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UFC: Venum, l’histoire de la marque française qui prend la place de Reebok

Equipementier de l’UFC depuis 2015, Reebok est remplacé par Venum depuis ce 1er avril. Fondée en 2006, la marque française a su surfer sur la vague de la montée en puissance du MMA pour s’imposer dans le milieu et devenir le nouveau partenaire "vêtements" de la grande organisation. RMC Sport vous raconte son histoire à l’heure de cette énorme étape dans son développement.

Il est le champion "BMF", ceinture qui ne se transmet pas, et l’une des plus grandes stars de l’UFC. Quand Jorge Masvidal va s’approcher de l’octogone le 24 avril à Jacksonville (Floride) pour défier le champion des welters Kamaru Usman, qui l’avait battu sur décision unanime en juillet dernier dans un combat accepté à peine quelques jours avant par l’Américain, les yeux des fans de MMA seront tous tournés vers le charismatique "Gamebred". A Rungis, en banlieue parisienne, non loin du marché international, certains auront en plus un grand sourire mêlant fierté et satisfaction.

Franck Dupuis et ses équipes de Venum auront de quoi avoir la banane: Masvidal et les autres combattants de l’UFC 261 monteront tous dans la cage en portant les produits de la marque française, devenu ce 1er avril – les designs seront dévoilés la semaine prochaine (ils ont déjà fuité selon certains comptes sur les réseaux sociaux) et la première se fera lors de l’UFC Fight Night du 10 avril – le nouveau partenaire "vêtements" de la plus grande organisation mondiale de MMA à la place du géant américain Reebok, qui occupait la place depuis 2015.

Une société moins connue son prédécesseur, qui aura terminé son contrat sur la victoire de Francis Ngannou pour le titre des lourds, mais plus cœur de cible et qui a bien grandi depuis ses débuts. La réussite de Venum, c’est l’histoire d’un entrepreneur français. Tout commence en 2004, quand Franck Dupuis, ancien karatéka "de bon petit niveau" au parcours étudiant classique (classe prépa, école de commerce) passé comme ingénieur d’affaire chez IBM est "gratté par le démon de l’entreprenariat".

"Je voulais me mettre à mon compte sur quelque chose qui m’excitait et les sports de combat sont une passion depuis tout petit", précise le fondateur et propriétaire (à 100%) du nouveau partenaire de l’UFC, quarante-sept ans, fan des films de Bruce Lee dans sa jeunesse.

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L’idée? Dragon Bleu, premier site français de e-commerce dédié aux sports de combat, lancé le 4 mai 2004 depuis son petit appartement en banlieue parisienne. Franck Dupuis a senti "dès 2003" la future explosion du MMA et compte surfer sur une vague déjà grosse au Brésil, aux Etats-Unis ou au Japon (ah la belle époque du PRIDE…) et qui commence à grandir en Europe. "Je voulais proposer aux fans de sports de combat, et principalement de MMA, des produits qui étaient alors introuvables en France", raconte-t-il.

Problème? Les produits sont souvent importés du Brésil et certaines marques manquent de professionnalisme alors que la demande augmente. Solution? Créer sa propre marque de vêtements spécialisés, Venum, imaginée en 2005 et lancée en 2006, année où l’entrepreneur est rejoint par un ancien collègue chez IBM devenu son associé, Jean-François Bandet. Avec une base brésilienne qui fera longtemps croire à beaucoup que la marque à la tête de cobra comme logo vient de là-bas.

Tanière brésilienne

"Quand vous vendez du champagne, il vaut mieux dire qu’il est français que chinois, pointe Franck Dupuis. Le MMA, au milieu des années 2000, c’était principalement américain et brésilien. La plupart des marques de MMA étant brésiliennes, ça m’a paru naturel de voir ce qui se passait là-bas. J’ai mis en place avec un partenaire local un site de production à côté de Rio. Très rapidement, l’usine n’a pas suffi à suivre et les besoins et la technicité des produits qu’on voulait fabriquer, car trop limitée en termes de savoir-faire, donc il a fallu partir vers des usines plus costaudes. J’assume d’avoir longtemps présenté Venum comme un serpent brésilien, c’était même son surnom, car il avait sa tanière au Brésil."

Paradoxal quand on apprend que la marque "ne vend rien" dans ce pays, et ce depuis longtemps: "Tous les produits Venum que vous voyez là-bas sont des faux, avec une grosse différence de qualité. C’est bizarre d’entendre ça pour le ‘brazilian snake’ mais c’est la triste réalité." Sous le terme "faux", Franck Dupuis évoque les articles de Venum Brasil, société drivée par son ancien partenaire brésilien André Vieira, qu'il avait laissé déposer une partie de la marque (le logo à la tête de serpent) dans son pays quand ils travaillaient ensemble et qui s'en revendique "co-fondateur" alors qu'il était seulement "un fournisseur" dixit le patron français. Si Franck Dupuis reconnaît que le Brésilien l'a aidé au début en participant au lancement de la marque, les deux entités sont bel et bien 100% séparées aujourd'hui.

Dès son lancement, le développement de la marque Venum passe par des produits de qualité et du sponsoring d’athlètes dans le MMA, au premier rang desquels de nombreux champions brésiliens comme Alexandre Franca Nogueira, Wanderlei Silva, Mauricio Rua, Lyoto Machida, Fabricio Werdum ou José Aldo. Qui peuvent montrer "le serpent" à l’UFC comme ailleurs, car l’époque le permet. "Il y a eu l’étape un peu sauvage, où on pouvait sponsoriser n’importe qui un peu n’importe comment, se souvient Franck Dupuis. On pouvait mettre un sticker sur un short ou donner le short et le tee-shirt avec lequel le combattant rentrait dans la cage."

Les combattants José Aldo, alors champion des plumes de l'UFC, Rodolfo Vieira et Mauricio Rua (de gauche à droite) posent avec des shorts Venum en 2014
Les combattants José Aldo, alors champion des plumes de l'UFC, Rodolfo Vieira et Mauricio Rua (de gauche à droite) posent avec des shorts Venum en 2014 © DR/Venum

Chaque combattant a ses sponsors et les expose. Mais l’UFC, qui finit par manger toute la concurrence ou presque, va peu à peu mettre le holà. "Ils ont sorti une liste de marques homologuées qui pouvaient sponsoriser leurs athlètes, poursuit l’entrepreneur. Il fallait payer une redevance annuelle pour avoir ce droit. Heureusement, on était déjà suffisamment gros pour le faire mais beaucoup de marques n’ont pas pu se le permettre." Nouvelle étape en 2014, année où Jean-François Bandet décide "de partir sur autre chose" et quitte Franck Dupuis. L’UFC annonce à Venum et aux autres marques impliquées sa décision de développer une collaboration exclusive avec Reebok à partir de 2015.

L’idée des patrons de l’organisation est de rendre le produit plus propre, plus beau, sans le côté foire aux sponsors sur les shorts et sur les bannières des combattants (beaucoup avaient critiqué ce choix qui avait coûté cher aux athlètes les plus populaires, sans pouvoir rien faire en l’absence d’un syndicat et d’un accord collectif pour défendre leurs intérêts), pour le crédibiliser auprès du grand public et des médias. "On nous a annoncé qu’il fallait passer à autre chose, raconte Franck Dupuis. Ça a été un moment difficile psychologiquement car on ne savait pas trop ce que tout ça allait devenir." Le rebond viendra d’une ouverture aux autres disciplines.

"On avait créé notre image, notre légitimité, et on a fait dans d’autres sports ce qu’on avait fait dans le MMA, reprend l’entrepreneur. Comme on avait une usine en Thaïlande, on a attaqué la boxe thaïlandaise et le kickboxing, développé des produits, investi sur des athlètes. On a aussi investi dans le jiu-jitsu brésilien. On a décliné jusqu’à la boxe anglaise, le dernier dans lequel on s’est lancé." Venum va notamment trouver sa légitimité dans le noble art via la signature de l’Ukrainien Vasiliy Lomachenko, double champion olympique chez les amateurs et champion du monde dans trois catégories chez les pros, l’un des meilleurs boxeurs de la planète. Qui va apporter sa patte, et pas qu’un peu, au développement des produits.

Le boxeur ukrainien Vasiliy Lomachenko avec ses gants Venum
Le boxeur ukrainien Vasiliy Lomachenko avec ses gants Venum © Icon Sport

"On avait fabriqué trois gants de boxe, on les a donnés à Lomachenko, il en a aimé un mais il nous a dit qu’il y avait encore des choses à changer et on a encore modifié les trois-quarts du produit, explique Franck Dupuis. Il nous disait: 'La position de la main ne me va pas, la sensation à l’impact et la forme non plus, etc'. Ce n’est pas changer juste pour changer ou parce que ça lui faisait plaisir, il y a un argumentaire derrière. Certains athlètes vont vous faire des retours qui ne sont pas pertinents et c’est un piège à éviter. Mais Loma est impressionnant sur ce plan. Le niveau technique que vous le voyez développer sur le ring n’est pas un hasard, c’est un état d’esprit: le gars a un niveau d’exigence incroyable que je n’ai jamais vu avec d’autres athlètes. Il nous a permis de faire énormément progresser nos gammes de gants."

"Le serpent revient à la maison"

La tanière bâtie par Franck Dupuis, qui "ne regarde pas trop les CV mais plutôt les personnes et ce qu’elles sont capables de faire" pour recruter et a souvent donné sa chance à des jeunes de banlieue (proximité géographique oblige) qui n’en obtenaient pas ailleurs, s’est agrandie et internationalisée. Mais avec le contrat UFC, "le serpent revient à la maison, comme on s’est dit quand on a discuté avec eux". "Outre la légitimité acquise dans les sports de combat, on a réussi à développer mondialement la marque et à la rendre légitime sur tous les continents et je pense que c’est pour ça que l’UFC a fait appel à nous, poursuit Franck Dupuis. On est quasiment les seuls à avoir réussi ça et clairement les seuls à l’avoir fait en si peu de temps. L’UFC a une réussite éclatante et être reconnus par ce type de professionnels, c’est flatteur. Les équipes sont très fières."

"Venum est une marque emblématique des sports de combat qui comprend les besoins uniques des athlètes, se réjouissait Dana White, patron exécutif de l’UFC, au moment du communiqué d’annonce du partenariat en juillet dernier. Ils ont les connaissances techniques et l’expérience pour produire des vêtements de combat de classe mondiale. Ils sont investis à fond dans le projet et j’adore ça." "Aussi bon que les produits Reebok étaient, Venum est monté d’un cran dans la qualité et la considération mises dans les produits", confirme Lawrence Epstein, vice-président exécutif de l’UFC, pour ESPN. Et le moment tombe à pic. "Les sports de combat ont particulièrement souffert avec la pandémie de Covid, rappelle Franck Dupuis. A l’UFC, ce sont les seuls qui ont vraiment réussi à s’en sortir. Ils vont nous offrir une exposition que les autres ne sont plus capables de proposer."

Franck Dupuis, fondateur et propriétaire de Venum, pose dans la salle d'entraînement de la salle dans son siège de Rungis
Franck Dupuis, fondateur et propriétaire de Venum, pose dans la salle d'entraînement de la salle dans son siège de Rungis © DR/Venum

Venum, qui avait été contacté par l'UFC à l'été 2019 pour l'appel d'offres qui a débouché sur le contrat, ne fournira pas les gants et les équipements de combat, pour lesquels l'organisation américaine a d’autres partenaires, mais s’occupera de toute la partie textile (t-shirts, survêtements, shorts d’entraînement et de combat, sacs de sport, casquettes, chaussettes, sous-vêtements, etc) pour la "fight week" (la semaine du combat, avec notamment la conférence de presse, la pesée et les apparitions médiatiques) et la "fight night" (la soirée du combat). Après "déjà plus d’un an de travail en commun" pour "une sorte de période d’essai" car "l’UFC avait besoin d’être rassurée par rapport aux capacités de Venum de gérer un tel dossier et de répondre à leurs attentes", ce qui est désormais le cas, les deux parties sont "en train de négocier une prolongation du contrat sur plusieurs années".

Selon ESPN, le contrat est "plus court et moins lucratif" que celui avec Reebok (six ans et 70 millions de dollars, dotations textiles incluses), qui restera le fournisseur de chaussures de l’UFC jusqu’à la fin 2021. "C’est pour environ trois ans", précise Lawrence Epstein. Au contraire du géant américain, qui avait notamment signé un certain Conor McGregor, la marque ne tentera pas de mettre des combattants de l’UFC sous contrat personnel comme ils continuent par exemple de le faire en boxe. Enfin, pour l’instant… "C’est une chose à laquelle on est en train de réfléchir, reconnaît Franck Dupuis. Je voulais d’abord qu’on s’occupe de l’UFC avant de penser aux athlètes de l’UFC. On a deux-trois athlètes en ligne de mire, qui nous intéressent, mais ce n’est pas le même travail. Aujourd’hui, j’ai l’équipe pour travailler sur la partie UFC mais je n’ai pas tout à fait l’équipe pour valoriser un gros athlète UFC."

Ce qui ne veut pas dire que les combattants ne vont pas en profiter. Lors de l’annonce du partenariat, l’organisation avait annoncé que ce deal "augmentera(it) leurs revenus". C’est bien le cas, mais à peine. Selon Lawrence Epstein, la hausse annuelle sur ce plan atteint un million de dollars. Le système de bonus pour les combattants mis en place avec Reebok, basé entre autres sur l’ancienneté dans l’organisation mais aussi sur un bon comportement lors de la "fight week", est conservé et légèrement revu à la hausse: 42.000 dollars au lieu de 40.000 pour un champion qui défend son titre, 32.000 au lieu de 30.000 pour un challenger pour le titre. Les augmentations vont de 500 dollars – 4000 au lieu de 3500 pour un athlète qui compte entre un et trois combats à l’UFC, le plus petit niveau de ces bonus – à 2000.

Tous les bénéfices ou presque du contrat iront aux combattants, dixit Lawrence Epstein, qui pourront aussi se dégoter des sponsors personnels pour les périodes hors "fight week". La "modeste" marque française "qui emploie une centaine de personnes", et dont "l’ingénierie et la recherche sont faites à Paris et Hong Kong, où on a notre centre de développement où on a façonné techniquement les produits qui vont être utilisés dans l’octogone", passe une étape importante de son évolution. Mais l’ambition de la marque qui commence à pénétrer l’univers du streetwear – une collection de prêt-à-porter pour la vie quotidienne est proposée depuis un an – va au-delà.

"On veut aller plus loin"

"Je ne pensais pas, quand on a commencé, qu’on serait capables un jour d’aller 'se taper' avec des marques comme Reebok, se satisfait son propriétaire. C’est quand même quelque chose… Mais on veut aller plus loin et faire de Venum une grande marque de sport plus généraliste, tout en gardant nos racines légitimes dans le combat. On espère que ça va être un tremplin supplémentaire." Il n’y a plus qu’à. "Je suis impatient que la première soirée soit derrière nous et qu’on ait des retours positifs, lance le patron. On n’est plus une toute petite boîte mais on n’est pas un monstre non plus, et pour nous ça demande beaucoup plus d’efforts, je pense, que ça n’en a demandé à Reebok. Tout le monde a vraiment beaucoup transpiré sur ce truc-là donc on est impatients mais aussi un peu nerveux."

Les équipes de Franck Dupuis, qui veut "créer sur la durée sinon (il) aurai(t) déjà vendu et récupéré pas mal d’argent il y a bien longtemps" et préfère garder son chiffre d’affaire secret (celui de Dragon Bleu, sur la seule zone France, était d’environ 17,5 millions d’euros en 2019, et on peut imaginer que Venum fait bien mieux), sont prêtes à relever le défi depuis leur imposant complexe de Rungis, un ancien entrepôt de stockage où on trouve le siège social, une boutique mais aussi une salle d’entraînement de près de 1800m2 (ils ont aussi un centre à Las Vegas fermé depuis un an à cause de l’épidémie). Si le site Dragon Bleu existe toujours, mais aussi une marque d’entrée de gamme du nom de RingHorns, Venum reste le cœur du business de l’entrepreneur français. Avec ce contrat UFC, le serpent n’a pas fini de grandir.

https://twitter.com/LexaB Alexandre Herbinet Journaliste RMC Sport