Lemaitre, un garçon en pointes

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Christophe Lemaitre est ici chez lui. Tranquille. « On le voit souvent se promener dans la rue tout seul », note ce chauffeur de taxi. A Aix-les-Bains, le sprinteur est bien loin du tumulte parisien. Il s’y entraîne depuis six ans et y vit depuis deux ans. Et ici, tout le monde le connait. Quand on évoque l’anecdote avec l’intéressé, il esquisse un sourire. Presque gêné. A s’y pencher de plus près, la vie de ce jeune homme de 22 ans ressemble à celle des garçons de son âge. Battlefield 3 ou FIFA12 sur console, un match de football de l’OM, casanier… Sauf que Christophe Lemaitre a ajouté deux heures d’entraînement quotidiennes à son programme. Le rituel est immuable. Aux côtés de Pierre Carraz, son entraîneur depuis six ans, il s’entraîne au stade Jacques-Forestier entre 18h et 20h.
C’est au pied des Alpes que le duo se prépare minutieusement pour les Jeux. En groupe. Car si l’entraînement compte dans ses rangs la pépite du sprint français, Carraz coache de nombreux licenciés du club d’athlétisme. « Je me comporte avec lui comme avec tous les autres athlètes que j’entraîne », précise même « Pierrot ». Sauf que « les autres » n’ont pas droit aux honneurs médiatiques du triple médaillé d’or européen de Barcelone (2010). Des médias japonais et anglais ont même fait le déplacement jeudi dernier pour le rencontrer. « Pour briser le quotidien, ça brise le quotidien. Mais je commence à être habitué », sourit Carraz. Même l’athlète, pourtant peu à l’aise face aux caméras, semble s’être fait une raison. « Si je dure, je vais devoir m’y habituer. Même si c’est une partie du métier que je n’aime pas trop. »
Son entraîneur : « Le but est d’en faire un homme »
Sur la piste, Lemaitre semble beaucoup plus à l’aise. Plutôt isolé pendant la séance, il répète ses gammes. Au programme jeudi dernier : les départs. Quand Carraz lui demande de tracter un poids, il se permet même une remarque : « Moi aussi j’aimerais celui qui n’est pas chargé », glisse-t-il. « Tu prends celui-là. Tu fermes ta grande bouche et tu cours », lui balance le coach, jamais avare d’une gentille pique. « Je suis le modérateur. J’essaye de rester dans la droite ligne. Sans trop m’emballer et sans être en dessous », explique l’entraîneur. Car même s’il semble s’amuser de la présence des journalistes, Carraz ne force pas sa nature. Lemaitre ou pas, le champion doit s’exécuter sous son œil bienveillant. « C’était pas mal Christophe. Ce que tu as fait là, c’était bien », lui glisse-t-il un peu plus tard. Christophe Lemaitre est rassuré.
Discret, parfois raillé quand il était plus jeune, l’athlète a réalisé un gros travail sur lui-même pour forcer sa nature. Comme lorsqu’il prend les conseils auprès des entraîneurs du club qui le guident sur ses départs. On sent un jeune homme demandeur, désireux de progresser. Son entourage mesure le chemin parcouru depuis plusieurs mois. « Un long chemin sur le plan physique, mais aussi sur le plan humain. Il progresse à vue d’œil. Le but est d’en faire un homme. Je suis fier de ça », avoue, sourire aux lèvres, Pierre Carraz. Et quand on interroge l’intéressé sur sa capacité à rentrer dans sa bulle, il glisse : « C’est une chance d’avoir un mental fort. Chez moi, c’est naturel. »
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A Londres sur 100m, 200m… ou les deux ? |||
Christophe Lemaitre ne sait pas encore s’il s’alignera sur 100m, 200m, ou même s’il « doublera » lors des Jeux Olympiques de Londres. Le sprinteur et son entraîneur attendent d’en savoir plus quant à l’opposition qui se dressera sur leur route, alors que se profilent les sélections américaines et jamaïcaines. « On attend de voir ce que font les autres et ce que lui-même va faire, observe Pierre Carraz. Ça parait difficile de doubler. » Et le technicien de lâcher en guise d’indice : « Pour l’instant, c’est plus le 200m. » Alors en attendant, les deux hommes bossent dur. Surtout la force et les départs. « Pour l’instant, je ne vois pas de progrès, mais j’ai confiance. Ça ne m’inquiète qu’à moitié. Je sais que ça viendra », note Carraz. Avec une séance de musculation supplémentaire par semaine, Lemaitre veut mettre toutes les chances de son côté en vue du rendez-vous londonien. Même si l’intéressé nuance : « J’ai hâte d’y être, mais ce n’est pas quelque chose qui m’obsède. » Pas plus que les déclarations de Bolt qui vise les 9’’40 sur 100m et les 19’’00 sur 200m ? « Il a les capacités pour, mais en a-t-il les moyens malgré des périodes difficiles ? Il a le potentiel mais est-ce qu’il peut les sortir ? On ne le sait pas… » En attendant, c’est à Aix-les-Bains que le recordman de France du 100m (9’’92) effectuera sa rentrée ce week-end.