
Etats-Unis: pourquoi le cas Richardson, positive à la marijuana, fait débat
Un petit joint (ou un gros, d’ailleurs) pour un rêve qui s’écroule. Deuxième meilleure performeuse mondiale de l’année sur 100 mètres avec son 10’’72 claqué en avril, un chrono qui la place seulement derrière la Jamaïcaine Shelly-Ann Fraser-Pryce (10’’63) sur la saison, Sha’Carri Richardson a remporté il y a quelques jours la finale des sélections olympiques américaines pour obtenir son ticket pour les Jeux de Tokyo, les premiers de sa carrière, où elle pouvait croire à une médaille.
"Cela n’a aucun sens"
Mais patatras. La sprinteuse américaine de vingt-et-un ans a été testée positive à la marijuana lors de ces Trials, une information révélée par le quotidien jamaïcain The Gleaner et confirmée par le New York Times, et pourrait (devrait, même) être écartée du voyage au Japon. Une situation qui a lancé un débat de l’autre côté de l’Atlantique. Si la marijuana fait partie de la liste des substances interdites (en compétition seulement) de l’Agence mondiale antidopage, avec des suspensions courant d’un mois à deux ans pour un contrôle positif (dont la norme a été relevée de 15 à 150 ng/ml en 2013), la vision de cette substance a beaucoup évolué ces dernières années aux Etats-Unis.
Journaliste spécialisé dans les questions économiques autour du sport, Joe Pompliano a résumé la chose sur Twitter: "Il est légal de fumer de la marijuana de façon récréative dans dix-neuf Etats, dont celui où Richardson a été testée positive, et la NFL, la NBA et la MLB ont toutes assoupli leur position sur le sujet. Mais on va tout de même empêcher une athlète olympique de concourir à cause d’un produit qui n’améliore pas la performance? Cela n’a aucun sens." Et Dwyane Wade, l’ancienne star de la NBA, d’enfoncer le clou en citant le tweet de Pompliano: "Mais la majorité de ceux qui font les règles fument et sont probablement des investisseurs dans des sociétés liées au THC. Arrêtons l’enfumage." Si la chose va s'accélérer dans les heures à venir, décalage horaire oblige, le débat est bien en train de gagner les rangs des sportifs US.
Alors qu’elle n’a pas encore été officiellement suspendue mais a confirmé les informations en lançant "Je suis humaine" sur les réseaux sociaux, peut-être une référence au tragique décès de sa maman quelques jours avant les Trials qui pourrait expliquer un besoin de trouver un moyen de chasser le stress, une pétition a été lancée sur le site change.org pour "réintégrer Sha'Carri Richardson" (à peine plus de 1300 signataires à l’heure d’écrire ces lignes): "Le cannabis n’améliore pas les performances et peut même désavantager un coureur. Sha’Carri Richardson ne devrait pas être empêchée de réaliser son rêve. Elle n’a tiré aucun avantage de cette utilisation de marijuana. Richardson et tous les athlètes ne devraient pas être bannis de compétitions pour avoir utilisé un produit largement légalisé."
Au-delà des dix-neuf Etats qui ont légalisé la marijuana récréative, dont l’Oregon où se déroulaient les Trials où la sprinteuse a été contrôlée positive, trente-cinq ont légalisé son utilisation médicale. Les plus grandes ligues privées sportives américaines, du basket au football américain en passant par le baseball, ont bien toutes modifié leur règlement en direction d’une moindre sévérité pour les consommateurs de cannabis. Sans oublier l’UFC, principale organisation de combats de MMA à travers la planète, basée à Las Vegas, où les athlètes positifs au cannabis ne sont plus punis – sauf total abus ou preuve que la substance a été prise pour améliorer les performances – et où la star Nate Diaz peut tranquillement s’allumer un joint en conférence de presse sans aucune conséquence.
Aux Etats-Unis, certains labos travaillent également sur des produits médicaux pour les sportifs à base de CBD (en gros, du cannabis sans sa principale substance psychoactive, autorisé en France), ou de THC, et plusieurs actuels ou anciens athlètes se sont engagés pour des marques de ce secteur, à l’image d’un Mike Tyson dont la vie s’ébroue désormais dans un nuage de fumée. Bref, là-bas, voir l’une des meilleures sprinteuses au monde rater les JO pour ça semble aujourd’hui incroyable pour beaucoup. On pourra toujours leur opposer que Sha’Carri Richardson connaissait les règles de l’AMA et leurs conséquences et ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Et que l’AMA est une institution internationale dont les règlements ne sont pas basés sur la loi de certains Etats américains. Mais l’évolution scientifique et morale sur le sujet pose une question : et si le cas de la jeune sprinteuse américaine lançait une discussion pour faire évoluer ces règles et coller mieux à l’époque?