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Saint-André : « Un poste qu'on ne peut pas refuser »

Philippe Saint-André

Philippe Saint-André - -

Au lendemain de son intronisation officielle à la tête du XV de France, Philippe Saint-André s'est longuement confié lors de l'"Entretien à la une", le nouveau rendez-vous mensuel de Sportisimon avec Le Parisien.

Philippe, comment vous sentez-vous dans ce nouveau costume ?

Tout va bien. Les matches ne sont pas commencés. C’était émouvant jeudi d’être intronisé neuvième entraîneur du XV de France. C’est beaucoup de fierté mais aussi beaucoup de responsabilités.

Comment avez-vous abordé ce nouveau rôle ?

J’ai eu la chance d’aller d’abord en Nouvelle-Zélande en tant que supporter pendant trois semaines. J’ai eu le temps ensuite de monter à Marcoussis, de mettre un organigramme en place, de rencontrer beaucoup de personnes. Me voilà dans le rôle, avec un premier comité de sélection le 5 janvier.

Racontez-nous la genèse de votre nomination.

J’étais déjà le favori il y a quatre ans mais là j’étais impliqué avec le RCT. Deux jours avant un match amical contre Lyon, Jean Dunyach m’a contacté et voulait me voir sous 36 heures. Ca s’est fait très rapidement. J’étais surpris. On a discuté et je lui ai simplement dit avec qui je voulais travailler.

Avez-vous été surpris ou avez-vous hésité ?

C’est un poste qu’on ne peut pas refuser. Ce n’est pas une suite logique mais je m’étais toujours dit que si on me le proposait c’est que je le méritais. C’est un honneur exceptionnel. On était trois sur la liste : Guy Novès était tout en haut mais il a refusé. J’étais le deuxième et Fabien Galthié suivait. Au niveau du timing avec le RCT, ça été compliqué.

« Toulon m’a marqué à vie »

La situation avec votre ancien club s’est-elle calmée ?

Avec Mourad, c’est comme dans les mariages, il y a eu beaucoup de passion. Dans ces cas-là, le divorce est souvent douloureux mais on a fumé le calumet de la paix. Puis il a retrouvé un entraîneur exceptionnel avec Bernard Laporte.

Quel souvenir garderez-vous de Toulon ?

La ville m’a marqué à vie par sa passion. Mayol est magique et quand le RCT gagne, la ville est heureuse. Mourad a fait revenir ce club au plus haut niveau. Je pense qu’il sera en haut pendant ces prochaines années.

Cela donne-t-il un début de mandat dans la douleur ?

Non pas du tout. J’ai toujours été honnête et transparent avec les joueurs. Mais il y a eu des fuites et l’annonce ne devait sortir qu’après la coupe du monde ce qui n’a pas été fait. Et j’ai voulu prendre des gens très compétents, Bru et Lagisquet. C’est bien qu’ils poursuivent en club parce qu’ils vont continuer à avoir les mains dans le cambouis. On veut surtout être cohérents et très professionnels parce qu’on ne va avoir que cinq ou six jours pour préparer le premier match face à l’Italie.

Quelle est la principale différence entre les deux rôles ?

Je regarde les matches avec un oeil totalement différent aujourd’hui. Je me concentre sur les joueurs sélectionnables, sur leur attitude, avec et sans ballon. J’ai une vision complètement différente de celle que j’avais avant. Et au lieu d’avoir les joueurs onze mois par an, je les aurai dix, onze semaines. Il faudra attendre la préparation pour la coupe du monde pour retrouver une ambiance club.

Vous a-t-on fixé un objectif précis ?

Non et pour l’instant, je ne pense pas à la CDM dans quatre ans, je ne pense qu‘à l’Italie le 4 février. On ne va pas révolutionner le jeu du XV de France en quelques jours. C’est pour ça que j’ai voulu un staff resserré. On n’a pas besoin de dix entraîneurs pour cinq entraînements.

Allez-vous insuffler un nouveau souffle ou vous appuyer sur l’équipe finaliste de la coupe du monde ?

En équipe de France, tu dois sélectionner les meilleurs, c’est la vitrine du rugby français. On va se servir de la base des mondialistes mais des joueurs de 33, 35 ans ne seront pas là dans quatre ans. A dose homéopathique, on va essayer d’amener des jeunes, des gros potentiels, capables d’être présents pour le prochain Tournoi.

Comment étoffer le groupe ?

Personne n’est éliminé. On va essayer de prendre les meilleurs mais c’est vrai qu’il y a des limites d’âge. On veut être bon en 2012 mais aussi préparer 2015. Qu’aucun joueur n’ait annoncé sa retraite après la Coupe du monde est le signe d’une envie de tous ces joueurs de participer à l’aventure. C’est très important.

« La communication avec les médias est primordiale »

Quel bilan tirez-vous du passage de Marc Lièvremont, votre prédécesseur ?

Le bilan, c’est un Grand Chelem et cette finale. On n’a jamais été si près d’être champion du monde. Je pense aussi que la communication avec les médias est primordiale. On travaille sur ça, avec la FFR, une agence de pub… On essaye d’être le plus précis possible.

Quelle vision avez-vous du rugby français aujourd’hui, avec ces étrangers qui rendent ce championnat merveilleux mais bloquent l’éclosion de nouveaux talents à certains postes ?

Les étrangers, c’est un bien quand, comme Wilkinson, ils tirent tout le monde vers le haut. Mais la Ligue et la Fédé ont mis en place des mesures pour qu’il y ait un certain nombre de joueurs français sur le terrain. Mais en tant que sélectionneur, ça pose problème. On a très peu de piliers français titulaires en Top 14, qui ne jouent plus qu’à gauche ou à droite. Il n’y a plus de polyvalence. Pareil à l’ouverture ou les premiers du Top 14 jouent avec un ouvreur étranger.

Comment gérer ça ?

Il va y avoir les assises du rugby début février. On va tous réfléchir à l’évolution de notre sport. Si le XV de France doit être champion du monde, on doit jouer régulièrement les équipes du Sud. On passe toujours à côté d’un match en Coupe du monde parce qu’on n’a pas l’habitude d’enchaîner les matches. On n’aura que cinq jours pour préparer le Tournoi quand les Gallois jouent toute l’année ensemble.

Pensez-vous pouvoir faire bouger ça ?

Moi, non. Pendant les trois jours laissés libres par l’IRB du 23 au 25 janvier, je vais prendre les joueurs mais ils joueront en Top 14 le week-end suivant. On est obligés de faire évoluer le calendrier et le statut du joueur international. On peut faire un système à la française, j’en suis sûr. Avec Pierre Camou, Serge Blanco, Yves Revol, il y aura des discussions. Il faut être cohérent mais tous ensemble.

« Je vais gagner bien moins d’argent qu’à Toulon »

Peut-on retrouver le style de l’équipe de France qui a fait sa légende malgré la tendance à des défenses imperméables?

Sur la dernière Coupe du monde, l’arbitrage a favorisé les équipes qui avaient le ballon. Au niveau international, si on se débarrasse du ballon, on passe de longues minutes à tenter de le récupérer. Sa conservation est donc très importante. On voit une évolution avec des clubs de Top 14 de plus en plus ambitieux. Surtout, quand on regarde la finale de la Coupe du monde, on s’aperçoit que l’équipe de France arrive à imposer son jeu quand les joueurs ont passé beaucoup de temps ensemble.

Vous êtes un homme d’affaires avisé en parallèle. Ce mandat d’entraîneur va-t-il vous poser des problèmes dans ce secteur ?

C’est simple, je vais me concentrer pendant quatre ans uniquement sur l’équipe de France. Je suis en train de voir pour revendre pas mal de parts des sociétés dont je suis actionnaire. Ce n’est pas une demande de la fédé mais je trouve ça primordial. Je veux être transparent.

Votre expérience hors-rugby vous a-t-elle servi ? Etes-vous dur en affaires ?

Non. Je vais gagner bien moins avec le XV de France qu’au RCT. Mais le rugby m’a tellement donné. Je n’ai rien demandé.

De quelles valeurs voulez-vous doter votre équipe ?

Respect, humilité, travail, des valeurs de base. Je viens d’une famille qui a énormément souffert (son grand-père a été fusillé par les nazis) et je suis à cheval sur certaines valeurs. Au rugby, on est rien sans les 14 autres. J’essaye d’être le plus pro possible tout en gardant ces valeurs-là. Je crois à l’histoire de notre sport. J’aimerais par exemple que d’anciens joueurs viennent remettre les maillots, pour la transmission.

Portez-vous un regard sur l’élection présidentielle de 2012 ?

Non, je ne fais pas de politique. Je me concentre sur mon rôle. Mais je trouve qu’on a besoin de plus en plus de civisme. Je dis toujours à mes joueurs : « soyez des bons mecs et vous serez de meilleurs joueurs ». On va essayer de mettre en vigueur des règles de vie, mais je veux ensuite en être le garant. Celui qui en sort s’exclut lui-même du mouvement.