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D’un bar de Varsovie à la Paris La Défense Arena: la folle histoire du KSW, la petite organisation polonaise de MMA qui a conquis l'Europe

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Pour la deuxième fois en quelques mois, le KSW pose ce vendredi 20 décembre ses valises en France, avec une soirée de combats exceptionnelle à Paris La Défense Arena (20h30 sur RMC Sport 1), qui sera conclue par le choc 100% français entre Salahdine Parnasse et Wilson Varela, pour la ceinture des -70kg de l'organisation polonaise. Une organisation née il y a vingt ans dans le bar d'un hôtel de Varsovie. Et qui a depuis beaucoup, beaucoup grandi.

Le plus gros choc franco-français de l’histoire d’un point de vue sportif, en clôture d’une carte particulièrement séduisante, le tout dans la plus grande salle d’Europe, et donc avec un probable record d’affluence à la clé. Légalisé depuis bientôt cinq ans, popularisé par l’arrivée de l’UFC à Paris, les performances en mondiovision de Ciryl Gane ou le bagou de Cédric Doumbè, le MMA français s’apprête à franchir un nouveau cap ce vendredi soir à la Paris La Défense Arena.

L’antre du Racing, transformé à l’été en jardin des exploits olympiques de Léon Marchand, va devenir l’espace de quelques heures un temple des sports des combats. Cette fois, pas de superorganisation américaine à la baguette, ni de showman en tête d’affiche, mais deux combattants tricolores particulièrement talentueux et travailleurs, Salahdine Parnasse et Wilson Varela, qui vont s’affronter pour la ceinture des -70kg d’une promotion polonaise, le KSW. L’organisation de MMA numéro 1 en Europe. Celle qui ne se ferme aucune porte.

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De la TV... à la réalité

Derrière ce sigle KSW, trois mots difficilement déchiffrables pour quiconque (c’est-à-dire presque tout le monde) ne maîtrise pas le polonais: Konfrontacja Sztuk Walki, pour "confrontation d’arts martiaux" en VF. Du MMA, donc. Du MMA à la sauce varsovienne, qui a peu à peu conquis le Vieux Continent… depuis un bar-restaurant.

Retour au début des années 2000. À cette époque, Martin Lewandowski est encore le promotion manager de l’hôtel Marriott de la capitale polonaise. Parmi ses attributions: gérer l’animation du "Champions sports bar", intégré à l’établissement. Lewandowski (qui n’a aucun lien de parenté avec Robert mais qui essaiera pourtant de faire combattre la femme du footballeur) fait diffuser sur les écrans des Grand Prix de F1, des matchs de foot, organise des soirées spéciales SuperBowl. Du très classique, en somme. Sauf que le promotion manager, qui pratique lui-même les arts martiaux depuis quelques années, s’est pris de passion pour le Pride FC, la légendaire organisation japonaise de MMA.

Ayant carte blanche, il commence à diffuser un évènement au Champions. Puis deux, puis trois… Les clients du Marriott apprécient, d’autres viennent spécifiquement depuis l’autre bout de Varsovie. De quoi, vous l’aurez compris, faire germer une idée dans le crâne de Lewandowski: pourquoi se contenter d’une diffusion TV? Pourquoi ne pas écarter un peu les tables du Champions, installer un ring de fortune au beau milieu du bar, et faire venir lui-même des combattants pour animer la soirée?

Martin Lewandowski discute de ce projet avec Maciej Kawulski, un partenaire d’affaires rencontré quelques années plus tôt, lui-même fan de sports de combat. Les deux hommes se serrent la main. Le KSW est né. "À l'époque, le MMA avait une très, très mauvaise réputation en Pologne", glissait pourtant Martin Lewandowski à Fighters Only en 2019. "On disait que des gangsters étaient impliqués dans ce sport, que c'était comme regarder un combat de chiens. (…) Tout me poussait à fuir, plutôt que de rester, de construire et de développer le sport ici."

Il n’empêche, le 27 février 2004, le premier événement voit le jour, sous un format d’un autre temps: un tournoi mettant aux prises huit combattants (de -93kg), tous polonais, sur une seule soirée. Vainqueur par soumission en quart, sur décision en demie, puis par TKO en finale, Lukasz Jurkowski est le gagnant du premier tournoi. Pas grand-monde n’assiste à son sacre, puisque selon les registres, l’affluence est – au mieux – de 300 personnes. Mais tout le monde en a eu pour son argent.

L'affiche du KSW I, en 2004
L'affiche du KSW I, en 2004 © KSW

Le 7 octobre, Lewandowski et Kawulski remettent le couvert avec un KSW II. Puis un KSW III en janvier 2005, et un KSW IV en septembre 2005. Toujours avec un tournoi, au Champions, au rez-de-chaussée du Marriott de Varsovie. La différence, c’est que le public grandit, et que le roster s’internationalise déjà, avec des combattants américains, un Croate, ou encore un Brésilien. Mirko "Cro Crop" Filipovic, figure du Pride et futur combattant UFC, est même dans l’assistance.

"Pudzian", le coup parfait

Sûr de lui, Martin Lewandowski lâche en 2006 son job au Marriott pour se lancer à temps plein, et toujours avec Maciej Kawulski, dans l’aventure KSW. "Nous avons commencé à investir notre propre argent", contait Lewandowski au site MMA Fighting en 2017. "J’ai réalisé que si je consacrais ce temps (comme employé de l'hôtel), multiplié par deux, je pourrais gagner beaucoup plus d'argent qu'en travaillant au Marriott."

Le jackpot n’est pas immédiat, mais la chaîne Polsat fait part de son intérêt pour retransmettre les réunions, et apporte le cash nécessaire au développement de l’organisation. Le KSW ne voit pas trop grand, il se fait progressivement un nom. Le KSW V, en juin 2006, est le premier à se tenir en dehors du Champions, et le KSW VI (octobre 2006) est le premier à se dérouler à la Halle Torwar, une salle de 5000 places environ à Varsovie.

La bascule a véritablement lieu trois ans plus tard, avec la signature de Mariusz Pudzianowski, une icône locale, un mélange de Brock Lesnar – pour les fans de catch – et d’Arnold Schwarzenegger. Montagne de muscles, cinq fois vainqueur du concours de "l’homme le plus fort du monde" entre 2002 et 2008, ancien taulard et ancien chanteur, "Pudzian" est lancé sur le ring (qui deviendra une cage circulaire en 2014) du KSW 12 le 11 décembre 2009, face au pauvre Marcin Najman. Le combat ne dure que 43 secondes, le temps pour Pudzianowski de martyriser son adversaire, mais le coup est parfait: 5,7 millions de Polonais sont devant leur télévision à 23h50 pour assister au combat. Un raz-de-marée.

La suite? Quatre événements par an en moyenne, un premier KSW hors Pologne en octobre 2015 (à l’Arena Wembley de Londres), et un moment de grâce en mai 2017, quand l’organisation s’offre le Stade national de Varsovie pour le KSW 39: Colosseum. 57.776 spectateurs sont rassemblés dans les tribunes, pour ce qui est à ce moment-là la deuxième plus grosse affluence de l’histoire du MMA. Chiffres que même l’UFC, à ce jour, n’a jamais réussi à atteindre. Cette fois ça y est, le KSW joue dans la cour des grands.

Des combattants "respectés", et surtout bien payés

La recette du succès comporte plusieurs ingrédients. Et la passion du peuple polonais pour la bagarre n’explique pas tout. Pour s’installer durablement, pour fidéliser son public et conquérir de nouveaux marchés, dont la France, le KSW a réussi à attirer – malgré un roster encore très hétérogène – des talents de toute l’Europe, et même d’ailleurs. Plusieurs stars de l’UFC s’y sont fait les dents: on pense à Jan Blachowicz, Mateusz Gamrot, Alexander Gustafsson et bien entendu à l’actuel champion des -84kg, le Sud-Africain Dricus Du Plessis. Côté français, Oumar Sy y a également combattu à trois reprises, avant de signer chez Dana White.

D’autres ont eu cette opportunité, mais ont préféré rester sous pavillon polonais. Le cas le plus emblématique étant celui de Salahdine Parnasse. Libre de s’engager où il voulait après le premier KSW en France en avril 2024, et courtisé par les plus puissantes ligues, le "Superprodige" a rempilé. Tout simplement parce que l’organisation polonaise, et c’est l’une de ses forces, paye bien ses athlètes. Voire très, très bien. "Il faut savoir que quand on est bien quelque part, il n’y a pas d’intérêt à partir. (…) Ce qui a fait pencher la balance, c’est l’aspect financier, on a été respectés, on a été entendus", confirme à RMC Sport Stéphane "Atch" Chaufourier, le mentor et manager de Parnasse.

Une somme de 500.000 euros par combat a été évoquée en coulisses. Réel? "Le salaire de Salah oscille entre la 2e et la 4e place d’un combattant UFC, c’est dire qu’on a été bien lotis", sourit "Atch". Avant enfin d’en dire un peu plus: "On peut approcher un million d’euros entre deux combats, et deux combats et demi".

Épisode 268 : MMA : Salahdine Parnasse reste au KSW, les raisons de son choix
Épisode 268 : MMA : Salahdine Parnasse reste au KSW, les raisons de son choix
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Évidemment, tous les combattants du KSW ne sont pas logés à la même enseigne que Parnasse, détenteur de deux ceintures (-66kg et -70kg) et figure internationale de l’organisation. Mais pour reprendre les termes d’Atch, tous ou presque se disent "respectés", quand il s’agit de recevoir leur bourse. Il faut dire que le KSW a noué plusieurs partenariats juteux ces dernières années (Viaplay, XTB…), qui lui ont permis d’accélérer la cadence (désormais un KSW par mois depuis 2022) et d’avoir de solides arguments financiers à faire entendre.

Dopage et néonazisme

De quoi estomper aussi quelques réticences. Car le KSW, malgré sa croissance, malgré son argent, malgré la mise en valeur de ses athlètes avec une direction artistique soignée (des shows parfaitement rodés, et l’un des speakers les plus charismatiques de la planète MMA), n’échappe pas à certaines critiques.

Le principal reproche touchant souvent au dopage. Si en France, les pratiquants de MMA de haut niveau ont régulièrement de la visite au réveil, la Pologne relève plutôt du far-west dans le domaine. "On se déplace beaucoup en Pologne avec Salah, et là-bas il n’y a pas d’interdiction", confiait Atch il y a quelques mois. "Ça veut dire que chaque combat de Salah, on est persuadés d’affronter un combattant dopé." Il arrive régulièrement de sourciller en effet devant le physique très (trop) impressionnant d’un athlète dans la cage.

L’apparence de ses combattants a d’ailleurs valu au KSW d’autres polémiques par le passé. En 2012, avant le KSW 18, l’organisation – prisée de certains groupes de hooligans d’Europe de l’Est – avait été contrainte d’écarter le Finlandais Niko Puhakka, qui devait pourtant combattre pour la ceinture vacante des -70kg. Problème: ce dernier avait exhibé un slogan néonazi, tatoué sur son torse, lors d’un précédent combat. "La fédération KSW n'a jamais été et ne sera jamais une institution promouvant des convictions politiques, religieuses ou sociales", s’était alors justifié le KSW dans un communiqué. "Nous sommes une organisation sportive qui choisit ses combattants uniquement sur la base de leurs performances athlétiques. Notre objectif est de confronter les compétences, et non les opinions des athlètes." Comme quoi, ce n'était pas toujours mieux avant.

https://twitter.com/clementchaillou Clément Chaillou Journaliste RMC Sport