Killy : « Peut-être les JO d’hiver les plus réussis »

Jean-Claude Killy - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE
Jean-Claude Killy, vous avez piloté les JO de Sotchi avec les Russes. Quel bilan tirez-vous de cette expérience et de cette quinzaine ?
J’ai envie de me référer à tous ceux qui sont venus en Russie pendant 17 jours, qui ont été heureux et qui ont découvert une nation qu’ils n’attendaient pas du tout et qui les a reçus magnifiquement et chaleureusement. Que je sache, je ne connais personne qui ait été déçu de ces Jeux Olympiques. Ce sont des JO réussis, parmi les plus réussis et peut-être les plus réussis de l’histoire des Jeux Olympiques d’hiver. C’est un bilan absolument extraordinaire, qui est exactement l’inverse de ce qui avait été prévu pendant six mois par tous ceux qui pensaient savoir ce que seraient ces JO et ce qu’ils auraient à offrir. Les Russes et le CIO sont très fiers de ça.
Quel est votre sentiment profond ?
Celui du travail bien fait. Un parcours sensationnel dans un pays que je ne connaissais pas et avec des gens que je ne connaissais pas du tout. Mon sentiment, ce n’est même pas du soulagement parce que j’avais annoncé que ces Jeux seraient réussis, que l’accueil serait magnifique et que les gens seraient contents d’être venus ici. Ils ont vu les premiers contreforts du Caucase, dans une région où il y a quatorze sommets à plus de 4 000m, cinq à plus de 5 000m dont l’Elbrouz qui est 5 600. C’est une région du monde qui demande à être connue et grâce aux JO, elle le sera.
Ces JO ont aussi été chers. Laisseront-ils un héritage conséquent ?
Ce fut des JO extrêmement chers parce qu’ils ont démarré de zéro. Il a fallu tout construire et aménager le territoire et c’est là qu’une grosse partie de l’argent a été dépensée. Aujourd’hui, vous avez une station été-hiver qui est très attractive. L’héritage est absolument considérable puisqu’il y aura une équipe de hockey professionnelle, le Grand Prix de F1 pendant cinq ans, la Coupe du monde de football en 2018, un nouveau vélodrome, une nouvelle piscine, deux centres commerciaux… Le budget opérationnel des JO est de deux milliards et identique à celui de Vancouver. Le budget de la construction des sites olympiques nécessaires aux sports est de 7 milliards, dont une moitié vient du budget de l’Etat et l’autre des oligarques. Le reste, c’est de l’aménagement du territoire, comme l’amélioration de la ligne de chemin de fer depuis Moscou, 11 kilomètres de tunnel, une autoroute et l’installation des égouts. L’héritage est considérable, l’argent dépensé important mais totalement justifié pour cette région qui est maintenant connue du monde entier.
« Les gens ont été bluffés par ce que les Russes avaient prévu »
Avez-vous l'impression que le site côtier a marqué les gens ?
Ce sont les Jeux modernes les plus compacts qui ont été organisés. Depuis la plupart des hôtels et les villages olympiques, il faut 15 minutes à pied et une en vélo pour être sur la patinoire ou la piste de curling. Même chose à la montagne, où le train vous dépose au pied des remontées et vous êtes instantanément au biathlon, au ski alpin ou au bobsleigh. C’est aussi une des raisons qui explique que l’ensemble des gens qui sont venus sont satisfaits et ont été bluffés par ce que les Russes avaient prévu.
Ces Jeux ont-ils permis aux Russes de s'ouvrir au monde ?
Je crois qu’on les connait un peu mieux aujourd’hui. On connait le fait qu’ils veulent être connus et souhaitent s’ouvrir au monde et faire savoir ce qu’est vraiment leur pays. C’est-à-dire un pays accueillant et chaleureux. Ce sont des gens extrêmement gentils. 28 000 volontaires sont venus de 26 sites universitaires différents sur l’ensemble du pays. La notion de volontariat n’existait pas et la plupart des jeunes qui représentent la « nouvelle Russie » sont venus à leurs frais. C’est une ouverture sensationnelle, il faut que le reste du monde comprenne qu’il a des amis ici.
La relation que vous avez tissée ici va-t-elle rester très imprégnée en vous ?
Je suis venu ici 40 fois en sept ans parce que nous étions responsables de la coordination de ces JO. Ça signifiait le transfert de connaissances. Tout ce que nous avions accumulé comme connaissances des Jeux précédents, nous l’avons amené ici de manière à ce que les Russes ne partent pas de zéro. En face de nous, se trouvaient des gens exceptionnellement ouverts qui ont été surpris de notre disponibilité et ils ont très vite compris que notre intérêt était commun. A savoir la réussite complète des JO de cette nouvelle Russie. La qualité des gens en face de nous est étonnante. Ce sont des amis à vie et je le crois très sincèrement. Je ne suis pas le président de l’office du tourisme de la nouvelle Russie, mais je suis tellement enthousiaste que j’essaie de le faire savoir.
« La France va dans le mur depuis 15 ans »
Vous n'êtes tout de même pas d'accord avec tout ce que les Russes disent ou font...
Nous avons l’obligation de savoir comment eux se connaissent et jugent leur propre histoire. Ce n’est pas du tout la même manière que nous. L’histoire de la Russie pour les Russes est différente de l’histoire de France. Il faut le comprendre pour comprendre le sens de leur démarche, leurs propos et leur relationnel. Une fois que cela est compris, on est sur une base égalitaire. J’ai presque envie de dire que ce sont des Méditerranéens. Ils ont un cœur de Méditerranéen.
La France doit-elle être candidate à l'organisation des Jeux Olympiques en 2024 ?
Je sais que certains y réfléchissent, mais demandent de ne pas aller trop vite et de savoir dans quoi on va se lancer, mais surtout qui va faire quoi. En France, on a une capacité fantastique pour démarrer, mais on s’aperçoit toujours après du fameux millefeuille, auxquels on ajoute des couches. Ça devient ingérable alors que nous avons tous les atouts, les connaissances et les relations possibles pour amener un objectif comme ça à terme. J’attire l’attention de tout le monde sur le fait qu’il faut savoir ce qu’on veut et qui fait quoi.
Aimeriez-vous le faire ?
Moi ? Pas du tout ! C’est terminé.
Et d'un point de vue de spectateur, aimeriez-vous que Paris organise les Jeux ?
Il faut savoir ce que Paris voudrait vendre à la France et les valeurs qu’on voudrait utiliser pour une candidature comme celle-ci et ensuite pour les JO français de 2024. On est toujours sur un très grand système de valeurs et aussitôt que vous n’avez pas ces valeurs, tout le monde papillonne et on va toujours dans le mur. On va dans le mur depuis 15 ans, donc ça suffit. Il faut répondre aux questions. Pourquoi veux-t-on les JO ? Pour quelles valeurs ? Quel genre de futur économique, social et sportif pouvons-nous construire après la candidature aux JO ? Ça fait des programmes extrêmement lourds, mais on n’en est pas encore là. Peut-être qu’on y sera un jour.
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