Roland-Garros: quand le tennis déprime

La plupart des joueurs qui participent à Roland-Garros ont un compte en banque bien rempli. Ils ne sont pas à plaindre par rapport aux salariés dont les boîtes sont en danger. Mais en sondant certains, on sent de plus de plus, depuis la reprise du circuit, poindre une petite musique lancinante.
Le burn-out n’est pas loin. Ces derniers jours, il y a eu la colère rentrée des joueurs disqualifiés. Mais ceux qui ont foulé la terre battue lourde de Roland-Garros évoquent l’absence de plaisir. Les contraintes - hôtel-stade et basta – , le stress des tests, les matches sans spectateurs, tout cela pèse énormément dans la tête.
Eliminé dimanche sur le Philippe-Chatrier, David Goffin figure parmi les plus atteints psychologiquement. "C’était un refus de passer l'obstacle, a confié le Belge après sa défaite face à Jannik Sinner. Il va falloir prendre des décisions pour la suite de la saison, qui clairement, dans cette situation, va être très longue." Plus tard, quand on lui a prononcé le mot "déprime", il n’a pas levé les yeux au ciel, loin de là.
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Chardy: "Cela devient un boulot"
"C'est un peu cela, dit-il d’une petite voix. On est un peu inquiet dans tout, que ce soit pour nos proches, pour la vie privée, de comment s’entraîner. Et dès que l'on doit se mettre à voyager, on est aussi dans le stress de savoir comment cela va se passer. Dès qu’on arrive, avec tous les tests, on sait qu’il y a des joueurs qui sont disqualifiés pour aucune raison dans chaque tournoi. On prie pour que ce ne soit pas sur nous, un faux test positif. Déprime, c'est un peu dur comme mot, mais une petite démotivation."
Jérémy Chardy, lui, ne cache pas qu’il vit très mal la situation. Battu dimanche au premier tour par l’Autrichien Jurij Rodionov dans un Lenglen glacial et désert, il n’est pas loin de mettre un terme à saison. "C'est vraiment difficile cette période, confie le Palois. Au retour de New York, je n'ai pas pu voir ma famille (NDLR: son épouse et son bébé résident à Londres). Ils sont venus ici, cela faisait plus d'un mois que je ne les avais pas vus. D'habitude, j'adore jouer au tennis, j'adore être en tournoi. Là, cela devient vraiment un boulot. J'ai du mal à m'entraîner, je ne prends pas du tout de plaisir sur le court à l'entraînement, en match."
Ravioli attend les papouilles de Benoît Paire
Un spleen partagé par Benoît Paire qui vient de vivre un mois terrible. Contrôlé positif au Covid-19 avant le début de l’US Open, confiné dix jours dans sa chambre à Long Island, il a pu jouer à Rome et à Hambourg. Et pourtant, en Allemagne, il a de nouveau été positif ! Arrivé à Paris, il a eu la hantise d’être disqualifié.
"J'ai fait mon test et puis j'ai eu un appel de Bernard Montalvan (NDLR : le docteur de la FFT) qui m'a dit: 'Tu es négatif'. J'étais content mais pas euphorique. Ce Roland n'est pas pareil. D’habitude je suis avec ma famille, avec mes amis. Je suis très heureux quand je suis à Paris, je me fais des petits restaurants. Là, devoir être enfermé dans la chambre encore ou au club et pas pouvoir partager ces moments avec le public c'est quelque chose de difficile. Si je perds je rentrerai, je verrai mon chien, je verrai ma famille et puis je serai content aussi. C'est comme cela."
Ravioli (NDLR: son labrador chocolat) aura donc droit à de grosses papouilles quand son maître aura été éliminé. Des câlins, c’est également ce que Caroline Garcia a pu partager avec ses parents lorsqu’elle les a retrouvés il y a une semaine en Espagne, à Alicante, son pied à terre ensoleillé. "A vrai dire, cela m'a fait beaucoup de bien de simplement les serrer dans mes bras parce qu'avec tout cela, le contact physique, ce n'est pas trop cela. Des fois on se sent un peu seul", a-t-elle dit.
L’ultimatum de l’Open d’Australie
Dans un sport où les défaites s’accumulent toutes les semaines, il faut avoir une solide carapace. A 21 ans, Elliot Benchetrit est plein de fougue. Mais cette période n’est pas aisée quand on navigue au-delà de la 200e place mondiale. “Se dire qu’on joue dans des conditions dures, sans public, sans rien, c'est presque démoralisant”, avoue-t-il. Avec son classement, il ne sait pas dans quel Challenger il pourra rejouer car les listes d’inscription sont hyper relevées.
Dans cette période morose, le "coup de grâce" a été porté par Craig Tiley. Dans une lettre adressée aux joueurs, le directeur de l’Open d’Australie a rassuré sur la tenue du Grand Chelem. Mais une quarantaine stricte sera appliquée et il est fortement conseillé aux joueurs d’arriver en Océanie avant le 14 décembre !
"Oui, j’ai vu ça, a commenté, fataliste, Jérémy Chardy. En plus, certains disent que pendant deux semaines, tu dois rester dans ta chambre. Après, peut-être qu'ils vont nous enfermer encore deux semaines avant de repartir ! Je n'en sais rien. En plus, ils n’ont pas de cas positifs…"
Le Français garde un peu d’humour mais l’hiver va être bizarre. Habituellement, les joueurs fêtaient Noël en famille avant d’entreprendre le long voyage. Le covid-19 bouleverse toutes les habitudes des tennismen. Et ça ronge les cerveaux.