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Tennis: Alizé Lim, le témoignage poignant d'une HPI sur le court

Dans un premier ouvrage singulier sorti ce mercredi, intitulé Éloge de l’inconditionnel (éditions Vuibert), la joueuse de tennis Alizé Lim (30 ans) se livre à coeur ouvert sur les difficultés de vivre au quotidien avec un Haut Potentiel Intellectuel, a fortiori dans un sport qui confronte le joueur à mille questionnements. Depuis San Antonio où elle séjournait, la Française a accepté de nous en parler, sans détours.

Alors que la série HPI ne cesse de battre des records d’audience sur TF1, la joueuse de tennis Alizé Lim (30 ans), également présentatrice à la télévision, raconte dans son premier livre Éloge de l’inconditionnel (éditions Vuibert) son quotidien de zèbre, autrement dit de femme à haut potentiel intellectuel (HPI). C’est depuis la résidence de Tony Parker, son compagnon, à San Antonio, que la Française a accepté de répondre à nos questions, à un horaire très matinal pour elle, compte tenu du décalage horaire, mais avec les idées claires. Rencontre.

Alizé Lim, pouvez-vous nous donner la genèse de ce projet, et comment il a mûri dans votre esprit ?

C’est venu d’une volonté de partager sur le tennis. Je remarquais que j’avais un grand nombre de conversations avec des sportifs et des non sportifs qui, à chaque fois, s'étonnaient quand je leur racontais les dessous du tennis et le fonctionnement, même des sportifs de haut niveau. Je ressentais comme une volonté de partager et même un sentiment d’injustice, qu’on ne sache pas, qu’on ait une mauvaise vision de ce sport, des a priori ou des jugements, qu'on puisse penser que tout est glamour, tout est beau, qu’on voyage et que c’est génial. Je me demandais sur quel support construire, je pensais à la vidéo. Je parlais avec les chaînes de télévision avec lesquelles je travaillais pour éventuellement partager sur le fonctionnement du tennis. Je voyageais, je n’avais pas le temps de tout faire. Et surtout, dans ces cas-là, j’aurais dû filmer d’autres personnes pour illustrer mes propos. Le plus simple, pour ne dépendre de personne, c’est d’écrire. La seule différence, c’est qu’il va falloir que je parle de moi. Et en fait, en débutant mon récit, j’ai commencé à écrire sur mon enfance de HPI. Je pense que j’avais lu tellement de biographies à ce sujet que ça avait dû mûrir à l’intérieur de moi, naturellement, sans que je m’en rende compte. Petit à petit, j’ai réussi à mêler le tennis à ce sujet.

Sur quoi vous êtes-vous basée, des notes, des souvenirs que vous avez fait ressurgir, des discussions avec votre entourage, pour reconstituer tout ça ?

C’est parti de tous ces points que je voulais aborder. Par exemple, je voulais montrer que c’est compliqué de voyager 40 semaines avec un coach, c’est compliqué de devoir tout financer… Je listais tous ces points et je me disais: ‘ok, dans mes souvenirs et dans mon histoire, qu’est-ce que je vais prendre comme éléments ?’ Parce que j’ai un milliard de souvenirs, j’ai voyagé pendant dix ans. Tu peux seulement imaginer le nombre d’anecdotes que je peux raconter. Je me suis dit: ‘je vais prendre telle dispute, tel voyage pour illustrer tel point’. J’ai fait comme ça pour le tennis. Je savais que je voulais un ordre chronologique. Pour que les gens comprennent bien, je voulais aussi qu’ils découvrent tout cela à travers mes yeux à moi. J’avais envie de plonger le lecteur dans mon vécu. J’ai pris des notes là-dessus, j’ai catégorisé les souvenirs que je voulais recenser pour illustrer les propos sur le tennis. Et pour le tennis, effectivement, c’était un peu le même fonctionnement. Je voulais aussi lister certains aspects et certaines caractéristiques de l’enfance surdouée. Les gens ne le savent pas forcément, mais c’est parfois la compréhension littérale qui pose des problèmes. Par exemple, je parle du ski où un enfant ne va pas comprendre l’implicite en fait, dans certaines phrases, ça va créer de l’incompréhension. J’ai remis dans l’ordre chronologiquement, et pour cela, forcément, j’ai dû me plonger dans mes cahiers d’écriture, dans mes agendas, pour rester fidèle à la chronologie. J’ai tout remis dans l’ordre avec des notes.

Dans ce livre, vous parlez de "manège multi identitaire". Était-ce aussi cela votre vie de zèbre, changer de peau pour passer inaperçue parfois, et se mouvoir parmi les autres, qui ne pouvait pas partager votre univers, ni comprendre ce qui se jouait en vous ?

Effectivement, et ça se faisait de manière très inconsciente parce que je n’avais pas conscience de tout ce que le fait d’être surdouée pouvait engendrer. J’avais passé des tests et on m’avait parlé de ce terme-là. Mais j’ai découvert après, en fait, quand j’avais 26 ans. Et là j’ai compris pourquoi je me comportais de cette façon quand j’étais petite. Ce manège identitaire était très marqué chez moi à l’adolescence, quand je suis rentré au Tennis Club de Paris. J’avais le sentiment d’une double vie, mais ça se faisait très naturellement. Avec les personnes que je côtoyais, je me transformais en une personne différente. L’assemblage de tous ces personnages que j’étais, selon le milieu, les gens que je fréquentais, me créait un équilibre.

Il y a des gens qui fuient ce qu’ils sont, pour tout un tas de raisons, mais pas vous. On a le sentiment que vous avez cherché par tous les moyens à exister en tant que zèbre plus jeune, et à revendiquer tous ces aspects qui font de vous ce que vous êtes. Est-ce devenu un dilemme ?

C’est très fréquent, chez les filles surtout, de mettre en sourdine leur particularité, et de s’adapter à un point extrême, jusqu’à renier son fonctionnement et sa particularité, ce qui n’a pas été mon cas. Mais c’était encore une fois très inconscient. Même si j’essayais, et c’est un peu ce que j’essaye de décrire dans mes premiers souvenirs du tennis, quand j’arrive sur le circuit et que je prends la porte avec tous mes essais de curiosité qui, finalement, me pénalisent. J’ai beau essayer de toutes mes forces de rentrer dans un moule, je n’y arrivais pas, que ce soit au tennis, ou à l’école au début. Je ne vais pas tout raconter, mais nombre de blessures ont été liées au fait que j’ai fait des bêtises qui, finalement, ne m’étonnent plus aujourd’hui, depuis que je comprends mon fonctionnement. Ce n’était pas de la revendication, mais le naturel qui prenait le dessus à chaque fois, en fait.

Votre hypersensibilité a posé des difficultés dans un sport comme le tennis, qui réclame de la stabilité émotionnelle. On peut vite perdre pied. Avez-vous jamais réussi à contrôler cet aspect de votre personnalité ?

C’est un fonctionnement qui sera toujours là. Si je vais jouer au tennis maintenant, ce sera exactement pareil. La seule différence, c’est que, en connaissance de cause, je pourrais éventuellement moins me frustrer au moment où ça arrive, parce que je saurais pourquoi ça arrive. Il y a l’hypersensibilité, mais il y a aussi l’arborescence des pensées. Comme un petit singe qui saute de branche en branche, je vais passer d’une pensée à l’autre, et ça va foisonner. Même si je n’en ai pas du tout envie, parce que j’ai surtout envie d’être concentrée sur ce qui se passe sur le court. Et ça va m’emmener dans des espaces temps qui n’ont rien à voir avec ce que je suis en train de faire. Je vais moins me sentir coupable parce que je sais d’où ça vient. Je vais essayer de le gérer différemment, mais je ne vais pas pouvoir le stopper. Je n’y suis jamais parvenu. La seule chose que j’ai pu faire, depuis un an et demi, c’est de jouer avec des boules quies. On a essayé avec mon coach. Quand je finissais un entraînement, j’avais l’impression d’avoir dépensé 80% d’énergie en moins que lorsque je n’en mettais pas. Après, ça peut aussi avoir tendance à me mettre complètement dans mon monde. Parce qu’il y a aussi un avantage à absorber les émotions extérieures, celles de ton adversaire. Du coup, j’étais extrêmement centrée sur moi, et au tennis, tu joues quand même en fonction de l’autre, donc il peut y avoir des retours de bâtons. Tu ne sens pas l’autre, et donc tu ne peux pas t’ajuster. Je n’ai pas vraiment réussi à le canaliser. L’accepter va peut-être aider à ne pas partir dans trop d’extrêmes, dans certains cas.

La série HPI, qui cartonne sur TF1, a mis un coup de projecteur sur cette singularité. Qu’en avez-vous pensé ?

C’est très caricatural, et à la fois, en ligne de fond de tout ce que je vais dire, je trouve ça génial que cette série existe parce que ça met un coup de projecteur sur cette particularité. Et en plus de cela, il y a un côté très tabou avec cette particularité, on n’en parle pas facilement. Moi-même, ça me fait bizarre d’en parler comme ça. Il y a un mois, je n’en parlais même pas à mes proches, à part mes parents, mon copain, et ma meilleure amie. Et là, d’un coup, le fait d’en parler ouvertement, c’est très étrange. Cette série donne aussi un support pour en parler au grand public, sans en avoir peur. En revanche, si je devais expliquer à quelqu’un ce que c’est, je ne lui dirais pas d’aller voir la série HPI. Je lui dirais de lire un livre, un témoignage, de se rendre à une conférence sur le sujet. Ils n’ont pas développé l’hypersensibilité, on ne la voit pas trop en dehors de son métier. On ne voit que sa fulgurance de pensée dans le cadre de son métier. Plus les épisodes avancent, et plus j’ai l’impression qu’ils se sont servis de ça pour créer un personnage de comédie. Et pour pouvoir en faire un personnage déjanté, un peu décalé, un peu drôle. J’ai l’impression que la série ne parle plus tellement de haut potentiel.

Elle a subi pas mal de critiques de la part de surdoués qui ne se sont pas reconnus dans le personnage joué par Audrey Fleurot. Et vous ?

L’important c’est de casser ces clichés. Ce n’est pas quelque chose en plus, ce n’est pas de l’intelligence en plus, c’est juste différent. C’est un fonctionnement différent, qui peut être très pesant, très envahissant. Et c’est vrai qu’on ne le voit pas trop chez elle. On a l’impression qu’elle appuie sur un bouton, et que, seulement quand elle a besoin de trouver les indices, elle va pouvoir appuyer sur ce bouton. Sauf qu’on ne voit pas que tout le reste du temps, ce qu’elle fait là, c’est en permanence, elle ne peut pas l’arrêter. Normalement, tu ne peux pas l’arrêter. Quand tu parles à quelqu’un, ça va t’envahir. Quand elle va entrer dans le bureau avec ses collègues, elle va assembler mille trucs sur les relations humaines, sur le stylo qui est posé à cet endroit, comment était habillé son collègue la veille, etc… dans ces cas-là, ça peut être envahissant. Et ce n’est pas du tout mis en lumière, on a l’impression que ce n’est que quand ça l’arrange. On peut en tirer des choses merveilleuses, mais ce n’est pas un atout. C’est un challenge de tous les jours pour en arriver là.

Le tennis vous a-t-il permis de vous épanouir à travers d’autres aspects que celui de la compétition, qui sont la confrontation à d'autres cultures, les voyages, les rencontres ?

Par tous les biais, même celui de la compétition. J’ai l’impression que si je n’avais pas joué au tennis, j’aurais mal tourné. C’était la chose la plus difficile pour moi, ça m’a permis de me concentrer avec toute mon attention et toute mon énergie quotidienne, mon mode de vie également. Toute ma volonté a été concentrée là-dedans, ça n’a jamais laissé place à l’ennui. Je pense que j’aurais pu glander en cours, ne pas m’intéresser à savoir ce que je veux faire, sauter de métier en métier. Quand je dis “mal tourner”, c’est ça. Je n’aurais pas pris de la drogue, ni sombré dans l’alcool et la dépression (rires). Le tennis, c’était une ligne de conduite dont je ne pouvais pas me détacher. En ça, c’était vraiment enrichissant, et ça m’a cadré malgré moi. C’était un moyen incroyable d’assouvir ma curiosité, parce que ce n’est jamais acquis, jamais fini, toujours nouveau. Un match en appelle un autre, même au cours d’un match, ce n’est jamais terminé. Les voyages sont sans cesse renouvelés, avec plein de destinations différentes. C’était génial et très adapté pour moi.

Avez-vous des regrets sur la gestion de vos projets plus jeune, lorsque vous poursuiviez des études en parallèle, et que vous ne vous rendiez pas forcément compte de ce qu’impliquait la gestion d’une carrière de joueuse de haut niveau ?

Je l’ai pensé à un moment donné, quand j’étais dans le feu de l’action, et que j’avais cette volonté, vers 25-26 ans. ‘Si seulement j’avais commencé plus tôt, si seulement j’avais eu tel coach, et commencé professionnellement tout de suite, si on m’avait poussé.’ Je le pensais tellement fort, mais bon, à un moment donné, c’est comme ça. Et puis, je pense que le parcours que j’ai eu avant m’a aussi enrichi différemment pour pouvoir arriver où je suis allée, donc on ne peut pas détacher des choses qu’on a réussi du reste et du passé. Je porte un regard très bienveillant sur ce que j’ai fait. J’ai une certitude, c’est qu’à chaque instant de ma carrière, j’ai donné tout ce que j’ai pu. J’ai vraiment rassemblé toutes mes forces pour trouver des solutions. Ensuite, ça a pris le temps que ça a pris pour comprendre comment le monde professionnel marchait, comment il fallait se façonner pour devenir professionnelle. Mais je suis aussi humaine, et je n’aurais pas pu le deviner en trois jours (rires). Je ne peux pas m’en vouloir, je n’ai jamais cessé de chercher.

Avez-vous tiré un trait définitif sur la compétition ? Souhaitez-vous consacrer désormais exclusivement à d’autres activités, comme l’animation d’émissions à la télévision ?

Je n’ai pas envie de tirer un trait sur le tennis de compétition, j’adore toujours autant ça, l’adrénaline. La compétition me manque aujourd'hui parce que je n’ai pas joué de match depuis un certain temps. Je suis arrivée dans une période où j’ai tellement envie d’essayer d’autres choses, que je n’arrive plus à dire non à toutes les autres choses par lesquelles je me sens appelée et qui sont des nouvelles expériences. Avec le tennis, je sais ce qui m’attend. Ma curiosité est moins assouvie à ce niveau-là, mais mon adrénaline si. Naturellement, toutes les autres activités prennent le dessus, mais sans que j’ai envie de mettre le tennis au placard.

Qu’est-ce qui vous passionne aujourd’hui dans ce sport ?

De m’imaginer sur un court à 5-5, 40A au troisième, c’est difficile à remplacer. Après, franchement, me réveiller avec la boule au ventre quand je fais mon sac avant de partir, beaucoup moins. Mais le combat, le dépassement de soi, quand il fait chaud, que ça fait deux heures trente que tu es sur le court, que tu as mal aux jambes, que tu vas puiser dans tes ressources. Et que c’est un accomplissement personnel, que c’est toi et toi-même, que t’es obligée de repousser tes limites, que tu n’as pas le choix, que tu gagnes après avoir vécu tout ça à la fois, c’est incomparable.

Dans votre expérience du haut niveau, vous avez aussi touché les limites de la formation fédérale. Tout le monde ne s’épanouit pas dans ce cadre. Et votre exemple est encore plus flagrant, forcément, quand on lit votre récit. Qu’auriez-vous à dire à ce sujet aujourd’hui, leur conseilleriez-vous de revoir leur approche ?

Ce n’est pas un combat que j’ai envie de mener. Je pense effectivement qu’ils ont changé. Je pense que c’est beaucoup plus individuel aujourd’hui, pour m'être pas mal entraînée avec des joueuses du CNE. Je pense qu’ils le savent. Je ne sais pas pourquoi ils n’arrivent pas, pourquoi c’est si différent du privé. J’ai le sentiment qu’ils ont évolué. Il ne faut pas oublier que c’est un sport individuel et qu’on ne peut demander la même chose à tout le monde. Les filles fonctionnent différemment, ont des besoins différents, peut-être des quantités d’entraînement différentes. Et ça, il faut le prendre en compte. Ce n’est pas parce qu’elles ont 17 ans qu’il faut les forcer et se dire, elle veut faire différemment, donc c’est une mauvaise élève. Il faut prendre ces besoins en compte et faire confiance aux filles lorsqu’elles se connaissent et qu’on a l’impression qu’elles ont la maturité de se connaître. Apprenons à les connaître, ou alors apprenons-leur à se connaître, mais il ne faut pas leur imposer des choses parce que ça a marché avec d’autres personnes, ou parce que c’est la vision de la Fédération.

Martina Hingis, pouvez-vous nous en parler ? Ce n’est pas tous les jours qu’on se lie d’amitié à ce point avec une telle légende. Qu’est-ce qui vous a rapproché ?

C’était mon idole quand j’étais petite, je n’allais pas la lâcher comme ça (rires). C’était le début du coaching pour elle, elle avait très envie d’entraîner, d’apprendre ce qu’elle savait faire, de transmettre sa façon de jouer au tennis, en appui ouvert, couper les trajectoires, prendre la balle très tôt. J’étais tellement avide de connaître ses secrets et sa façon de faire que j’étais une très bonne élève. Mon gabarit et mon tennis s’y prêtaient. C’était génial pour toutes les deux, j’essayais de faire un espèce d’effet miroir. On a joué de plus en plus ensemble, c’était hyper intéressant pour moi. J’ai pu assister à son retour en double.

Êtes-vous restées en relation toutes les deux ?

Oui, on s’écrit de temps en temps. La vie fait qu’on va moins se parler. Elle a un enfant, elle fait sa vie, elle n’est plus trop dans le tennis aujourd’hui, et moi aussi je fais mes trucs, mais on prend des nouvelles de temps en temps. Mais on ne va pas parler tennis, non. Elle va plus m’envoyer des photos de sa fille ou des choses comme ça maintenant (rires).

https://twitter.com/qmigliarini Quentin Migliarini Journaliste RMC Sport