XV de France: comment Cyril Baille est devenu le meilleur pilier gauche du monde

C’était à l’issue de la victoire en Irlande (13-15) l’an passé. Interrogé sur la performance de son pilier gauche, le sélectionneur Fabien Galthié se lâchait en louanges : "Il a été très actif, a sorti un gros match, il a enchainé sur deux gros droitiers. Cyril Baille est sûrement l’un des meilleurs gauchers au monde." Et, après la retraite du Sud-africain Mtawarira, au milieu des Genge, Porter ou Moody, peut-être le plus complet, à la fois roc en mêlée et magicien balle en main. "J’entends ça, mais je le mets de côté » avoue l’intéressé. Pourtant, il est loin le temps où le jeune Lannemezanais débutait en équipe de France, à l’âge de 23 ans, un soir de novembre 2016, au Stadium de Toulouse, face aux Samoas (victoire 52 à 8).
C’était quatre ans après ses débuts en Top 14. Un homme a vécu de près sa transformation. C’est Julien Marchand, son compère talonneur à Toulouse et chez les Bleus. Lequel le connaît plutôt bien… "On s’est connu dans le train qui allait de Lannemezan, en passant par Loures-Barousse, d’où je viens, pour aller à Toulouse. Lui était en Juniors Crabos, moi en Cadet. Et on s’est trouvé vraiment chez les pros." Deux ans les séparent. Mais un statut de première ligne les lie. "Tu le vois par rapport à l’ampleur qu’il a pris. Pas forcément les derniers mois, plutôt les dernières années. Ça fait longtemps que Cissou, c’est un gros joueur. Trois, quatre ans, qu’il est au haut niveau et qu’il y reste surtout. C’est ça le plus important."
Plusieurs fois handicapé par les blessures, notamment une rupture du tendon rotulien lors d’un match à Toulon en avril 2017 et une opération aux ischio-jambiers à l’été 2018, il a eu une prise de conscience, bien conseillé par son modèle, l’ex-pilier international Christian Califano. "Je l’ai connu il devait avoir 16 ans, explique Califano. C’est grâce à Eric Artiguste, mon meilleur ami, qui entraînait les Cadets. Il m’a dit : Cali, viens voir ça, c’est un truc de fou, on a un petit Califano. A l’entraînement, il tape des drops de 50 mètres, il nous fait des passes des deux côtés. C’est fabuleux parce que lors de la première rencontre qu’on a eue, il était très intéressé par ce qu’on faisait avant. Un garçon hyper intelligent, qui a beaucoup de question."
Le tournant de la Coupe du monde au Japon
Le coup de foudre est immédiat, la filiation avec la légende toulousaine évidente. "C’est quelqu’un à qui je tiens beaucoup", avoue pudiquement Baille. Mais à l’été 2019, fraîchement titré avec Toulouse, le pilier regrette de ne pas être dans la liste pour la Coupe du monde au Japon et le confie à son mentor. Califano raconte : "Alors qu’il était en soirée, après le titre de 2019 avec Toulouse, il m’appelle et me dit qu’il aurait aimé être de l’aventure. Moi je lui ai dit, même si je ne souhaite aucune blessure à qui que ce soit, "tu sais, fait attention, ça peut arriver." Et un joueur s’est blessé et il a été pris." C’est le forfait du malheureux clermontois Etienne Falgoux qui lui permet d’espérer apercevoir les rayons du Soleil Levant.
Le pilier au 72 sélections poursuit : "Il y a eu cet élément déclencheur : dans sa carrière il a connu pas mal de blessures, qui l’ont handicapé. Suite à ça, il ne s’est pas affolé et le truc qui l’a boosté, qui lui a fait comprendre que le rugby demande beaucoup de choses, qu’il est assez exigeant sur le poste de pilier, c’est justement cette Coupe du monde 2019 au Japon." Cyril Baille rejoint la préparation des Bleus et débarque à Monaco… pas forcément en condition dira-t-on. "Il n’est pas arrivé en forme, en rigole Califano. On ne peut pas lui en vouloir, champion de France, il a fait un peu la fête."
Mais en quelques semaines, il va convaincre le staff des Bleus de l’emmener au Japon, dépassant au passage le Rochelais Dany Priso. "Il s’est remis vite dans le bain, détaille Califano. Et à partir de ce moment-là, avec beaucoup de volonté et de travail et une belle collaboration aussi avec Thibault Giroud, le directeur de la performance, un mec qui lui a fait prendre conscience de ce qu’étaient les exigences du haut niveau, j’aime bien employer ce terme : il me l’a customisé !" Giroud, comme Galthié, ont fait le voyage au Japon avec le sélectionneur Jacques Brunel. Et si Baille reste au relais de Poirot, le titulaire à gauche, pendant la Coupe du monde, quelques semaines plus tard, l’ère Galthié va le consacrer.
"Il peut marquer son temps"
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : si on enlève une partie de la Coupe d’Automne des Nations et la tournée en Australie pour lesquelles il n’était pas sélectionnable, Cyril Baille a joué seize matchs sur dix-sept possibles de l’ère Galthié. Et quelques performances XXL… en Irlande et face au pays de Galles en 2021, la Nouvelle-Zélande à l’automne, l’Irlande récemment. Fort sur les bases et, plus rare pour un pilier international, comme un trois quart dans le jeu. "Il a une dextérité avec la balle, s’émerveille Julien Marchand. Il pourrait jouer avec les trois quarts ! Après, il n’a pas la caisse, il n’a pas le cardio (sourire). Par contre, il a la vista, il a le coup de pompe. Balle en main, il est bon !"
Jean-Baptiste Gros, son concurrent en équipe de France, abonde : "Cyril c’est un joueur assez complet, un bon joueur de qualité, vous le voyez sur le terrain. Depuis quelques temps, que ce soit à Toulouse ou en équipe de France, il a pleins de points forts. Que ce soit en attaque, dans le déplacement, la mêlée… c’est un très bon joueur." Qui a peut-être gagné le duel des géants face à l’Irlandais Tadgh Furlong, son alter égo droitier dans un style hybride du pilier premier attaquant aux mains d’argent. Une bataille dont Califano n’a pas loupé une miette. "En fait on a l’impression de découvrir à chaque match les talents de Cyril. Mais c’est impressionnant car je pense qu’il peut encore faire plus. On dit que c’est un joueur complet, mais on dit aussi qu’il peut marquer son temps. Et il a une qualité extraordinaire, il est très, très humble."
Toujours à parler de remise en question, de "ne pas se croire arrivé", Baille ne régale pas les conférences de presse avec ses "punchlines." Pas le style du Pyrénéen qui garde, de par son éducation, les pieds sur terre. Qu’importe, l’essentiel est ailleurs. "Moi je me régale car tout le monde le sait, je revis à travers lui conclue Califano. Je suis son premier fan et je serai, et il le sait, son premier soutien inconditionnel. Car il a un côté sympathie. Les gens l’aiment et ça, ça le touche car il est porté sur l’affectif." Même si, comme ses coéquipiers, il ne devrait pas faire de sentiment ce samedi à Murrayfield…