La belle France

Christophe Lemaitre - -
L’athlétisme français a coloré de Bleu la piste et le ciel catalans pendant une semaine fantastique. Presque contre toute attente, ce qui rend le triomphe encore plus délictueux. Une jolie moisson était envisagée. Elle fut grandiose, unique, inédite. Si la discipline se résume souvent à quelques données chiffrées, il est assez aisé d’en sortir certaines qui prouvent l’étendue de la marée bleue : 18 médailles dont huit d’or (2e nation derrière la Russie), dont la moitié sur le seul sprint, emmené par un Christophe Lemaitre qui a volé sur la piste, récolté trois gerbes d’or et ravi par sa spontanéité au faîte de sa gloire et des podiums. Une première continentale historique, comme le bilan tricolore de Barcelone qui supplante l’épopée de Bruxelles (15 médailles, 4 d’or) il y a… soixante ans. Une nouvelle ère s’est ouverte, à peaufiner à Daegu (Corée du Sud) l’an prochain aux Mondiaux avant l’avènement espéré aux Jeux olympiques de Londres en 2012.
Dans le car qui ramenait lundi matin une délégation enfin assoupie après une nuit caliente dans la capitale catalane, Ghani Yalouz chuchotait pour ne pas réveiller ses héros fatigués. Il n’en jubilait pas moins : « Moi, je travaille pour que l’athlétisme retrouve la place qu’il mérite, cet amour du maillot », explique le DTN. Mission accomplie. L’ancien lutteur (5 participations aux JO) a su inculquer à cette équipe une mentalité de « combattants » et faire passer son message aux jeunes et aux moins jeunes. « Ils s’apportent tellement les uns les autres », apprécie-t-il. Sur la piste comme dans ses coursives, l’osmose paraissait évidente entre Christine Arron et ses jeunes et emballantes coéquipières du relais, entre Mekhissi qui bat son aîné Tahri sur 3000m steeple, entre Gomis à la longueur et son modèle Sdiri, pour n’évoquer que les triomphes du dernier soir.
Amsalem : « L’avènement d’une génération »
Bernard Amsalem, un président de la fédération aux anges, poursuit sur cette voie : « Nous sentions depuis quelques années l’avènement d’une génération de grande qualité. Il y aussi des athlètes d’une certaine maturité qui ont des choses à dire. L’amalgame des deux a fait qu’on a cumulé toutes les possibilités de réussite. Je suis fier de cette équipe. Jouissons de ce bonheur », sourit-il jusqu’aux oreilles.
Les prochaines échéances (Mondiaux, JO) devraient ramener ces Bleus dorés à l’humilité du tableau des médailles. Face aux Américains et aux Jamaïcains notamment, il ne faudra pas s’attendre à pareil feu d’artifice. Mais plus que jamais, il faudra nourrir des ambitions planétaires disparues cette dernière décennie (seulement 2 médailles aux JO de Pékin). « On a encore du travail. Il faut se garder de tout triomphalisme », tempère Yalouz, à l’origine de la révolution de l’avis de tous.
En plus de l’émergence d’incroyables et jeunes espoirs (Lemaitre, Mbandjock, Mang, Soumaré) qui auront plus de mal à briller sur la scène planétaire, d’autres semblent plus aptes à lutter lors des prochaines échéances mondiales, ces talents confirmés que sont Lavillenie, Tamgho ou Diniz. L’incontestable héros de Barcelone, Lemaitre évidemment, préfère au-delà de son cas personnel évoquer une solidarité qui fait la force de ce groupe: « C’est un truc de malade de terminer sur un truc collectif (or sur 4x100), ça montre l’état d’esprit de l’équipe. Les victoires collectives sont plus belles, et on n’oublie pas les remplaçants, le staff… » Transformer une discipline foncièrement individuelle en sport collectif, une des clés de cette moisson catalane : « Cette équipe est d’une richesse extraordinaire : ça rappelle aux anciens l’enthousiasme, l’ambition, quand les plus jeunes profitent de leur expérience », conclut Yalouz. Pourvu que ça dure…