UFC: "C’est bon coach, on y va", aux (véritables) origines du phénomène Ciryl Gane

Il en a pourtant vu défiler… Patron exécutif de l’UFC depuis plus de vingt ans, Dana White sort les grands mots pour Ciryl Gane et sa beauté technique quand il combat debout avec les pieds et les poings: "Stylistiquement, il est probablement le meilleur striker de l’histoire de la catégorie des lourds". Il a sans doute raison. Mobile, rapide, aérien, capable de bouger comme un combattant bien plus léger que lui, le Vendéen qui défie Francis Ngannou ce week-end en Californie pour la couronne des lourds est un ovni pour sa catégorie. Il y a quelques mois, RMC Sport vous avait expliqué en détails la construction technique de ce striker d’élite version MMA sous les ordres de coach Fernand Lopez.
Mais le patron du MMA Factory ne peut pas revendiquer la paternité du phénomène. Pour revenir aux origines de de combattant de "Bon Gamin", il faut se tourner vers Xavier Séverin. Coach de muay-thaï au Puteaux Scorp’Thaï, ce dernier a vu l’ancien basketteur et footballeur pousser la porte de son club sur le tard, à vingt-quatre ans, à l’invitation d’un compagnon de promo de son BTS Management Unité Commerciale, Dany Njiba, deux fois champion de France. "Quand tu as le talent, vingt-quatre ans, ce n’est pas tard. On ne parle pas du commun des mortels", sourit le technicien au micro du RMC Fighter Club. Un produit brut qu’il a dû façonner. Et d’abord pousser à s’investir.
"Au début, il ne se voyait pas être compétiteur, raconte Xavier Séverin. Au-delà de son gabarit, il avait des aptitudes mais des boxeurs avec des aptitudes, on en voit beaucoup passer et repartir. Et c’était un peu le destin que prenait Ciryl. Il était en dilettante, en touriste, en mode ‘je viens, je ne viens pas’. Un jour, je lui ai mis un petit coup de pression: 'Tu as un potentiel extraordinaire, mais sans travail, ça ne te mènera à rien. Soit tu viens à la salle pour boxer en compétition et devenir quelqu’un, soit tu ne viens plus.' Il aurait pu lâcher. Deux-trois jours après, il m’a rappelé: 'C’est bon coach, on y va'."
Leur parcours commun sera immaculé. Douze combats, douze victoires. Champion de France Classe C au troisième, double champion de France Classe A ensuite. Le très respecté Brice Guidon et Yassine Boughanem, déjà grand nom de la discipline et futur champion du monde WBC, accrochés au palmarès. "Guidon, c’est le combat qui a fait prendre conscience à Ciryl qu’il pouvait aller loin car il n’a pas toujours eu cette confiance en lui. Boughanem, c’est le combat où il a été le plus en difficulté. Pas parce que Yassine était plus fort mais parce que Ciryl l’a trop respecté. Mais je n’ai jamais douté qu’il allait le battre. Je savais de quoi il était capable." Autour du combat contre Guidon, une recherche de sparring-partners plus proches de chez lui va lui faire rencontrer Fernand Lopez, alors coach de Ngannou, et tâter le terrain du MMA Factory. Lopez voit tout de suite le potentiel et propose son projet de transition, qui fait mouche.
Gane mettra quelques mois à l’avouer à son guide en muay-thaï, qui avait alors pour lui des contacts avec le GLORY, la grande organisation de kickboxing. "Il m’en parle avant le combat contre Boughanem. J’avais entendu des bruits de couloir et je crève l’abcès. Quand il me raconte, d’emblée, je lui réponds: 'Vas-y les yeux fermés si ce qu’on te propose financièrement parlant peut se faire'. Je n’ai pas eu de regret. Vu ce qu’il réalise, il a eu totalement raison. Tes boxeurs ne t’appartiennent pas et je sais qu’il kiffe ce qu’il fait, sinon il n’irait pas, je le connais. Et le gars qui va combattre pour la ceinture des lourds de l’UFC, ce qui n’est pas n’importe quoi, c’est moi qui l’ai formé. Quand je vois son striking, je ne peux avoir que de la fierté pour nous, à Puteaux. Il n’est pas 100% ce que nous lui avons appris, car il a très bien évolué, mais il y avait de très bonnes fondations."
La séparation définitive, en novembre 2017, après laquelle Gane fera un dernier combat de muay-thaï sous les ordres de Lopez deux mois avant ses débuts professionnels en MMA, se fait sans heurt. Respect et reconnaissance mutuelle, partagées à l’époque par Xavier Séverin via un texte sur les réseaux sociaux. "J’avais écrit: 'Retenez bien le nom de Ciryl Gane, vous allez en entendre parler'. Ce n’était pas une phrase bidon, je le pensais. Je ne suis pas étonné de le voir gagner tous ses combats. C’est un phénomène."
Qui présentait déjà les traits soulignés aujourd’hui. "Il ressemble au combattant que j’avais. Il a pris de la masse musculaire mais elle ne l’a pas empêché de continuer à bouger et à toucher. Le côté dansant, le jeu de jambes, il l’avait déjà, il affectionnait ça. Il y avait aussi cette intelligence de combat. Il comprend vite, tu n’as pas besoin de lui expliquer les choses longtemps. Et surtout, il les applique. Il y avait ce détachement qui est une force, et qui est surtout la vérité. Il n’a jamais été un passionné d’arts martiaux mais il faisait bien son travail. Il n’y avait pas besoin de lui mettre de la pression dans les vestiaires."
Muay-thaï oblige, Xavier Séverin avait "bien sûr" déjà vu ce coup de coude à l’aveugle qui inonde les highlights de l’UFC depuis qu’il l’a sorti lors du combat pour le titre intérimaire en août contre Derrick Lewis. Mais aussi, comme nous l’avait déjà décrit Fernand Lopez sur le "Bon Gamin" version MMA, cette gentillesse naturelle mais qui pourrait un jour "lui jouer des tours". "Une agressivité, même surjouée, peut faire la différence dans un combat dur, le jour où il rencontrera un combattant d’un niveau similaire." Mordu de son sport et de Muhammad Ali, l’ancien coach de Gane prend du plaisir devant le striking de son ancien élève, ses déplacements, sa capacité à ne pas prendre trop de coups, son travail au corps-à-corps avec ses projections typiques muay-thaï pour envoyer l’autre au sol, sa gestion de la distance, son débit de coups. Heureux de voir son style à l’inspiration claire. "J’aime la façon dont Ciryl combat car j’aime le muay-thaï."
Celui du Vendéen vient de chez lui, façonné du côté de Puteaux. "Je le préparais comme un moins de 71 kilos, pas comme un poids lourd. Il faisait les mêmes accélérations et les mêmes fractionnés que des gens bien plus légers. Pareil aux paos. J’exigeais qu’il boxe comme un poids léger car j’avais envie qu’il ait une boxe efficace mais belle à voir en même temps." Xavier Séverin ne s’en cache pas: voir l’entourage du combattant ou les médias évoquer un Ciryl "né au MMA Factory" le titille un peu. "L’histoire est plus belle quand on dit que Francis et Ciryl viennent de la même équipe. Mais la réalité, c’est qu’il a commencé chez nous. Forcément, c’est vexant, blessant. Je n’accepte pas beaucoup d’interviews car je ne veux pas interférer dans sa carrière mais sans vouloir tirer la couverture à nous, il faut aussi rendre à César ce qui lui appartient. Fernand Lopez aurait plutôt dû dire qu’il a été adopté. (Rire.)"
En empruntant la route MMA, son ancien élève a fait du chemin. Et le voyage a payé pour celui qui devait parfois quitter son boulot de vendeur de meubles au milieu de sa journée pour les pesées de ses premiers combats de muay-thaï. "Quand Ciryl boxe la première fois et que je lui remets une prime de classe C, de mémoire 50 ou 100 euros, pour lui c’était déjà énorme: 'Ah ouais, je boxe et je touche de l’argent'. Alors imaginez ce qu’il doit penser aujourd’hui avec ce qu’il touche…" Xavier Sévérin reste "toujours en contact" avec Gane. Mais le fil s’est distendu, logique de l’éloignement. "Au début, après ses premiers combats de MMA, on faisait un débrief. On se parle un peu moins aujourd’hui car il a moins le temps, et je peux le comprendre."
Comme en MMA, son ancien coach ne l’a "jamais vu dans le rouge en combat". Mais comme au MMA Factory, il l’a déjà vu être malmené à la salle. "Je l’ai vu à ses débuts donc forcément, sourit-il. Mais c’est quelqu’un de sérieux, professionnel, qui se remet en question, donc c’est quelque chose qui le galvanise. Il se dit qu’il fera mieux la prochaine fois." Avec des armes qui poussent encore le technicien à l'analyse. "Je me souviens d’un débrief où je lui avais demandé pourquoi il avait boxé tout le combat en gaucher, et il m’avait répondu qu’il était blessé, car j’étais choqué de le voir tout le temps comme ça alors que je considère qu’il fait beaucoup plus mal en droitier." Xavier Séverin devrait regarder le combat "avec tous les coaches du PST, après un bon repas". S’il triomphe, "Bon Gamin" aura sans doute une pensée pour lui. Ce respect bien dans sa nature. "C’est le seul qui m’a toujours appelé ‘Coach’ alors que les autres m’appellent 'Xav'."