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« Moi Gilbert, j’ai couru un semi… en Corée du nord ! »

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Le week-end dernier, Gilbert Brisbois, l’un des anchormen vedettes de l’antenne de RMC, a disputé le semi-marathon (étaient également inscrits au programme un 10km ainsi qu’un marathon) de… Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord ! Une expérience unique voire surréaliste dans l’une des dernières dictatures au monde. Pour RMC Running, il raconte ce qu’il a pu observer et ce qui l’a marqué dans le pays le plus fermé du monde.

« Les montres GPS confisquées… mais pas la mienne ! »

« J’ai profité de l’opportunité du marathon de Pyongyang pour aller en Corée du Nord. C’est un pays ultra-fermé où on ne peut pas aller dans un but touristique, la course était donc « un prétexte ». Ca fait plusieurs années que ce pays m’intéressait parce que cette dictature est extrême, entourée de grands mystères concernant son fonctionnement. Pourquoi n'y a t-il pas de rébellion ? On essaie de comprendre comment ce régime peut tenir depuis plus de 60 ans. Le pays est tellement coupé de l'extérieur que pour les nords-coréens, les leaders successifs à la tête du pays sont comme des dieux sur terre ! Une chose est sûre, on n’a senti aucune volonté de changer le système de la part de la population. Le sentiment, c’est celui qu’il n’y a pas d’autre échappatoire que de se plier au régime. Depuis plusieurs années, le pays organise un marathon et un semi-marathon avec une course dédiée aux étrangers. C’est via une agence de voyage chinoise que j’ai pu aller là-bas. On était quelques centaines d’Occidentaux. »

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« Pour entrer sur le territoire, j’ai dû signer un papier stipulant que je ne travaillais pas dans les médias. A priori je n’étais pas le seul, d’autres coureurs ayant déclaré exercer une autre profession également. Sur place, il n’y a pas d’Internet ni de réseau téléphonique, donc pas de portable. Quand on arrive à la douane, les autorités inspectent tout. Les GPS sont interdits. Beaucoup de coureurs portent des montres GPS pour courir, mais on les leur a prises à l’aéroport. Ils n’ont pu les récupérer qu’en repartant. Moi, j’ai réussi à passer entre les gouttes en disant que ma montre n’indiquait que l’heure, et ne faisait pas GPS. J’ai donc pu l’utiliser pendant la course. » 

« On sent que c’est la misère »

« On était en permanence accompagnés. Il y avait interdiction de sortir de l’hôtel, qui était réservé aux étrangers. Concrètement, on a eu deux contacts avec la population. D’abord dans une espèce de centre aquatique où on est allé après la course. Et le lendemain lors de la visite d’une école, où on s’est un peu échappés pour aller jouer au foot avec des gamins qui étaient là, ce qui n’était pas prévu dans le programme et qui a mis le guide en panique ! On a aussi eu une visite organisée de tous les endroits qui mettent en valeur le culte des leaders du pays : Kim Il-Sung, son fils Kim Jong-Il, et aujourd’hui le petit-fils, Kim Jong-Un. Au programme il y avait des statues de bronze, des musées révisionnistes… Et toujours deux guides, qui nous déversaient la propagande du pays. »

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« La Corée du Nord est très pauvre avec un indice de développement humain catastrophique, de nombreuses famines se sont succédées ces trente dernières années. On sent la misère, beaucoup de gens très maigres, tout petits. D’ailleurs, en l’espace de quatre jours, on n’a pas vu d’animaux sauf une vache dans un champ. On n’a pas vu d’handicapés non plus, donc que fait-on d’eux ? Là-bas, il n’y a pas de jeans, symbole de l’impérialisme américain, peut-être ? Les publicités sont inexistantes, remplacées par des slogans à la gloire du régime avec des portraits des leaders. Puis très peu de voitures circulent. On a l’impression que c’est un pays qui s’est arrêté dans les années 50. »


« L’arrivée dans un stade de 60 000 personnes complètement plein ! »

« L’épreuve, deux boucles de 10 km (quatre pour le marathon), n’était pas d’un excellent niveau. Une course pour les amateurs occidentaux était prévue, et une autre pour les Nord-Coréens qui partaient une demi-heure plus tard. Parmi ces derniers, il y avait beaucoup de jeunes (certains de 8-10 ans), qui couraient avec un matériel limité, leurs chaussures ressemblant à des chaussons de danse. Malgré tout, ils allaient vite. Le marathon, qui réunissait les meilleurs du pays, s’est gagné en 2h15’. »

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« Sur le semi auquel j’ai participé, j’ai fini sept ou huitième (on n’a pas eu de classement définitif) en 1h28’40’’. Dans un semi-marathon international, c’est un chrono très moyen. Le parcours passait par l’université et les principaux monuments de Pyongyang, mais sa particularité est que l’arrivée se faisait dans un stade de 60 000 personnes, complètement plein, avec une ambiance extraordinaire à l’intérieur. C’était le stade Kim-Il Sung, du nom de celui qu’on appelle « Cher Leader » là-bas, et qui a créé le pays à la sortie de la deuxième guerre mondiale. » 

« La course la plus hallucinante de ma vie »

« Je suis donc arrivé parmi les dix premiers du semi-marathon dans un stade rempli, comme si j’étais un champion hors-pair, ce qui n’est pas du tout le cas. C’est à la fois excitant pour un coureur mais aussi horrible, quand on sait que ces gens n’avaient sans doute pas le choix et qu’ils sont sans doute là par obligation. Le dimanche est un jour férié en Corée du Nord, mais on travaille quand même, en brigades, les gens pratiquent une activité qui n’est pas leur fonction de la semaine : du bricolage, de la couture pour les femmes… »

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« Pendant la course, il y avait pas mal de spectateurs au bord des routes aussi. Mais on nous avait bien précisé avant : « pas le droit de sortir du parcours », « si vous abandonnez, vous attendez sur place on viendra vous chercher ». D’autre part, c’était vraiment à l’ancienne avec, pour le chronométrage, des juges tout le long du parcours qui avaient les chronométreurs officiels à la main. Rien à voir avec les puces électroniques auxquelles on est habitués aujourd’hui. Les ravitaillements eux aussi étaient mythiques parce qu’ils étaient assurés par des serveuses endimanchée, derrière une petite table couverte d’une nappe blanche… Je pense que j’ai couru la course la plus hallucinante de ma vie. Et je suis ravi de pouvoir témoigner, car parler de ce pays à l'extérieur permettra au plus grand nombre de savoir ce qui s'y passe ».

Gilbert Brisbois