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"C'est un fait marquant pour notre sport": la skipper Alexia Barrier se lance dans un tour du monde avec un équipage 100% féminin

La skipper Alexia Barrier en 2021

La skipper Alexia Barrier en 2021 - JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Alexia Barrier, skipper depuis 20 ans, se lancera cet hiver dans un tour du monde dans l'espoir de décrocher le trophée Jules-Verne. Pour tenter de battre un record inégalé depuis huit ans (40 jours et 23 heures), elle a décidé de s'appuyer sur un équipage exclusivement féminin. 

Alexia, pourquoi avoir décidé de partir avec un équipage 100% féminin ?

Depuis la création du trophée Jules-Verne, depuis 30 ans donc, seulement 14 femmes y ont participé. Sur 250 marins. C’est ce chiffre qui m’a confortée dans l’idée de partir avec un équipage exclusivement féminin. On a des athlètes internationales féminines de très haut niveau qui n'ont pas accès à ce type de bateau, les multicoques. Donc c'était l'occasion pour moi aussi d'embarquer dans l'aventure les meilleures athlètes de la planète. On est un équipage international de sept femmes qui ont entre 23 et 52 ans, avec six nationalités représentées. Ma co-skipper, Dee Caffari, est une légende de la voile. Elle a fait six fois le tour du monde en course. C'est la seule femme qui a fait le tour du monde à l'envers et à l'endroit sans escale, sans assistance, en solitaire. C'est juste dingo ! On a un palmarès à bord incroyable.

Vous espérez battre un record ?

Le record à battre est de 40 jours et 23 heures. Il a été établi en 2017 par Francis Joyon et son équipage à bord de l’IDEC Sport, qui est le bateau sur lequel on va partir cet hiver. Donc ça, c'est un bon présage ! C'est le seul au monde qui a gagné trois fois la Route du Rhum, et trois fois le trophée Jules-Verne. Il n'y a que six bateaux comme ça sur la planète. Et être skipper de ce bateau, c'est juste dingo ! Et en plus, en tant que femme, ça n'existe pas. Il n'y a jamais eu de femme skipper d’un tel engin. Donc c'est vraiment une chance !

Ça fait huit ans que ce record n’a pas été battu, selon vous, pourquoi est-il si difficile à battre ?

Je pense qu'il y a, d'une part, un peu de chance au vu de la météo. Il faut dire que l'équipe de Francis Joyon a très bien joué le match avec une météo fantastique. Je ne sais pas si, un jour, on aura la chance, notamment dans l'océan Indien et Pacifique, où c'est la partie la plus longue du record, d'avoir les mêmes conditions météo. Ils n'ont quasiment pas manœuvré. Et ça, c'est exceptionnel. Et d'autre part, d'un point de vue technologique, aujourd'hui, les bateaux qu'on appelle ultimes, ces trimarans de 32m de long, 23m de large, ne sont pas arrivés à la maturité de leur développement et de leur fiabilité. En général, ils cassent avant de pouvoir terminer. Mais nous, on a ce bateau de légende. C'est un coffre-fort. Il est moins récent. Il est moins hautement technologique, mais il est costaud.

Le symbole est important, aussi ? 

Oui. Ce n'est pas qu'une histoire de record et de temps, c'est aussi inspirer les jeunes générations, ceux qui pensent que ce n'est pas du tout fait pour eux, qu'ils n'y arriveront jamais, que c'est impossible, que c'est comme d'aller marcher sur la lune... Nous, on est là, on part cet hiver ! Rien que le fait d'être sur la ligne de départ, en tant que femmes, c'est déjà un fait marquant pour notre sport. Et quand on aura bouclé le tour du monde, on aura établi un temps de référence féminin. Et pourquoi pas aller chercher le trophée Jules-Verne après. On sait d'où on vient, on sait quand on a démarré, on reste humbles, on a le meilleur bateau de la planète, on a des supers athlètes à bord. Mais il nous faut du temps pour progresser. Donc on va se donner à fond pour arriver le plus proche possible du temps de référence. On veut inspirer les personnes qui nous suivent, les jeunes générations, mais aussi les plus âgées, l'idée c'est de donner envie aux gens d'oser, de se lancer. On ne sait pas ce qu'il va se passer demain, la météo est incertaine... Mais se mettre en mouvement et essayer de réaliser ses rêves, c'est le message qu'on essaie de porter. 

C'est important pour le sport féminin ? 

C'est essentiel que le sport féminin évolue, que le sport féminin ait des moyens financiers pour se professionnaliser. En France, on est peut-être un peu en retard par rapport à d'autres pays anglo-saxons, mais on voit aux Etats-Unis que, dans certains sports, les athlètes féminines réussissent à avoir les mêmes salaires que les hommes. Je ne vais pas parler des salaires dans la voile, mais on est hyper en retard, on est encore souvent très précaires en tant que femmes, donc ça c'est inacceptable, mais je parle du sport, le sport c'est un bon vecteur pour faire passer des messages, pour montrer l'exemple.

Propos recueillis par Camille Beaurain