Rory Kockott: « Dans le rugby français, on n’a même parfois pas conscience qu’on a besoin de s’améliorer »

Rory Kockott - AFP
Vous avez entamé votre sixième saison avec Castres où vous avez prolongé jusqu’en 2020. Vous aurez alors 34 ans. Vous finirez donc votre carrière au CO ?
(Il rit) Très bonne question ! J’ai vécu quelques années à chaque fois différentes à Castres. Avec un peu d’aventure et parfois, pas de doutes, mais des revirements de situation (NDLR : en 2014 il avait signé un précontrat avec Toulon avant de changer d’avis). C’est sûr quand tu regardes vers 2020, ça fait très long. Alors peut-être que je finirai ma carrière à Castres mais peut-être qu’il y a autre chose qui m’attend. Quelque chose que je ne connais pas.
C’est-à-dire ?
C’est pratique quand on sait lire le futur. En ce moment je suis ici. Jusqu’à cette fameuse date. Après, on verra.
Ça veut tout de même dire que vous vous sentez bien à Castres ?
Oui. Mais il y a la vie en dehors du rugby, avec la famille, les copains. Sauf que la plupart du temps que l’on passe, c’est au boulot. Dans le travail qu’on fait dans l’équipe. Je n’avais jamais pris une telle décision dans ma vie, un si long engagement. Alors je dois m’efforcer de rester dans un bon état d’esprit pour m’améliorer chaque saison. Parce que c’est vraiment facile de rentrer dans une sorte de laisser-aller. Surtout quand on est dans le confort, à l’aise. Mais moi je ne veux pas de ça. Je veux toujours m’améliorer personnellement. Et donner le meilleur de moi-même pour que l’équipe s’améliore aussi.
Est-ce que le Castres Olympique actuel peut refaire le coup de 2013 (date du dernier titre de champion de France)?
On en est capable chaque saison. Mais être capable ne veut pas dire qu’on va le faire. Et qu’on va atteindre notre meilleur niveau à chaque fois. C’est le grand défi. Sur une compétition très longue, très prenante physiquement et mentalement, sur dix mois de l’année. La difficulté, c’est être performant, à un niveau presque supérieur de nos moyens à Castres.
En Coupe d’Europe, sur une période récente, Le Castres Olympique ne s’est jamais qualifié pour les quarts de finale. Avez-vous une explication ?
Avec les entraîneurs qu’on a eu avant, peut-être qu’on n’avait pas les moyens, ou peut-être que cette compétition n’était pas toujours un objectif, notre cible principale. Mais cette année, on en a beaucoup parlé. Avant la saison, on a décidé qu’il fallait changer cet état d’esprit et ce mode de travail dans la façon d’aborder cette compétition.
« Je fais tout pour aider Antoine Dupont »
Personnellement, depuis l’arrivée de Benjamin Urdapilleta, vous butez moins pendant les matchs. Est-ce que ça vous manque ?
Bien sûr ! C’est toujours bien d’avoir ce défi de taper pendant un match. Mais je donne le maximum pour l’équipe et si c’est le choix de l’entraîneur, tout ce que je peux faire, c’est m’entraîner à buter si cela doit arriver en match.
Récemment, lorsqu’on a interrogé Christophe Urios sur votre association avec Urdapilleta à la charnière, il a dit : « ce sont deux fous ». D’accord avec ça ?
Pour lui peut-être oui… moi je pense qu’on est différent. On a tous eu des partenaires différents dans la vie, on travaille avec des gens qui ne sont pas les mêmes que nous. Mais ce qu’on doit comprendre, c’est qu’on doit sortir le meilleur de nous deux pour arriver à être efficace.
Vous êtes en concurrence avec Antoine Dupont, qui est un jeune demi de mêlée (20 ans le 15 novembre prochain). Quel regard avez-vous sur lui ?
Je fais tout ce que je peux pour l’aider. Et surtout pour le conseiller, dans la bonne direction. On sait très bien qu’il doit prendre une décision importante dans sa carrière (NDRL : Dupont pourrait rejoindre le Stade Toulousain). Il est tellement jeune, ce n’est pas toujours clair et facile de regarder plus loin dans la vie. Alors dans tout ce qu’on travaille ensemble, je l’aide et le conseille. Tout ce que je partage avec lui, c’est tout ce que j’ai vécu dans ma carrière. Et si je peux l’aider maintenant… pour que lui comprenne et sache qu’une carrière de rugbyman pro, ça va vite. Et s’il comprend ça, il sera un peu plus sage et prendra de l’expérience plus vite.
« Tellement fier dans ce rugby en France »
Lundi on sera un an jour pour jour après l’élimination de la France face à la Nouvelle Zélande en quart de finale de Coupe du monde (remplaçant, Kockott était entré en cours de match). Ça reste dans les têtes ?
Oui. C’était un match difficile à vivre. Mais je connaissais le défi. J’ai essayé de le relever et vivre le moment présent dans cette Coupe du monde. Bon, on connaît le résultat. Mais on ne perd jamais, on apprend. Et moi personnellement j’ai appris beaucoup pendant ces trois ou quatre mois.
Et quand on perd de cette façon face aux Blacks, c’est un traumatisme ?
Non. Quand tu perds, ce n’est jamais un traumatisme. Mais ce que j’ai appris sur ce match, c’est la différence entre les vrais professionnels et ce dont nous disposions dans l’équipe. C’est la différence entre les performances des deux équipes.
Est-ce possible de réduire l’écart avec eux ?
On peut toujours réduire l’écart avec les meilleurs. Mais il faut énormément d’humilité. Surtout de l’humilité. Ecouter, apprendre et partager. Mais on est tellement fier dans ce rugby en France que c’est parfois difficile de percer cette « bulle ». On n’a même parfois pas conscience qu’on a besoin de s’améliorer…
Rory Kockott en Bleu, c’est encore possible ?
En ce moment, je me focalise sur mes performances. Si l’opportunité se présente, de relever à nouveau ce défi, je travaillerai pour ça. Je dois donner le meilleur de moi-même, notamment dans des matchs plus intenses. Je vis pour ces moments. Je joue pour ces moments.
Vous y croyez encore ?
Je me réfugie dans le travail. Quand tu n’es plus appelé, tu apprends beaucoup plus. Tu vois tes faiblesses de jeu et tu tentes d’améliorer ça. Et c’est bien de prendre un peu de recul pour améliorer ça.
Urios : « le sentiment que le staff des bleus est passé à autre chose »
Pour le manager du Castres Olympique, Christophe Urios, ce sera dur de revoir son demi de mêlée Rory Kockott avec le maillot du XV de France : « Je ne suis pas dans le secret des dieux mais j’ai le sentiment qu’ils sont passés à autre chose. Ils ont voulu tourner la page de cette Coupe du monde. Il y a quand même des jeunes de très bon niveau, Français, dans un profil de jeu qui est aussi assez différent. Parce qu’ils cherchent des demis de mêlée éjecteurs, distributeurs, pour aller très vite. Rory, ce n’est pas tout à fait ce profil là quand même. Il a trente et un ans. Je pense que ce sera dur. Oui, ce sera dur pour lui à mon avis. »