

"Tout le monde pense que c'est professionnel, mais c'est vraiment encore considéré comme du rugby amateur" poursuit-elle. "C'est dur. C'est dur et puis, quand tu es dedans, tu as envie que les choses avancent beaucoup plus vite que ça, parce que tu as l'impression que tu es en retard tout le temps". Et encore, les Toulousaines ne sont pas les moins bien loties. Car pour les libérer deux demi-journées par semaine, les mardi après-midi et jeudi matin, le Stade Toulousain prend en charge 20% du salaire qu’elles touchent avec leur travail en marge, que ce soit en étant kiné, dans la communication ou auto-entrepreneuses. Histoire de leur éviter des entraînements tard le soir toute la semaine.

"La sensation que ça stagne un petit peu"

"J'ai quand même la sensation que ça stagne un petit peu. Bien sûr qu'il y a eu de l'évolution. Et là, j'ai la sensation que ça commence un petit peu à stagner". La réflexion vient de l’entraîneur au Stade Toulousain Céline Ferrer. Et elle sait de quoi elle parle. Ancienne 2e ligne du quinze de France féminin (60 sélections, dont la dernière en novembre 2022), elle a vu l’évolution ces dernières années. Les quelques matchs diffusés par Canal Plus l’an passé, grande nouveauté, les bons scores des Bleues sur France Télévisions ou TF1. Mais pas encore de quoi en faire que des professionnelles.

"C'est important de passer par ces étapes-là, ça c'est clair. Pour faire envie aux jeunes filles de venir en club, de montrer que le rugby, c'est aussi ouvert aux femmes, tout simplement. Bien sûr, c'est une bataille qui est éternelle. Et cette bataille, on a la sensation, en tout cas, de devoir la mener et aussi d'être "obligée" pour gagner les choses, d'avoir des résultats. Ce qui n'est pas bête, c'est absolument normal. Mais c'est sûr qu'avec des résultats, on va dire qu'on arrive à demander un petit peu plus de choses, c'est évident". Le nouveau "naming" va dans ce sens.

Le but n’est plus d’avoir 75% des joueuses pluriactives, statistique actuelle, mais bel et bien l’inverse. Voire plus, selon Florian Grill : "La Fédé ne compte pas professionnaliser plus de 30 joueuses. Mais on aimerait que les clubs amènent à une professionnalisation non pas de 30 joueuses mais plutôt 300-400. C’est-à-dire l’effectif des 10 clubs l’Elite 1". Ambitieux. Il faudra attirer public et annonceurs. Le dernier tiers du partenariat avec Axa doit d’ailleurs pousser à la communication, la diffusion des matchs et le développement des réseaux sociaux. Des petites batailles. Le nerf de la guerre. "Il y a des gens qui ont envie de nous suivre, la Fédé, des clubs qui vont peut-être professionnaliser de plus en plus les joueuses. Il faut aider les clubs aussi pour faire tout ça. Tout simplement" conclue Ferrer, comme un cri du cœur.

Wilfried Templier (avec Diane Carlotti)