"Quand tu rentres au Stade Toulousain, tu joues sans le numéro dans le dos", Juan Cruz Mallia, l’homme à tout faire de Toulouse

Le Toulousain Juan Cruz Mallia face à Toulon le 27 octobre 2024 - Loic Cousin/Icon Sport
Juan Cruz Mallia, en vous regardant jouer on a l’impression que le rugby est facile. Avez-vous toujours eu cet appétit pour le jeu ou l’avez-vous vraiment développé à Toulouse ?
Je ne sais pas si c'est facile. Je profite bien d'avoir le ballon en main, de faire jouer, d'attaquer, je préfère bien sûr l'attaque sur la défense au rugby. Mais oui, en plus, dans ce club, on profite bien de jouer au rugby, de jouer d’un peu partout sur le terrain. On considère le rugby comme un sport, mais comme un jeu aussi. Du coup, c'est plus facile de se développer. Je ne sais pas si avant j'étais comme ça. Je pense que j'ai évidemment beaucoup progressé depuis que je suis arrivé ici. Mais c'est vrai que j'ai toujours eu cette faim d'avoir le ballon, d'attaquer, de faire jouer. Mais je pense qu’ici, j'ai beaucoup progressé.
En quoi avez-vous progressé ?
Je pense qu'en Argentine, j'étais un peu plus "carré", on va dire, sur la façon de jouer. Dans nos vingt-deux mètres, il faut taper, si on n'arrive pas jusqu'à cinquante mètres avec le ballon en main, il faut taper, tout ça. Quand je suis arrivé ici, j'ai regardé et je me suis dit : "mais ils jouent de partout". Du coup, j'ai essayé de regarder plus en face, de voir des opportunités quand on a le ballon. Et après, si on joue et si on "ouvre" un peu les ballons, ça va être plus facile après pour tous les autres. Donc si, quand on a le ballon, on attaque les espaces, si on regarde en face, ça va être plus facile pour tout le monde. Et comme la culture de ce club, elle est présente depuis que les joueurs sont petits, dès que tu arrives dans cette équipe, tu le vois de suite. Et du coup, c'est plus facile à faire pendant les entraînements. Bien sûr que ça prend un peu de temps de mettre ça en place sur les terrains, de le mettre en place pendant les entraînements. Mais au bout d’un moment, tu comprends que le jeu est comme ça. Et en plus, ça se fait comme ça (sourire).
Qu’est-ce que vous aimez ou préférez faire sur un terrain ?
Je pense que c’est de regarder les espaces, de les attaquer et de faire ce qu'on essaie de faire durant les entraînements et de le refaire sur le terrain. Parce que je pense que si on travaille sur une chose, si on se dit "on va faire ça sur le terrain", parce que l'espace va être là, et qu'après, tu le fais sur le terrain et ça marche, je pense que ça me procure du plaisir. Mais aussi d'avoir le ballon, de regarder la défense en face, l'espace et d‘essayer de faire des choses de manière instantanée. Ça aussi, ça fait partie du jeu et surtout ici, à Toulouse. Je pense que c'était un peu des deux, d'essayer de faire des choses sur lesquelles on s’entraîne pendant la semaine, mais aussi de faire des choses instantanément sur le terrain.
"C’est un sport, mais c'est aussi un jeu. Et quand tu fais un jeu, tu le fais pour profiter"
Comment travaillez-vous cette connexion entre vous ? Quel type d’entraînement permet ça ?
C'est quasiment tout le temps des jeux à quinze contre quinze. C'est ça qui m'a surpris aussi, en comparaison avec les entraînements de l'équipe d'Argentine. Quand j'en parle avec les joueurs de cette équipe, je leur dis qu'ici on fait beaucoup d’opposition, comme en match, avec des différentes règles. On fait quasiment tout le temps du collectif. Et comme ça, je pense qu'on trouve les connexions qu’on a ensuite en match. Il faut s'habituer à le faire. Et après, c'est une culture que tu "manges" ici depuis petit. Ce n'est pas mon cas, mais quand tu regardes tous les autres qui sont ici depuis longtemps, c'est comme ça. Du coup, c'est une connexion qui se construit avec le temps, bien sûr, mais avec tous les entraînements qu’on fait… En plus, je pense que cette équipe, bien sûr qui a des changements du joueur, mais c'est quasiment la même équipe depuis cinq, six ans. Et du coup, je pense que ça aide aussi. On se connaît, on sait qui est capable de faire certaines choses. Il y a des joueurs qui sont capables de traverser et du coup, tu te mets en soutien. Il y en a d’autres qui sont capables de faire jouer alors du coup, tu te proposes comme "alternative" du jeu. Et je pense que c'est un peu comme ça que tu crées les connexions sur le terrain. Et en dehors du terrain aussi, c'est un groupe formidable. Du coup, c'est plus facile aussi. Quand tu vas bien hors du terrain, d'essayer de faire des choses sur le terrain, je pense que c'est plus facile.
C’est ce que vous aimez le plus dans votre équipe ? Il y a-t-il des choses qui vous étonnent encore ?
Oui, bien sûr, comment ils considèrent le rugby. C’est un sport, mais c'est aussi un jeu. Et quand tu fais un jeu, tu le fais pour profiter. Bien sûr que tu le fais pour gagner, mais surtout pour profiter de le faire.
Vous êtes extrêmement polyvalent. A Toulouse doit-on être heureux d’être dans les vingt-trois ou malheureux d’être sur le banc quand ça arrive ?
Ça dépend comment tu le sens. Je bataille et je travaille tout le temps pour être titulaire. Après, si je n’y arrive pas, je veux être dans les vingt-trois. Sinon, il faut continuer à travailler pour être dans l'équipe. Maintenant, je pense que le rugby a un peu changé un peu. Tous les matchs se jouent à vingt-trois, pas à quinze, un peu comme c'était avant. Bien sûr qu'il n’y a personne ici qui ne veut pas être dans le quinze de départ. On a tous faim de jouer, de gagner. On a tous faim de gagner des titres, mais aussi d'être ceux qui commencent les matchs, qui jouent les phases finales, pour gagner aussi. Du coup, c'est une bataille de toute l'équipe, de tout le club, mais aussi une bataille personnelle pour se "gagner" la place ici. J'ai dit souvent que les entraînements sont aussi durs que les matchs ici, parce qu'on a un effectif très, très large. Chaque semaine, des entraînements de haut niveau où tu travailles, et les autres aussi, pour se gagner une place, pour montrer qu'on est capable de jouer le week-end. Du coup, si on s'entraîne comme ça, forcément, on fait grandir un peu tout l'effectif, toute l'équipe et c'est pour ça aussi que je pense que les résultats sont de notre côté.
"Quand tu joues en dix, tu sais ce que va faire l’ailier, le centre ou l’arrière. Quand tu passes à l'arrière, tu sais ce dont ton dix a besoin. Du coup, je pense que ça m’a beaucoup aidé à développer mon jeu"
Savez-vous au moins à quel poste vous avez le plus évolué avec le Stade Toulousain ?
(il réfléchit) euh… non. Ailier ?
Vous avez joué 27 fois ailier, 20 fois demi d’ouverture, 14 fois arrière et 4 fois centre (et 21 fois remplaçant). Cela paraît incroyable. Aviez-vous auparavant joué aussi souvent à tous ces postes ?
Non pas tous ces postes, mais c'est vrai que j’étais un peu polyvalent avant d'arriver ici et je pense que c'était une des choses pour laquelle le Stade Toulousain est venu me chercher. J'avais plus joué centre et arrière, surtout en équipe d'Argentine et aux Jaguares avant, mais pas beaucoup à l'ouverture ni à l'aile. Ici, c'est le contraire (sourire) ! J'ai joué plus à l'aile et en dix, mais je pense que c'est une force que je vais continuer à développer. Parfois, ça te donne la possibilité de jouer un peu partout. Mais je pense que j'ai beaucoup changé depuis que je suis arrivé ici, quand j'avais décidé que mon poste préféré, c'était arrière. J'ai voulu jouer quinze en équipe d'Argentine et j'ai tout fait pour jouer à ce poste en sélection. Je pense que cette décision m'a aidé pour continuer à me développer et être sûr de ce que je voulais pour mon futur. Après, je suis convaincu que je peux jouer partout. Et du coup, cette décision, ça m’a permis de me relâcher un peu. De ne plus me dire "oui, mais si je viens à Toulouse, je ne pourrai pas jouer, si je joue dix, après, ça va être compliqué". Du coup, je me suis dit : "fais tout pour être l'arrière de l'équipe d'Argentine. Et après, ici, tu travailles tout le temps pour jouer, peu importe les postes". En plus, je le dis souvent, mais quand tu rentres au Stade Toulousain, tu joues sans le numéro dans les dos.
Auparavant vous vouliez jouer centre ou arrière et ce sont les postes où vous évoluez le moins finalement… le club vous a complètement changé…
Exactement. Mais je pense que quand tu joues à plusieurs postes, tu commences à connaître la façon dont les autres pensent. Quand tu joues en dix, tu sais ce que va faire l’ailier, le centre ou l’arrière. Quand tu passes à l'arrière, tu sais ce dont ton dix a besoin. Du coup, je pense que ça m’a beaucoup aidé à développer mon jeu.
A Toulouse, il y a le demi d’ouverture et l’arrière de l’équipe de France, l’ailier ou arrière de l’équipe d’Ecosse, l’ailier de l’équipe d’Italie. Est-ce possible de dire qu’il y a plus de concurrence à Toulouse qu’en équipe d’Argentine ?
C’est différent je pense. Ici, ça n'arrive pas souvent qu'on soit tous sur le terrain. Mais c'est vrai que c'est différent. Je ne peux pas le comparer parce qu'après, quand tu joues pour l'équipe d'Argentine, il y a des joueurs qui arrivent et qui ne jouent pas tous les matchs. Oui, c'est compliqué à comparer, mais bien sûr que dans les deux cas, la concurrence est forte. Surtout avec l'équipe d'Argentine, car on a progressé depuis quelques années. Parce qu'il y a des gros joueurs qui, maintenant, jouent quasiment tous ici en Europe. Du coup, le niveau, monte forcément. Mais oui, c'est vrai qu'ici, la concurrence est une chose très, très dure. Mais comme j'ai dit, on joue tous pour le club. Et je pense que ça fait monter un peu le niveau des tous ici.
"Ça fait vingt ans que Toulouse n’a pas gagné à Mayol"
A Toulouse cette saison, après un doublé, ce sera, par définition, dur de faire mieux que l’an passé…
En terme de résultats, oui. Mais tu peux améliorer beaucoup de choses... Bien sûr qu'à la fin, ça compte si tu as gagné des titres. On comparera toujours avec l'année dernière. Et Toulouse est une équipe qui a tout gagné. Du coup, si tu ne peux pas faire mieux… Mais le défi de cette génération, c'est de dépasser un peu les générations d'avant qui ont beaucoup, beaucoup gagné. Je pense qu'ils ont démarré ici en 2018-2019 quand ils ont gagné le Top 14 et du coup on continue à nourrir un peu l’histoire de ce club. Je ne sais pas si c'est l'objectif, mais la vision de cette génération c'est d'être la meilleure du Stade Toulousain. Pour cela il faut continuer à travailler, à s’améliorer et il faut continuer à gagner pour marquer vraiment une génération. Ici, à Toulouse, forcément, si tu ne gagnes pas, tu ne peux pas être dans l'histoire de ce club, parce qu'il y a beaucoup de joueurs qui ont gagné. Mais quand tu gagnes souvent, tu peux marquer une génération.
Dimanche, Toulon en quart de finale de Champions Cup, à Mayol, c’est chaud comme un stade argentin ?
Je me rappelle un des premiers matchs que j'ai joué avec Toulouse, c'était contre Toulon, à Mayol. On a joué ensemble avec "Santi" Chocobares. Et on s'est rappelé ça tous les deux. C'était un match très dur, l'ambiance en plus. Je pense que c'était l'un des premiers matchs à l'extérieur que j'ai joué ici en France. Je me souviens qu'on est sorti de l’hôtel qui était à côté de Mayol. On a traversé cent mètres avec des barrières et tous les supporters du Toulon qui criaient, qui disaient des choses, qui nous parlaient dans "la bouche". Du coup, ça va être un grand défi pour cette équipe, d'aller là-bas et de gagner. On en a parlé cette semaine. Ça fait vingt ans que Toulouse n'a pas gagné à Mayol. Je pense que c'est un des stades les plus difficiles à jouer ici, en France. On va se préparer pour aller à la bataille là-bas.