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"Il peut se passer quelque chose de beau": l'ambition de Jimmy Gressier avant les Mondiaux d'athlétisme

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En remportant la finale de la Diamond League sur 3000m jeudi dernier à Zurich, Jimmy Gressier s’est offert le plus beau succès de sa carrière. A l’aube des championnats du monde qui auront lieu à Tokyo du 13 au 21 septembre, le Boulonnais nous a accordé un entretien pour parler ambitions, inspirations et football.

Jimmy Gressier, comment allez-vous?

Je vais très bien, je suis très heureux aujourd'hui. Je me sens bien, je suis en forme, donc c'est plutôt cool.

Vous venez de remporter la Diamond League, comment vous sentez-vous? Vous réalisez?

Je me sens très bien, j'ai eu un peu de mal à récupérer au niveau physique et émotionnel, aussi. Il ne faut pas oublier le côté émotionnel qui prend une grosse part dans la vie d'un athlète de haut niveau. C'était un peu inattendu que je gagne, du moins, ce n'était pas forcément l'objectif au départ de cette course, parce qu'il y avait une grosse concurrence. Mais, dans un coin de ma tête, je savais quand même que ça reste du sport et que tout est possible. Et on a bien vu que tout était possible: j'ai battu les médaillés des Jeux olympiques de l'année dernière. Donc maintenant, je suis très focus sur les championnats du monde.

Qu’est-ce que vous avez ressenti quand vous avez passé la ligne d’arrivée en tête?

C'est surtout quand je passe dans les derniers 80 mètres les épaules devant et que je sens que j'ai encore de l'énergie et que j'ai de la force dans les jambes. Là, je me dis qu'il va se passer quelque chose. Et quand je passe la ligne d'épaule dans les derniers 30 mètres devant, je me dis que je vais être champion de la Diamond League, que je vais remporter cette Diamond League à Zurich. Et honnêtement, c'était un rêve que je voyais de loin, je voyais les grands champions, les Jacob Ingebrigtsen et les anciens champions que je pouvais regarder quand j'étais jeune à la télé gagner cette Diamond League. Et là, gagner, se dire que c'est bon, que je l'ai fait, avoir ce trophée surtout… Il est iconique, c'est quand même un beau trophée, assez lourd, imposant… Là, je l'ai chez moi.

Où l’avez-vous mis, ce trophée?

Pour l'instant, chez moi. Je dois le ramener chez mon grand-père, bientôt. C'est prévu: dans un mois, quand je rentre à Boulogne-sur-Mer, je lui ramène. Il a un petit musée chez lui où il a pas mal de souvenirs de mes courses. Et ramener ce trophée chez lui, ça va être cool, ça va être magique. C'est un peu comme un petit ballon d'or. C'est notre petit ballon d'or à nous, pour moi qui suis ancien footeux. 

Est-ce que cette victoire vous donne l’impression d’avoir passé un cap?

Je pense que j’ai passé un cap dans le sens où ce que je faisais déjà à l'entraînement depuis de nombreuses années se concrétise enfin en compétition. Le finish, ce n'était pas mon point fort jusqu'à présent. Je savais qu'à l'entraînement, j'étais costaud, mais l'appliquer en compétition, ce n'était pas encore fait. Maintenant, je sais comment prendre le temps dans un dernier tour, me laisser emmener par le peloton, avoir confiance en moi dans une dernière ligne droite, parce qu'on dit souvent que tout se joue dans le dernier tour, mais non, tout se joue dans le dernier tour, dans le sens où il faut être au contact, mais il faut aussi savoir accélérer dans les derniers 100m, c'est là où la médaille se joue.

Je pense que là, en bataillant avec des mecs qui visent la médaille à Tokyo, mentalement, ça me renforce et ça me donne envie d'être à leur contact, dans le dernier tour et dans la dernière ligne droite. Je sais que si je suis dans la dernière ligne droite avec eux, j'ai une arme supplémentaire, parce que c'est moi qui finis le plus fort. En étant ancien footeux, je sais que j'ai pour habitude de pouvoir accélérer fort sur des 60, 30, 40m. C'est l'avantage d'avoir fait du foot, c'est que j'ai quand même les cuisses du footeux et quand elles ont de l'énergie, elles savent partir comme il faut. J'ai hâte d'être à Tokyo, j'espère être là dans le dernier 100m et pouvoir laisser parler mon petit kick de footeux à la fin.

Quel est votre objectif pour ces championnats du monde?

Avant Zurich, je disais déjà qu'un top 6, ce serait magnifique, que ce serait ma plus belle place jusqu'à présent, parce que ma plus belle place aux championnats du monde, c'est neuvième. Ce serait cool d'aller chercher un top 6, mais je ne vais pas vous mentir: dans ma tête, j'ai quand même l'espoir de me rapprocher du podium. En tout cas, pendant la course, si je vois que l'opportunité du podium se présente, je ne vais rien lâcher, je vais tout donner. Je sais qu'il peut se passer quelque chose de grand, quelque chose de beau, mais il y aura des adversaires redoutables. Mais comme je le dis, ça reste du sport, tout est possible. Je m'entraîne tous les jours avec plus de conviction que la veille, parce que je sais que c'est l'opportunité d'une vie d'aller chercher potentiellement une médaille. Mais avant ça, il y aura des étapes à aller chercher, des étapes durant la course, avec les premiers kilomètres, en essayant de consommer le moins possible, en faisant les bons choix, en étant vigilant quand ça va partir, parce qu'une seconde à ce niveau-là, c'est une seconde de perdue et difficile à rattraper dans un dernier tour. Donc il va falloir être vigilant et faire la course qu'il faut faire et donner 150% de mes capacités ce jour-là.

Avoir gagné la Diamond League, ça vous fait y croire encore plus?

Totalement. Aujourd'hui, je suis champion de la Diamond League. J'ai battu Grant Fischer. J'ai battu Girma, qui est premier au bilan sur 5000m. J'ai battu aussi Mehary, éthiopien, qui est premier au bilan sur 10.000m. Et pas mal de coureurs qui ont déjà fait des médailles jusqu'à présent. Et donc là, dans ma tête, l'objectif, c'est de les battre à nouveau. Et je sais que si je les bats à nouveau en finale du 10.000m, je serai médaillé. Si je les bats, je serai médaillé, parce que Grant Fischer, pour moi, sera sur le podium. Je l'ai battu de quelques millièmes à la Diamond League. Donc je vais me concentrer sur le fait de battre Grant Fischer aussi aux championnats du monde. Et si je le bats, je serai médaillé. 

On vous a vu sauter dans les bras d'Anaïs Bourgoin après sa course en finale de la Diamond League, quelques minutes seulement après avoir remporté votre titre. Comment définiriez-vous votre relation?

Anaïs est une collègue de l'équipe de France, mais aussi une collègue de mon groupe d'entraînement, le Lions Track Club, entraîné par Adrien Taouji. On se voit au quotidien ici, à l'INSEP. Ce qui a fait la particularité de sa course, et c'est pour cela qu'on s'est pris dans les bras, c'est qu'elle avait réalisé son objectif. C'était un rêve pour elle de passer sous 1’57. Moi, c'était mon rêve de gagner la Diamond League. Et on a passé le dernier mois ensemble en stage à Font-Romeu. Elle, elle ne voulait pas trop partir en stage. Elle disait qu'il faisait froid à Font-Romeu... Moi, j'adore Font-Romeu. Et je l'ai prise un peu sous mon aile en mode, 'non, mais t'inquiète, Font-Romeu c'est trop cool'. Du coup, au fur et à mesure du stage, elle a commencé à kiffer, donc on a vécu de beaux moments.

En fait, du premier jour ensemble à Font-Romeu, jusqu’à Zurich, on a toujours été ensemble, c’était un peu une aventure commune. Je pense que quand elle m’a vu gagner, juste avant sa course à elle, ça lui a mis vraiment un coup de boost. Et moi, le fait de réussir et de voir juste après qu'elle réussit aussi… On s'est pris dans les bras parce que c'est pour ces émotions-là, aussi, qu'on vit l'athlé à fond. Et c'est encore plus grandiose quand on peut partager de bons sentiments. Donc, c'était cool, on a des photos qui sont quand même assez cool. Et ça, c'est bien pour plus tard, quand on sera vieux, on pourra dire qu'on a vécu ces moments. 

Vous avez choisi de vous aligner sur 5000m et sur 10.000m. Pourquoi ce choix?

J'ai choisi le 10.000m et le 5000m parce que ce sont deux disciplines sur lesquelles je me sens bien. Il y a cinq jours d'écart entre le 10.000m et les séries du 5000m. Nous, les athlètes de haut niveau, on a l'habitude de s'entraîner beaucoup et on sait qu’en cinq jours, on peut récupérer quasiment totalement. Normalement, les séries, ça ne devrait pas trop me poser de problème. J’avais envie de tenter ces deux opportunités-là, d'aller chercher les médailles. On le voit très bien avec Jacob Ingebrigtsen qui double le 1500m et le 5000m. Tous les plus grands coureurs doublent toutes les distances. Le 10.000m, ça reste ma priorité. Donc je sais que si demain je fais un top 6 sur le 10.000m ou que je vais chercher une médaille, je vais être libéré dans tous les cas pour le 5000m et ce ne sera que du bonus.

Et si jamais je me rate sur le 10.000m, j'aurai toujours le 5000m derrière pour me rattraper et aller chercher les bonnes places. Ce sont deux courses différentes parce que le 10.000m c'est une distance où ça écrème au fur et à mesure des kilomètres, où l’endurance musculaire est importante, avec un gros dernier finish. Alors que le 5000m, c'est une distance où il faut avoir les armes du coureur de 1500m, du coureur de 3000m aussi, ce que j'ai actuellement dans les jambes - on l'a vu à Zurich avec ma victoire sur la finale du 3000m. Donc j'ai les bonnes armes sur 5000m. Je pense qu'il y a quelque chose qui peut se jouer sur ces deux distances. Moi, j'aime courir, j'aime la course à pied. Encore plus en étant qualifié pour des championnats du monde, de pouvoir profiter de tous ces tours dans ce stadium. J'ai choisi ces deux distances parce que j'ai vraiment envie de courir et surtout parce que j'ai la tête pour enchaîner les tours en ce moment. 

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans le fait d’être athlète professionnel? Qu’est-ce qui vous anime? 

Moi, ce qui m'anime, ce sont les objectifs que je me fixe en début d'année et le fait de me sentir progresser au fur et à mesure des jours. Je vais faire une petite confidence : quand j'étais plus jeune, je me sentais beaucoup plus fort à l'entraînement, mais parce que je faisais beaucoup moins de kilomètres. Je ne mettais pas de muscu qui me cassait les jambes avant les séances. Alors que là, c'est un enchaînement et une globalité de tous les entraînements répétés sur toutes ces années. C'est aussi un sérieux au plus haut niveau qui fait qu'aujourd'hui, ça paye sans devoir être trop trop fort à l'entraînement et pourtant je suis plus fort en compétition actuellement qu'à l'époque. Ce qui m'anime, c'est de voir la progression sur les années. Il faut savoir se fixer des objectifs à court, moyen et long terme. C'est ça qui m'anime, de voir que je réalise ces objectifs. Et plus les années passent, plus je les réalise. 

A quoi ressemble une journée dans la vie de Jimmy Gressier avant les Mondiaux? 

On sait qu'il va y avoir un décalage horaire à Tokyo, donc il faut commencer à s'adapter. Je me réveille à 6h du matin, je fais mes séances plus tôt que d'habitude. Je me couche plus tôt que d'habitude, aussi, vers 21h ou 21h30, pour commencer à me décaler et éviter le maximum de fatigue possible avant la course. Une journée type : je me réveille à 6h du matin, petit déj, je fais un peu la vaisselle, la vie de tous les jours, comme quelqu'un de lambda, en fin de compte. Ensuite, entraînement: 5km d'échauffement, 10 fois 1000m, récup d’une minute. On varie entre des allures entre 23km/h et 26km/h. Puis, 2km de récupération. Ensuite, je vais aller manger, prendre une douche, faire une petite sieste de 20 minutes. Et le soir, c'est reparti pour 10km de footing dans la thermoroom pour s'adapter à la chaleur de Tokyo, l'humidité. Donc ça sera à peu près à 35°C, 70% d'humidité, pendant 45 minutes sur le tapis de course. Derrière, session kiné, récupération, massage. Ensuite, on mange le soir, on mange sainement, on dort bien, on essaye de bien s'hydrater, c'est important. Et puis après, on essaie de repartir au dodo à 21h. Après, on va enchaîner encore les entraînements. Je fais à peu près 150km et 12-13 entraînements dans la semaine. 

Avez-vous un modèle dans l’athlétisme? 

Non, je n'ai pas de modèle dans l'athlé. J'ai surtout un modèle dans la vie de tous les jours, qui est mon grand-père, et plus globalement les gens dans le plus grand des communs, les gens qui, chez moi, vont travailler par exemple dans le poisson, à l'usine... Pourquoi ce sont mes exemples? Quand j'étais jeune, quand j’avais 17 ans, j'essayais de faire ce qu'ils faisaient pour me rendre compte de la difficulté. Et me lever tous les matins pour aller travailler, c'était sacrément dur. Et je me suis dit, 'ok, moi je ne veux pas faire ça dans ma vie, c'est trop dur'. Et donc je me suis donné tous les moyens nécessaires pour réussir dans le sport. Je n'étais pas très fort à l'école, je faisais le strict minimum, le nécessaire. Mais je savais que j'avais un don dans la course à pied et qu'il fallait l'exploiter. Ces gens m'ont permis de prendre conscience que je ne voulais pas la même vie que celle qu'ils étaient en train de vivre. Et donc, ce sont eux, mes exemples.

Après, dans le sport en général, j'ai un exemple: Zinédine Zidane. C’est l'exemple de presque tous les Français je pense, pour son humilité, son talent, le fait de rester lui-même malgré tout. Moi, sur les réseaux sociaux, on peut croire que je suis quelqu'un qui manque d'humilité, quelqu'un d'inaccessible, alors que moi, je me considère comme quelqu'un de lambda dans la vie de tous les jours, qui fait peut-être pour les autres des choses exceptionnelles, mais qui reste une personne ordinaire, en fin de compte. J'essaye de garder cet exemple. Et puis, pour finir, encore un exemple avec le foot: Franck Ribéry. Il a démarré de nulle part, chez nous, dans le même quartier que moi, à quelques portes de là où je suis né et il a gravi les échelons. Il est parti de rien jusqu'à arriver au sommet du football. Et aujourd'hui, j'essaye de faire la même chose dans la course à pied pour porter mon nom de famille haut dans la hiérarchie de l'athlétisme français. 

Vous avez été footballeur quand vous étiez plus jeune, quel a été le déclic qui vous a fait vous consacrer à l'athlétisme? 

J’ai commencé l'athlé à l'âge de 17 ans, mais quand j'étais encore plus jeune, on avait souvent des cross avec l'école. Je gagnais, ça mettait un peu la rage aux vrais athlètes qui faisaient ces cross. Je courais en crampons, shorts de foot, chaussettes de foot, maillot de foot, et je gagnais souvent tout. Les profs me disaient "Arrête le football, va à l'athlé". Pendant longtemps, je n'ai pas voulu, parce que je voulais vraiment devenir footballeur professionnel. J'avais un bon petit niveau, je jouais en U17 nationaux, j’étais capitaine, j'ai joué contre le PSG, Lille, toutes ces équipes-là. Donc j'avais vraiment un rêve, c'était de devenir footballeur professionnel, sauf que ça ne s'est pas fait, pas parce que je n'avais pas le niveau, mais aussi parce que je ne suis pas allé au bout des choses. J'ai arrêté à 17 ans, parce que l'athlétisme tapait vraiment à ma porte, en mode "viens, viens, viens". J'ai bien fait d'y aller, parce que la carrière que je fais aujourd'hui, elle n'aurait pas été possible sans mon premier coach, Arnaud Dinielle, qui a eu les mots pour me faire changer de sport, ce qui n'a pas été facile. Aujourd'hui encore, je rêve de football, je rêve que je joue au PSG, que je marque des buts. Mais oui, ça a été dur de me faire changer d'avis. Au final, mon coach Arnaud Dinielle a réussi à le faire. Aujourd'hui, ça fait 11 ans déjà que j'ai fait ce choix. 

Vous avez dit vouloir devenir marathonien. Pourquoi? 

C'est la suite logique. Quand tu commences sur 5000m, 10.000m, et que tu as des capacités sur le long, en fin de compte, au bout d'un moment, tu y arrives. Moi, là où je ne veux pas y arriver trop tard, c'est que certains font ce choix par défaut, parce qu'ils commencent à régresser sur 5000m, 10.000m, et qu'ils se disent 'bon, je vais monter sur le long parce que je commence à vieillir'. Sauf que pour aller chercher mes meilleurs résultats sur marathon, il ne faut pas que j'y aille trop tard, il faut que j'y aille dans la fleur de l'âge pour aller chercher des chronos. Il ne faut pas que j'y aille par défaut, il faut que j'y aille quand j'aurai toutes mes capacités. C'est pour ça que je commence à parler du marathon en vue des Jeux olympiques de Los Angeles, même s'il n'y a rien de défini encore, parce que j'ai encore des résultats à faire sur 5000m et 10.000m, mais l'envie est là. L'envie de courir des marathons est même débordante. 

Comment décririez-vous votre caractère en tant que sportif? 

Mon caractère en tant que sportif, je le définis comme quelqu'un de puncheur, comme quelqu'un qui ne réfléchit pas trop, qui va au combat. Quelqu'un de généreux. Je pense que mon caractère en course est le même que celui de la vie de tous les jours. Je suis quelqu'un de généreux, qui veut toujours aider les gens, qui veut procurer du bonheur, qui essaye d'être gentil avec les gens autour de moi, qui pense vraiment à être une meilleure version de moi-même. Et quand je cours, c'est aussi ça, je donne le maximum pour n’avoir aucun regret à la fin. Parfois, je me trompe, je donne trop sur la fin de course alors qu'il faudrait en garder pour les tout derniers mètres, pour gagner la course. Mais je suis toujours satisfait de moi-même à la fin des courses, parce que je sais que j'ai donné le meilleur de moi-même, et dans la vie de tous les jours, c'est la même chose.

Propos recueillis par Camille Beaurain