Quand le football français (re)pique sa crise: pourquoi De Tavernost est dans le viseur des présidents de Ligue 1

Acte 8, épisode 2300 dans la saga des droits TV du foot français. La plupart des présidents de Ligue 1 se questionnent aujourd’hui sur la réalité des sommes qu’ils vont percevoir avec les droits TV. Un président qui n’est pas présent au Conseil d'administration enrage. "C’est une honte! Il ne fallait pas faire cette chaîne. Oui elle est belle, oui les abonnements vont bien mais ça ne rapporte rien".
Lors de ce conseil, les dirigeants présents ont assez subtilement visé Nicolas de Tavernost. "C’est quelqu’un qui est assez rigide, qui ne veut pas tout ouvrir de façon transparente", ajoute un membre du CA. Et ça ne plait pas forcément aux patrons des écuries du championnat.
Les présidents de Ligue 1, avec comme porte-voix Olivier Létang, ont surtout demandé une transparence sur plusieurs points et notamment les dépenses de LFP Media. "Sur les 36 millions de budget de la chaîne se pose la question de ce que cela va donner, ajoute une source proche du dossier auprès de RMC. Sur ça il y a les 14 millions de marketing. Les présidents ont demandé le détail et les dépenses de la chaîne. Aujourd’hui on est à 7 millions de dépenses. Ils voulaient savoir en tant qu’administrateur si on peut gratter 1 ou 2 millions sur les 14". Réponse de NDT: c’est non.
"Létang avait toutes les informations", explique-t-on dans l'environnement de la LFP en précisant que la répartition a été donnée en septembre.
"Tellement prévisible"
"Vous n’avez pas fait la chaîne parce que vous n’aviez pas envie de la faire, c’est parce qu’il n’y avait rien d’autre. Vous avez validé ce budget. Chacun doit prendre ses responsabilités mais moi je ne sais pas faire autrement", aurait lancé, en substance, le patron de LFP Media devant les membres du CA. Nasser Al-Khelaifi va alors demander ce que les clubs vont pouvoir se mettre "dans la poche". Certains proches du dossier taclent assez lourdement le patron de LFP Media.
"Tavernost a passé trois mois à se vanter du chiffre d’affaires, et non du profit réalisé pour les clubs, l’erreur la plus élémentaire au niveau des affaires", lâche un bon connaisseur du dossier.
Avant d’ajouter: "Canal+ offrait une belle garantie avec des revenus des abonnements et une distribution nationale... Tout cela était tellement prévisible". Un membre du CA tempère la scène de tension dévoilée par plusieurs médias: "C’était une discussion entre administrateurs. Normale, logique et responsable. Avec des réponses cohérentes, y compris de Tavernost. Mais il a conclu en disant: 'avec un budget moindre, je ne serais pas en capacité de faire la chaîne'".
Quel avenir pour Ligue 1+?
Dans l’immédiat, rien ne change pour la chaîne de la Ligue 1. C’est surtout une guerre en interne qui se profile à la LFP. Et l’avenir de Nicolas de Tavernost pourrait être remis en cause. De nombreux interlocuteurs mettent aujourd’hui en avant une fameuse "ombre" de Canal+ et beIN dans ce dossier tentaculaire des droits TV du football français. Même s’ils ont été largement prévenus par Nicolas de Tavernost lors de plusieurs réunions, les dirigeants du football français font maintenant face à la réalité des virements de droits TV, réalisés périodiquement par LFP Media.
"Des miettes", explique un président d’un club intermédiaire du championnat.
Et certains se questionnent sur la poursuite des abonnements du côté de Ligue 1+, si le calendrier des droits et le contenu ne s’étoffe pas. "Je veux bien, on a cartonné au niveau des abonnements, mais comment atteindre les deux millions maintenant? Je ne vois pas, je cherche à mon petit niveau mais je ne vois pas. A un moment donné il va falloir reparler avec Canal+ et beIN, ce n’est pas possible pour la viabilité du produit", poursuit ce président de Ligue 1.
Dans l’entourage d’une chaîne concurrente on réalise aussi un constat: "On arrive à un moment où Ligue 1+ a du mal à recruter. Ils arrivent un peu à un plafond aujourd'hui. La chaîne est à 80-85% de son recrutement en termes d'abonnés". NDT a toujours prévenu que les deux premières saisons seraient difficiles pour les clubs de Ligue 1, ce que la plupart ont accepté. Aujourd’hui, un président comme Nasser Al-Khelaifi se montre très inquiet à ce sujet, notamment dans l’optique du Fair-Play Financier de l’UEFA. Le football français va continuer de trembler pour ses droits TV, avec ceux de la Coupe de France, qui doivent être remis sur le marché avant la fin de l’année. Et pour l’instant, ça ne se bouscule pas au portillon.
Certains acteurs de ce dossier ont aussi coché la date du 18 novembre, soit celle du résultat de l’appel d’offres de la Ligue des champions pour la France. Canal+ réussira-t-il à décrocher l’intégralité (hors match réservé à une plateforme) pour le territoire français? C’est la grande question avec le nouveau système d’appel d’offres qui pourrait favoriser des chaînes comme Discovery et DAZN. Les présidents guettent aussi cela pour connaître la réaction de Canal+ en cas d’échec dans cet appel d’offres.
De là à voir un retour de la chaîne cryptée sur la Ligue 1 ou un possible rachat de la chaîne Ligue 1+? Pour le moment, ce n’est pas d’actualité. "Ligue 1+ doit aussi comprendre que désormais la LFP est vue comme un concurrent sur le marché des droits par Canal+ et beIN, alors pour le moment ces deux chaînes ne vont pas aider un concurrent c’est normal", ajoute une source proche du dossier.
L’ombre de la réforme de gouvernance du foot français
Ce conflit arrive dans une semaine assez tendue entre la FFF et Ligue 1+, notamment au sujet des droits TV des Espoirs, comme révélé par RMC Sport lundi matin. Cette petite guéguerre entre les deux instances n’a pas été appréciée par tous les présidents de Ligue 1. Autre point de tension, la réforme de la gouvernance du football français. La disparition programmée de la LFP avance, du côté de la FFF on travaille en longueur sur le projet de loi. Les deux sénateurs à l’origine du texte seront d’ailleurs reçus par la nouvelle ministre des Sports dans les prochains jours.
Cette PPL est soumise à la stabilité du gouvernement et devrait passer devant l’Assemblée nationale dans les prochains mois. C’est un très gros dossier, notamment soutenu par Philippe Diallo. D’ailleurs la relation entre le président de la FFF et Vincent Labrune s’est "calmée", selon plusieurs sources. Ce qui sera primordial pour le football français qui doit tirer dans le même sens s'il veut sortir d’une nouvelle crise. Contactée, la LFP n’a pas souhaité faire de commentaires.