RMC Sport

Un Vendée Globe sous immunothérapie: comment Charlie Dalin a réussi l'exploit de s'imposer malgré son cancer

Charlie Dalin soulevant le trophée du Vendée Globe 2025

Charlie Dalin soulevant le trophée du Vendée Globe 2025 - Sébastien Salom-Gomis

Dans un ouvrage à paraître ce jeudi aux éditions Gallimard et intitulé La force du destin, Charlie Dalin révèle qu’il a remporté le Vendée Globe le 14 janvier dernier alors qu’il souffre d’un cancer gastro-intestinal diagnostiqué en septembre 2023. Un combat que le marin de 41 ans, pudique et réservé, a souhaité garder secret pendant tous ces derniers mois. À l’occasion de la sortie de son ouvrage, le navigateur s’est livré sur sa course et sa maladie pour RMC Sport.

"Tumeur, cancer... Ce ne sont pas des mots qui sont faciles à sortir". Neuf mois après son tour du monde victorieux, Charlie Dalin doit toujours faire face à une terrible réalité et les mots ne sont pas plus faciles à prononcer. A 41 ans, le vainqueur du récent Vendée Globe souffre d’un cancer contre lequel il lutte et qui l’oblige à mettre entre parenthèses sa carrière de marin.

Ce secret, il l’a bien gardé. Depuis près de deux ans, le navigateur mène un double combat, sur mer et à terre. Quelques jours avant le départ de la Transat Jacques Vabre 2023, Charlie Dalin a ainsi appris qu’il avait une tumeur. Laure Jacolot, médecin du sport qui a suivi les marins lors du dernier Vendée Globe, connaît le Havrais depuis son arrivée au Pôle Finistère Course au large. "Huit jours avant le départ de la Transat Jacques Vabre, Charlie me demande de le voir pour un problème ostéo-articulaire, une douleur mécanique, explique la praticienne. Évidemment je le reçois rapidement mais quand il vient me voir en consultation, je remarque qu'il a beaucoup maigri. Il me dit qu'il a des problématiques au niveau de l'état de santé, et pas qu'une douleur articulaire. On réalise donc des examens en urgence dans l'heure qui suit la consultation et qui permettent de découvrir une pathologie grave".

Malgré le choc de la nouvelle et afin de maintenir ses chances de qualification à un an du Vendée Globe, Charlie Dalin coupe tout de même la ligne de départ de la Transat au Havre mais revient immédiatement au ponton afin de réaliser des examens complémentaires.

Une tumeur gastro-intestinale de 15cm

"Quand on m'a annoncé que j'avais une tumeur, j'ai eu un choc, se souvient le marin. Mais quand on a fini par me dire la taille, j'ai repris un deuxième coup de massue sur la tête. Un pamplemousse dans le ventre, ce n'est pas rien". Seuls quelques proches, dont son épouse Perrine et son fils Oscar, sont au courant en plus du personnel médical qui va mettre en place le protocole de soin, une immunothérapie.

L’objectif est aussi de permettre à Charlie Dalin d’être au départ du Vendée Globe, le 2 novembre 2024. "On m'a appris qu'il y avait un traitement, poursuit le navigateur. Un médicament pour réduire la tumeur. C'était une bonne nouvelle, mais je ne savais pas si ça allait fonctionner sur moi. Il y a aussi une liste interminable d'effets secondaires. Mais assez rapidement, j'ai pu arrêter les antidouleurs et j’ai vu que ça fonctionnait. J’ai repris les 4-5 kilos que j'avais perdus les mois précédents".

Charlie Dalin reprend donc la mer. Il termine dans le doute The Transat CIC à la quatrième place début mai avant de se rassurer en remportant brillamment la New-York-Vendée le mois suivant.

Le départ du Vendée Globe, "un jour de fête"

Reste que le Vendée Globe, par sa durée et sa difficulté, ne boxe pas dans la même catégorie que ces courses. Mais ce défi n'effraie pas le corps médical. "Quand le Professeur Le Cesne à Paris m’a dit que d'autres sportifs de haut niveau prenaient ce traitement et arrivaient à continuer leur carrière, il y a vraiment eu ce soulagement de pouvoir faire ce Vendée Globe".

Un feu vert qu’attendait également Laure Jacolot. "À partir du moment où l’oncologue s'est engagé sur la possibilité pour Charlie de participer au Vendée Globe, j'ai signé sa fiche médicale pour qu'il puisse prendre le départ de cette course. La médecine n'est pas une science exacte. On n'a jamais de certitudes. On doit composer avec nos connaissances scientifiques mais aussi avec celle du patient. Je me suis basé sur cette relation de confiance avec Charlie. Je savais qu’il ne laissait rien au hasard dans sa préparation physique et mentale et qu’il ferait tout pour que ça se passe le mieux possible. J'avais aussi vu Charlie avant le départ du Vendée Globe pour être sûr que tout allait bien puisqu'il y avait quelques inquiétudes liées à certains symptômes. Et puis il est parti".

Charlie Dalin au départ du Vendée Globe 2025
Charlie Dalin au départ du Vendée Globe 2025 © Mathieu Rivrin / Hemis.fr

Le 2 novembre, Charlie Dalin coupe la ligne de départ avec pour objectif de revenir aux Sables-d'Olonne en vainqueur. "C’était vraiment un jour de fête pour moi, se souvient le navigateur. De pouvoir être au départ de la course, c'était déjà une réelle victoire. J'étais dans un état d'esprit plus déterminé que jamais, mais aussi vraiment détendu. Rater une course ce n'est pas grave, il y a pire dans la vie. Ça me permettait de pas mal relativiser les enjeux et de partir vraiment sans aucune pression".

Alarme, pilulier, boîtes de rechange...

Avec son préparateur mental Jean-Pascal Cabrera, Charlie Dalin a mis des outils en place pour le double défi qui l’attend. "On a amené un peu plus de spiritualité dans ma façon de naviguer, explique-t-il. J’ai relativisé un peu les enjeux. Cette course m'a aussi permis de penser à autre chose".

En plus de la gestion de la compétition, le marin ne doit pas oublier son traitement. "J'étais organisé avec une alarme qui sonnait tous les jours pour prendre le médicament, se souvient le Havrais. J’avais mon pilulier pour être sûr de ne pas le prendre deux fois ou l’oublier. Il y a une petite organisation autour de ça. De temps en temps, j'avais quelques douleurs qui revenaient, mais j'arrivais à les chasser mentalement et à me reconcentrer sur la course".

Dans son livre intitulé La force du destin, Charlie Dalin laisse peu de place à "cet intrus" comme il le nomme, et aux effets secondaires du traitement. Il se concentre sur son objectif majeur. "Sa rigueur l'a beaucoup aidé, explique Laure Jacolot. Ces alarmes, c'est ce que mettent en place tous les patients. Charlie a tout mis en œuvre pour que ça se passe bien. Il avait même amené plus de médicaments que ce dont il avait besoin si un sac prenait l'eau". Après une lutte acharnée, 64 jours et 19 heures de combat, le Havrais remporte la dixième édition du Vendée Globe.

Charlie Dalin vainqueur du Vendée Globe 2025
Charlie Dalin vainqueur du Vendée Globe 2025 © Mathieu Rivrin / Hemis.fr

La victoire et le secret

Revoir les images de l’arrivée de Charlie Dalin le 14 janvier au large des Sables-d’Olonne, tout en connaissant le secret qu’il gardait précieusement caché avec sa garde rapprochée, offre une autre grille de lecture. Le lâcher-prise du Normand, qui va jusqu’à embrasser son bateau, n’est pas dans les habitudes du garçon. "C’est la victoire de ce monument de la course au large, avec le record, et aussi une victoire contre cette maladie qui me suit sûrement depuis des années, explique le marin. J'ai peut-être même fait mon premier Vendée Globe avec, vu la taille de la tumeur. Les médecins ne sont pas capables de dire depuis quand elle était là, mais ça se compte en années. Je pense que j'ai fait beaucoup de courses avec, avant qu'on la repère".

Si son oncologue souhaite que Charlie Dalin annonce sa maladie au moment de sa victoire, le marin hésite avant de finalement garder "l’intrus" caché pour ne pas faire d’ombre à l’exploit purement sportif. Laure Jacolot n’a pas oublié ce moment si particulier. "C'est sûr que l'arrivée de Charlie c'était incroyable, se souvient la médecin. C'est une victoire déjà, mais dans ces conditions-là c'est encore plus fort. Néanmoins, et c'est normal, on ne pouvait pas partager l'émotion, sauf avec des gens de sa famille qui étaient au courant. C'était compliqué quand même émotionnellement de savoir qu'il avait pris potentiellement un risque, calculé certes, mais un petit risque concernant sa santé".

Le 27 février, au prix d'une d’opération de 4h15, Charlie Dalin se fait enlever sa tumeur. "Je passe de l'apogée de ma carrière de sportif à sûrement le moment le plus difficile au niveau santé en peu de temps, se remémore le Havrais. J'ai senti le poids de l'opération ajouté à celui de la fatigue du Vendée. C'était beaucoup".

"Dans l’état actuel de la science, je ne pourrai pas faire le prochain Vendée"

Quelques minutes après avoir franchi la ligne d’arrivée aux Sables, Charlie s’amusait d’être le premier dans l’histoire à passer consécutivement deux fois en tête la ligne d’arrivée du mythique Vendée Globe. Quatre ans auparavant, le deuxième, Yannick Bestaven, avait en effet été déclaré vainqueur grâce à une compensation de 10 heures pour avoir participé au sauvetage de Kevin Escoffier.

"Il faudra que je revienne une troisième fois pour rejoindre Michel Desjoyeaux au club des doubles vainqueurs", poursuivait Dalin avec un large sourire.

Cette perspective n’est désormais pas de mise. "Dans l'état actuel de la science, je ne pourrai pas faire le prochain Vendée Globe, reconnaît le marin. Ce serait trop engageant. La maladie a un peu évolué, mon traitement aussi est un peu plus lourd qu'avant. J'aimerais bien y revenir mais aujourd'hui, ça semble un peu compliqué". Compétiteur dans l’âme le Normand vise des horizons plus proches et raisonnables. "On verra comment ça se passe, lâche-t-il, évasif. Je pense que je prendrai ma décision cet hiver si je peux courir la Route du Rhum dans un an".

"En étant accompagné, on peut vivre ses rêves"

Avec ce témoignage très fort, Charlie Dalin souhaite aussi passer un message. "Je pense qu'au début, je ne me suis pas vraiment rendu compte de ce que j'avais fait, reconnaît-il. Ce sont les médecins qui me suivent qui m'ont incité à en parler pour aider des gens qui vivent la même chose. Rien que l'annonce, c'est difficile à vivre. Mais peut-être que ça permettra à ces personnes de vivre un peu mieux ce moment et les traitements qui s'en suivront. J'applique un peu mes fonctionnements de sportifs de haut niveau à la lutte contre cette maladie. J'essaie d'avoir une alimentation la plus adaptée possible pour mettre toutes les chances de mon côté pour aller mieux. On va essayer de garder un mental positif et de faire le plus de sport possible malgré la fatigue. Il faut quand même réussir à doser".

Laure Jacolot abonde en mettant l’accent sur l’importance de la pratique sportive. "Gagner un Vendée Globe avec une pathologie grave, c'est encore plus incroyable, souligne la médcin du sport. Ça nous donne beaucoup d'énergie pour la suite. Je pense que ça va parler à beaucoup d'équipes de soignants qui encouragent les patients suivis pour une maladie chronique à faire de l'activité physique. En étant encadré, accompagné, on peut vivre ses rêves. Je ne dis pas qu'il faut aller faire un Vendée Globe si on vous découvre un cancer. Charlie est quelqu'un d’hors norme intellectuellement, physiologiquement, métaboliquement. Mais il reste un homme avec des faiblesses et la maladie peut arriver à n'importe qui. Le message, c'est que malgré une maladie chronique on peut faire des choses incroyables. Avec des ressources mentales, on peut arriver à bout de ces maladies et vivre des émotions fortes".

Pierre-Yves Leroux