Boxe: pourquoi Elhem Mekhaled peut marquer l'histoire du sport français

Aller battre une Américaine chez elle, dans un lieu au nom conjugué au mythe, et monter sur tous les trônes. Pour marquer à jamais l'histoire du sport français. Elhem Mekhaled a l'éternité au bout de ses gants. Dans la nuit de samedi à dimanche, au Theater (la petite salle, 5000 places) du Madison Square Garden de New York, la boxeuse française affronte sur dix rounds Alycia Baumgardner, championne du monde WBC-IBF-WBO des super-plumes. Vacante, la ceinture WBA a été ajoutée au menu. Les quatre titres des quatre organisations majeures de la discipline. Ce qu'on appelle être champion(ne) incontesté(e).
Jamais un représentant tricolore, tous sexes confondus, n'a atteint ce statut depuis le début de l'ère aux quatre ceintures reconnues pour l'obtenir en 2007-2008. Personne n'a même jamais été proche de cet exploit réservé à l'élite avec seulement neuf hommes et six femmes l'ayant accompli dans l'histoire. Depuis le début du siècle, seul Jean-Marc Mormeck a combattu pour une couronne incontestée, en janvier 2006, alors toujours l'ère à trois ceintures (WBC-WBA-IBF), contre le Jamaïcain O'Neil Bell au... Madison Square Garden (la grande salle). Le Français, champion unifié WBA-WBC avant ce choc, avait été mis KO dans ce combat pour les trois titres des lourds-légers.
Un saut dans le passé
Pour retrouver trace d'un champion du monde incontesté tricolore, il faut remonter très loin. Pour une courte liste. Georges Carpentier chez les mi-lourds en 1921, André Routis en 1928 chez les plumes, Marcel Cerdan en 1948 chez les moyens, Robert Cohen et Alphonse Alimi chez les coqs en 1954 et 1957. Un autre temps, où le titre incontesté était unique et attribué par les organisations NYSAC-NBA. Une victoire de Mekhaled mériterait bien le label historique, pour la boxe tricolore et plus globalement pour le sport français. Une chance que la boxeuse de la périphérie lyonnaise a su attendre avec patience.
Mekhaled débute son histoire avec la boxe à 16 ans. Premier combat pro à 25, en novembre 2016. Le titre national des super-plumes dès le quatrième combat. Au onzième, c'est la ceinture EBU de championne d'Europe. Le douzième, en mars 2019, la voit battre Danila Ramos pour la couronne mondiale WBC par intérim. Challenger de fait de la "vraie" championne (ah, la boxe...) de l'époque, la Finlandaise Eva Wahlstrom. Entre la pandémie de Covid, les pépins physiques des unes et des autres, les changements de championne et la gestion politique des coulisses de la boxe, sa chance a longtemps été retardée et sa carrière bloquée près de deux ans sans combattre entre fin 2019 et septembre 2021.
Beaucoup auraient laissé tomber. L'idée lui a plus que traversé l'esprit. Elle a été verbalisée. Mais elle ne va pas lâcher. Une rencontre il y a un an et demi, avec le très expérimenté coach Joseph Germain, qui a notamment travaillé avec Mormeck ou Carlos Takam, va raviver la flamme pour de bon. "C’est une personne très précieuse, sourit la boxeuse de 31 ans (15-1 en carrière) au micro de RMC Sport. Je ressens sa confiance." Ironie de l'histoire, c'est finalement sa première défaite en pro, une décision unanime mais disputée en mai 2022 contre la Belge Delfine Persoon, ancienne championne du monde dans la catégorie supérieure, qui va enfin lui offrir sa chance mondiale.
"Le challenge est haut mais je serai à la hauteur"
"Après ce combat, une manager américaine, Sarah Fina, m’a contactée, raconte Elhem Mekhaled. Elle avait adoré ma prestation et m’a proposé de signer avec elle. Je lui ai dit: 'Je veux un championnat du monde'. Elle a les contacts dans le monde de la boxe. Elle a tapé du poing sur la table pour me donner cette chance. C’est une chance mais aussi le combat de ma vie. J’attendais ce moment depuis très longtemps. C’est mon destin. Tout vient à point à qui sait attendre et c’est mon heure." Mise en confiance par sa prestation solide contre la réputée Persoon, portée par un gros travail depuis des années et un mental forgé par un père "qui (l)’a élevée seul" et lui a "appris à (s)e battre dans la vie", Mekhaled a conscience de la portée de la tâche qui se présente avec Alycia Baumgardner (28 ans, 13-1 en carrière), considérée comme la meilleure combattante de la catégorie depuis sa victoire en octobre sur Mikaela Mayer (qui avait avant cela battu la Française Maïva Hamadouche), et qu'il faut affronter à New York.
Mais elle veut croire en son destin. "Je ne la sous-estime pas mais je vais tout donner. Si mon coach a accepté ce combat, c’est qu’il croit en moi. Il a l’expérience des gros combats. Avec Jo, on va décrocher ces ceintures. New York ? C'était un de mes rêves. Et boxer pour quatre ceintures, vous pouvez me mettre dans un champ... C’est l’enjeu qui compte plus que le lieu. J’aime bien boxer chez l’adversaire. Je me dis qu’elle doit être à l’aise chez elle avec tout son entourage. Être l’outsider, c’est un avantage pour moi. Il n’y a pas de pression. C'est une façon de parler mais je n’ai rien à perdre et tout à gagner. Alycia a la jeunesse et la fougue. Elle est précise. Mais je ne vais pas dire qu’elle est plus forte. Le challenge est haut mais je serai à la hauteur. Je sais m'adapter aux défauts de l'autre."
Employée de bureau d'une grosse compagnie d'assurance, qui la soutient dans sa carrière dans les rings, la boxeuse franco-algérienne (médaillée de bronze aux Jeux africains en 2015) a pu se faire détacher du temps pour bien préparer le combat d'une vie. Pour laisser son nom à jamais dans son sport, dans le sport, dans une soirée placée sous le signe des femmes avec un autre combat pour un titre incontesté à quatre ceintures chez les plumes entre la Porto-Ricaine Amanda Serrano, championne du monde dans sept catégories, et la Mexicaine Erika Cruz Hernandez. "Si je ramène ces ceintures à la maison, je pourrai me dire que ma persévérance a payé et que je n’ai pas fait tout ça pour rien, conclut Elhem Mekhaled. Ce qui pourrait changer ma vie, c’est de donner l’exemple pour la boxe féminine française, marquer l’histoire et inciter les femmes à pratiquer les sports de combat."