Top 14: "Dulin et Ramos vont avoir la clef du match", Elissalde analyse la finale Toulouse-La Rochelle

Pour analyser cette finale, faut-il garder une impression des demi-finales ou au contraire, doit-on tout oublier car c’est un match à part ?
On peut arriver à garder des impressions, sur des choses qui ont été positives. Notamment dans les deux camps, pour la défense, car ce sont deux équipes qui ont pris peu de points. Et ensuite leur faculté à attaquer les deux matchs de la meilleure manière possible, en prenant le score. A savoir 21 à 3 pour La Rochelle et à peu près la même chose pour Toulouse (20-0, ndlr). Donc ces deux équipes peuvent garder ça en effet pour la finale.
Le Stade Toulousain s’est rendu son match face au Racing 92 facile. Est-ce une bonne chose avant une finale, qui s’annonce on imagine plus serrée ?
Oui et non. Oui, parce qu’ils ont pu économiser de l’énergie, faire un coaching assez tôt et avoir une fin de match, enfin quasiment la totalité du match, assez facile à jouer. Mais pour ce qui est de La Rochelle c’est également pareil. Car ils ont coaché prématurément par rapport à ce qu’ils font d’habitude. Même si on a senti les Rochelais plus émoussés physiquement, peut-être dû au fait qu’ils aient joué à 17h sous la chaleur, je pense que les deux équipes ont économisé de l’énergie. C’est plutôt un point positif avant ce match.
Les Rochelais ont expliqué à la fin de la rencontre n’avoir jamais douté, ne jamais s’être vraiment senti en danger. D’accord avec ça ?
En effet, je n’ai pas l’impression. Il y a eu un petit sursaut d’orgueil de Bordeaux, un ou deux faits de jeu qui les a remis dans le coup, mais pour moi, à la mi-temps, c’était réglé.
Concernant les clefs de cette finale. Est-ce déjà la guerre des ballons portés ?
Pas que les ballons portés, mais le combat collectif. Alors les ballons portés en font partie. Mais les contre-ballons portés. La Rochelle est très performant pour casser les ballons portés adverses. Ils ont une défense en touche, ils ne la changeront pas. Ils laissent l’adversaire prendre le ballon et Atonio et Skelton sont en charge de détruire le maul. C’est ce qui fait d’eux l’équipe la plus costaude d’Europe. Qu’ils aient le ballon ou qu’ils ne l’aient pas, même en mêlée, c’est quand même le point où je pense que même eux ne se rendent pas compte de la puissance qu’ils ont. Leur potentiel de frappe à ce niveau-là.
Mais Toulouse ne semble pas en reste à ce niveau-là…
Oui, oui. Toulouse a les mêmes caractéristiques. Avant, quand on jouait le Stade Toulousain en finale, on pouvait se dire : "Qui peut rivaliser avec eux ?". Pour moi, aujourd’hui, inversement, c’est "Toulouse est la seule équipe capable de rivaliser avec La Rochelle dans le combat collectif". Mêlée, ballons portés, défense. C’est là où ils ont écrasé tous leurs adversaires.
"Ne surtout pas prendre deux 'off-loads' d’affilée face à Toulouse"
Doit-on s’attendre à un 'coup' stratégique lors de ce match ou récite-t-on sa saison pendant une finale ?
C’est compliqué à dire. Il peut bien évidemment y avoir le fameux plan "anti-Dupont", en essayant de le plaquer le plus possible pour qu’il reste au sol et qu’il colle moins au ballon. Mais ça me paraît particulier ! Sinon, contre Toulouse, il fait faire attention à tous ces ballons laissés dans le terrain, des ballons de contre-attaque. Car ils ne renieront pas leur ADN et Thomas Ramos ou d’autres essaieront à la moindre opportunité de contre-attaquer. Quant à La Rochelle, ça fait trois ans qu’ils sont sur la même organisation stratégique et tactique, je ne les vois pas changer maintenant. Après, ce qu’ils peuvent changer, c’est : est-ce qu’on trouve les touches ? Est-ce qu’on tape du jeu au pied contestable ? Ou du jeu au pied plus loin dans le terrain et on dit à Toulouse : "Allez-y, contre-attaquez, on est sûrs de notre défense". C’est peut-être là qu’on peut varier la stratégie. Mais sincèrement, je ne pense pas qu’une équipe va changer de stratégie. Après, il y a l’opportunité pour Toulouse, après touche, de revenir côté 'source', sur Skelton et Atonio, qui sont des "massifs" mais qui ont plus de mal à se mouvoir en défense. Peut-être sur des retours ici. Mais sinon, stratégiquement, je pense que les deux équipes vont s’appuyer sur ce qu’elles ont fait de mieux dans l’année.
Est-ce que si les Toulousains rivalisent dans la conquête, ils font un grand pas vers la victoire ?
Oui. Mais au même titre que La Rochelle ! C’est valable tout le temps, mais encore plus en finale ! Je pense que l’équipe qui prendra l’ascendant devant va augmenter ses chances de l’emporter. L’autre paramètre, c’est que ce sont de très bonnes défenses (Toulouse meilleure défense du Top 14, La Rochelle, 2e, ndlr). Avec une équipe, La Rochelle, qui attaque la défense, de manière agressive, qui monte très haut. Qui attaque beaucoup les deux premiers rucks. Que ce soit à partir de lancements de jeu ou dans le jeu courant. Et une équipe comme Toulouse qui est un peu plus intelligente en défense. C’est-à-dire qu’ils arrivent à changer de défense quand ils se sentent en sous-nombre. Ils arrivent un peu plus à contrôler, ils se "suicident" moins. Mais quoi qu’il en soit, ce sont les deux meilleures défenses du championnat.
Est-ce que La Rochelle doit viser le jeu au sol, de manière à mettre un grain de sable dans la machine toulousaine pour la ralentir ?
Toulouse cherche le désordre, dans le jeu debout. Ou cherche, dans le désordre, à jouer debout. Donc bien évidemment les mettre au sol le plus rapidement possible, essayer de plaquer à deux, pour couper les 'off-loads' et ne surtout pas prendre deux 'off-loads' d’affilée, c’est là où ils ont le plus dangereux. Un c’est encore possible de rattraper le coup. Deux, c’est très compliqué. Donc les faire vite tomber et contester. Bourgarit en a fait sa spécialité, Botia aussi… et Danty chez les trois quarts. Mais il faut faire attention à ne pas trop se consommer non plus. Parce que ça peut aller très vite. Mais une des clefs, c’est de contraindre le Stade Toulousain à un jeu lent.
"Dupont et Kerr-Barlow, les deux meilleurs demis de mêlée européens, voire dans le monde"
Il y a beaucoup de duels dans cette finale. Tout d’abord au niveau de la charnière. Comment voir celui des deux demis de mêlée ?
Pour moi, on a les deux meilleurs demis de mêlée européens, voire dans le monde. Je trouve le jeu au pied de Kerr-Barlow très impressionnant. Notamment quand il tombe dans une cible toujours à bonne distance de "contest" ou de plaquages. Et quant à Antoine Dupont, il a les deux pieds, avec une longueur incroyable, derrière ses rucks ou quand il tape de bonnes chandelles derrière son paquet d’avants. Pour moi, on a les deux demis de mêlée qui maîtrisent le mieux leur sujet, avec forcément un avantage à Antoine Dupont qui est capable, avec une miette, à n’importe quel endroit du terrain et n’importe quel moment du match, de créer des choses que peu de joueurs sont capables de faire.
Concernant les demis d’ouverture, est-ce qu’on peut penser que Romain Ntamack possède plus d’expérience des matchs de très haut niveau qu’Antoine Hastoy ?
Ils se ressemblent un peu. Ce sont deux garçons qui ont l’air posés, qui répondent parfaitement aux situations qu’ils anticipent ou qu’ils découvrent sur le moment. Avec peut-être un avantage effectivement à Romain qui a l’expérience internationale et qui est très mature pour son âge. Mais on a vu qu’Antoine Hastoy avait parfaitement mené la barque des matchs aux couteaux du Stade Rochelais, ceux de phases finales.
Il y a-t-il un autre duel que vous attendez particulièrement ?
Ce n’est pas un duel car ils vont être assez loin l’un de l’autre, mais c’est ceux qui vont avoir la clef du match. Ce sont deux équipes qui tapent énormément dans le ballon – je crois que ça se joue à cent mètre près, donc deux ou trois coups de pieds de moins pour Toulouse que pour La Rochelle – il y aura des opportunités pour Thomas Ramos d’avoir des occasions et pour Brice Dulin sur la façon dont il va renvoyer par son pied gauche les Toulousains dans leur camp, trouver des espaces libres ou taper pour lui-même pour ne pas donner les ballons de contre-attaque. Il excelle là-dedans. Donc celui-ci n’est pas mal. Le milieu de terrain sera fondamental. Akhi-Danty, Chocobares-Seuteni, peut-être léger avantage sur la puissance à La Rochelle. Et les deux cinq de devant. Et ils sont monstrueux de chaque côté. Et on sait que dans le rugby d’aujourd’hui, ce sont eux qui décident du sort du match généralement.
Difficile alors de faire un pronostic ? Aura-t-on une finale fermée comme souvent ?
L’année dernière, avec Montpellier, on s’attendait à une finale très serrée et elle n’a pas eu lieu, car toutes les planètes se sont alignées. Il peut y avoir des faits de jeu, des cartons. C’est très difficile à anticiper. On a senti La Rochelle un peu plus émoussé que Toulouse. Certainement que les deux ou trois jours pour fêter le titre pèsent un peu plus. Mais du coup ce match contre Bordeaux leur a permis d’évacuer je pense. Aujourd’hui, il n’y a pas de favoris. Vous avez la meilleure équipe européenne, les tenants du titre, face à ce qu’ils se fait de mieux en France sur l’année. Evidemment il y a un ascendant psychologique à Toulouse, avec treize victoires sur les quinze derniers matchs. Mais tout est remis en question. Et je pense que La Rochelle a appris énormément. Pas forcément dans les victoires en Coupe d’Europe, mais plus dans les défaites en phases finales depuis deux ou trois ans. Donc ils vont mieux appréhender l’évènement, le Stade de France… mais c’est difficile de se prononcer sur l’issue du match.