« J’ai couru 168 km autour du Mont-Blanc » : le récit d’un participant de l’UTMB

L'UTMB, c'est 168 km pour 9600 m de dénivelé ! - DR
« Nous sommes dans la montée vers le col de Voza, au 10e kilomètre environ, quand un des très nombreux spectateurs massés au bord de la route me lance, ainsi qu’aux autres coureurs : « bon voyage ! ». C’est l’encouragement le plus juste qu’il m’aura été donné d’entendre. L’Ultra Trail du Mont-Blanc, 168 kilomètres autour du massif du même nom, c’est en effet d’abord un voyage. Long, éprouvant, mais aussi unique et merveilleux.
J’ai quitté Chamonix, au milieu de presque 2500 autres coureurs, vendredi à 17h30. Devant moi, 168 kilomètres donc, mais aussi 9600 mètres de dénivelé positif et négatif, et huit longues ascensions. Je partais donc pour un long voyage, qui allait me prendre plus de quarante heures. Alors que le soleil avait brillé pendant les deux jours précédant le départ, il se met à pleuvoir au moment même où nous nous élançons, et les quatre premières heures de course (jusqu’aux Contamines, km 30) se feront sous une pluie régulière, sur des chemins détrempés. Une belle entrée en matière. »
« Je suis en forme mais… »
« Une longue montée nous emmène à la croix du Bonhomme, une descente énergique nous fait atteindre les Chapieux, et une nouvelle montée, dans le brouillard et dans le froid, nous fait passer la frontière italienne. 60e kilomètre, 10 heures de course. Je suis en forme, j’atteins alors sans le savoir mon meilleur classement dans la course (498e), mais une contracture apparue à la cuisse droite deux jours avant le départ commence à se faire remarquer. Je descends prudemment vers Courmayeur, en laissant passer pas mal de coureurs, et je file voir les kinés, qui me posent un strap sur le muscle douloureux.
J’avale une assiette de pâtes italiennes préparée par les bénévoles italiens, et repars tranquillement : une montée vers le refuge Bertone, puis de superbes balcons avec vue sur l’envers des Grandes Jorasses, une petite descente et une longue montée vers le Grand Col Ferret, 2527m, point culminant de la course. Me voilà en Suisse, et la descente vers La Fouly puis Praz-de-Fort me paraît interminable. Je ne peux pas courir comme je veux à cause de ma cuisse douloureuse. La remontée vers Champex-Lac me permet de souffler un peu. »
« La magie du trail »
« 122e kilomètre, il m’en reste 46. Un gros marathon, avec 3 ascensions : je ne suis pas tout à fait au bout de mes peines. Étrangement, alors que j’arrivais un peu au bout de mes forces à Champex, je reprends du poil de la bête dans la longue et humide montée de Bovine. C’est la magie du trail : on croit être au bout de ses forces, incapable d’avancer davantage, et une heure ou deux plus tard, on cavale presque dans les montées. Le corps a des ressources qu’on ignore si on ne va pas les chercher, au bout de soi-même.
Je reprends 75 places dans cette montée, j’arrive à limiter la casse dans la descente suivante, et j’en reprends 40 dans la montée qui suit, l’avant dernière. Mais pas le temps de me laisser gagner par l’euphorie, et ce que je craignais un peu arrive : dans la descente vers Vallorcine (km 150), ma cuisse ne suit plus. Je marche tranquillement pour ne pas me blesser davantage, et me dirige vers la tente des soigneurs (dont il faut ici saluer le formidable travail, pour remettre sur pied et soulager nombre de coureurs meurtris). Mon genou droit a gonflé, sans doute à cause de la contracture, et l’enflure fait un peu peur aux kinés. Le médecin m’ausculte, s’assure que le genou n’est pas douloureux, et me laisse repartir, affublé d’un superbe strap bleu, tout en me conseillant de calmer un peu le jeu. »
« Une descente fastidieuse vers Chamonix »
« J’ai à ce moment-là 7 heures d’avance sur la barrière horaire, il me reste 20 kilomètres pour rejoindre Chamonix. Je mets de côté mon ambition d’entrer dans le top 500 et reprends calmement la route vers l’arrivée. La montée vers la Tête aux Vents (km 158) est longue et pénible, mais elle se fait au lever du jour. Les nuages jouent avec les aiguilles de Chamonix, la Mer de Glace apparaît, les Grandes Jorasses aussi. Largement de quoi oublier que le corps souffre.
La descente vers Chamonix sera un peu fastidieuse, j’ai perdu près de 200 places depuis Vallorcine, mais voilà, j’arrive au bout, c’est déjà ça. Le dernier kilomètre le long de l’Arve, puis dans les rues de Chamonix, est un moment inoubliable. Le public est au rendez-vous, et tous les coureurs sont salués avec enthousiasme. Je franchis la ligne après 40h et 36 minutes de course, en 742e position. Il y a 4 ans je découvrais l’UTMB en tant que journaliste, et avais du mal à réaliser qu’il soit possible de parcourir une telle distance, un tel dénivelé, sans s’arrêter ou presque, d’un seul élan. Tant qu’on n’a pas essayé, on ne sait pas que c’est possible. Et magnifique. »